[Décembre] 1762 (2) : Les sœurs Planström : factum Bragelongne :
Mémoire pour le comte de Bragelongne contre le sieur de Pelletot Qu'il est triste, qu'il est humiliant pour un homme d'honneur, d'avoir à défendre sa réputation des atteintes de la calomnie ! La conduite la régulière, les mœurs les plus pures ne sont pas de sûrs garants contre la méchanceté d'un accusateur. Il parvient souvent à noircir la vertu même ; quelque soit le sort de l'accusation, il est toujours certain de porter des coups mortels, parce que le public croit aisément le mal, et ne revient qu'avec peine des premières impressions. Ainsi tel qui n'a pas contre lui des soupçons légitimes est souvent condamné sur le seul titre de l'accusation, surtout si elle intéresse les mœurs. Un père de famille, un homme de nom, tel que le comte de Bragelongne, attaché à ses devoirs, uni depuis 20 ans à une épouse qu'il adore, environné de protecteurs illustres, a donc pu être présenté avec assurance au public et à la justice, comme un homme perdu de mœurs. Rien n'a pu le garantir de cette dénonciation terrible. Le sieur de Pelletot savait trop bien ce que l'on gagne à prévenir les esprits, même par des accusations sans vraisemblance. Il est du devoir du calomniateur de surprendre les suffrages par l'atrocité de ses impostures, et de faire des monstres de ceux qu'il veut perdre. Mais que le public équitable tourne du moins un moment ses regards sur l'accusateur. Il verra un homme souillé de tous les crimes, sans état, sans domicile, errant à la suite des courtisanes dont il a toujours partagé la honte, un mari exécrable, une père qui fait horreur. Quel personnage pour intenter une accusation de mœurs ! Quels titres pour inspirer la confiance ! Des bâtards adultérins [La dame de Pelletot a appris au public dan son mémoire imprimé pages 11, 12 et 13 [cf. [Décembre] 1762 (1)], l'histoire du prétendu mariage de son mari avec la nommée C*** [Caraccioli NDM] et la bâtardise des enfants qui en sont nés NDA.] l'ont excité à envahir les biens de sa femme légitime. Voilà le principe de son action en adultère. Les secours charitables que le comte de Bragelongne a procurés à cette femme malheureuse et opprimée depuis 10 ans l'ont fait choisir pour complice du crime. Tel est en deux mots le tableau de cette affaire, dont le scandale est aujourd'hui trop public pour qu'on puisse reprocher au comte de Bragelongne l'éclat qu'il veut donner à sa justification.Faits Le comte de Bragelongne n'aurait pu prévoir qu'on le forcerait un jour à rendre compte de sa vie et de son origine. Il avait cru qu'il suffisait à un homme de son nom pour jouir paisiblement de la considération acquise par ses ancêtres ; et il ne s'est occupé depuis longtemps qu'à conserver la bienveillance des protecteurs que ses alliances et ses services lui avaient mérités. Lors même que le sieur de Pelletot est venu troubler son repos, et empoisonner ses jours par une diffamation cruelle, il s'était flatté que cet homme, le premier qu'il ait connu pour ennemi, lui laisserait au moins l'honneur de sa naissance, et l'avantage de sa conduite passée. Mais qu'il est dangereux d'être persécuté par un homme sans pudeur ! Tout cède à sa vengeance, sa fureur s'irrite par les obstacles. Ainsi dès que le sieur de Pelletot eut formé le projet d'associer le comte de Bragelongne aux infamies dont il voulait accuser sa propre femme, il a affecté de répandre des doutes sur l'extraction de ce prétendu complice. Il l'a donné dans le monde pour un aventurier, usurpateur du nom qu'il porte, et méconnu de tous ceux qui en soutiennent le lustre. Il a composé ensuite une histoire scandaleuse, dont les débauches personnelles lui ont fourni les principaux traits. C'est ainsi qu'il préparait artificieusement le poison de sa plainte, afin qu'on fût moins révolté des désordres de sa femme, quand on la saurait d'avance lié à un homme de néant, accoutumé au vice dès sa naissance. Cependant cet accusé qu'on dégrade avec tant de hardiesse est issu d'une des plus anciennes familles de la Robe et de l'Épée. Son père était colonel d'un régiment d'infanterie de son nom ; sa mère était fille d'un président à mortier du parlement de Metz [Voyez le dictionnaire de Moreri, au mot Bragelongne 3e branche, art. 5 NDA.]. Dans sa première jeunesse il a servi dans les mousquetaires ; et des raisons de famille l'ayant appelé dans le pays de sa mère, il s'attacha au service du roi de Pologne, duc de Lorraine. Ce grand prince lui a donné dans tous les temps des marques d'une protection signalée [Le roi Stanislas a eu la bonté de s'occuper lui-même du mariage du comte de Bragelongne avec la demoiselle de Cuigy son épouse. Il écrivit à ce sujet au père du comte de Bragelongne une lettre dans laquelle il marquait entre autres choses : « Comme j'ai lieu d'être satisfait de votre fils, qui fait exactement son devoir dans mes gardes, et que j'y distingue avec plaisir, je n'ai pu lui refuser cette lettre. » Elle est produite NDA.]. C'est à ses bontés qu'il est redevable du plus précieux de tous les biens, d'une épouse distinguée par sa naissance, puisqu'elle tient aux plus grandes maison du royaume, mais bien plus recommandable par l'héroïsme de sa vertu, puisqu'elle est aujourd'hui la seule consolation qui lui reste, et qu'au milieu de ses malheurs, elle n'a cessé d'être sa compagne fidèle, et sa courageuse apologiste. Cette union, formée par des mains augustes, n'a jamais souffert depuis 20 ans de la plus légère altération. Le comte de Bragelongne n'a pas quitté sa femme un seul jour ; et c'est sa fidélité constante, dont elle a toujours été témoin, qui lui mérite aujourd'hui un suffrage si flatteur. Le seul enfant qu'il leur reste est une fille âgée de 15 ans, triste victime du sieur de Pelletot qui a ruiné sa fortune en persécutant son père. Le roi de Pologne, duc de Lorraine, croyait assurer son bonheur dès le berceau, lorsqu'il voulut bien, par considération pour le comte de Bragelongne, la tenir sur les fonts de baptême avec feue madame infante, duchesse de Parme. On laisse à penser si ces illustres protecteurs auraient honoré d'un seul regard un homme dont la conduite n'eut pas répondu à la naissance. Feu M. le duc d'Orléans, si connaisseur et si vertueux, n'avait pas cru qu'il fût indigne de lui de protéger le comte de Bragelongne. Il lui accorda dans le château de Montargis un logement qu'il conserve depuis 18 ans, et dans lequel il est resté jusqu'en 1758, jouissant de l'estime universelle, et connu de toute la province pour un gentilhomme plein d'honneur et de générosité. Des vues de fortune pour sa fille, lui firent désirer en 1758 de s'attacher à madame la duchesse de Modène. Il entra à son service en qualité d'écuyer, sur le témoignage et à la recommandation des plus grands seigneurs de la cour. Il vivait honorablement depuis 2 ans dans l'hôtel de cette princesse. Sa femme et sa fille partageaient avec lui les agréments de cet asile respectable, inaccessible à tous les vices. S[on] A[ltesse] voyait avec bonté cette famille rassemblée sous ses yeux. Elle en témoignait souvent sa satisfaction ; elle ne cachait pas les vues qu'elle avait sur la demoiselle de Bragelongne, qu'elle comblait d'amitiés et de caresses. Tout à coup, et peu de temps avant la mort de cette princesse, le comte de Bragelongne eut le malheur de perdre ses bonnes grâces par les artifices et les calomnies du sieur de Pelletot. Il faut en développer la cause. À la fin de janvier 1760, la comtesse de Bragelongne avait rencontré la dame de Pelletot chez le curé de Saint-Sulpice. Elle la vit ensuite plusieurs fois chez la demoiselle de Butheler, et chez la dame Servandoni. La dame de Pelletot n'était plus dans l'âge des agréments. Elle avait 42 ans ; ses malheurs étaient peints sur son visage. Elle en fit le récit à la comtesse de Bragelongne. Il y avait quinze ans que le sieur de Pelletot l'avait épousée ; mais c'était pour elle quinze ans d'affliction et d'amertume. Chassée du lit de son mari, elle y avait vu entrer des prostituées. Des bâtards adultérins, nés avant son mariage, lui avait donné de spectacles d'horreur. Elle avait fui ces monstres, et poursuivi sa séparation. Mais un transaction insidieuse [cf. 25 septembre 1753 (1)], en autorisant sa retraite, avait aggravé son infortune, parce qu'elle faisait dépendre sa subsistance des caprices de son mari. En un mot, elle était sans pain et sans ressources pour en avoir. Des condamnations multipliées n'avaient fait qu'irriter le sieur de Pelletot. Il ne payait rien, arrêtait les paiements de ses fermiers, et convertissait ses fonds en papier, n'ayant d'autre domicile à Paris que les lieux publics. Ce fut par ce lamentable récit que la dame de Pelletot toucha le cœur de la comtesse de Bragelongne. Elle l'introduisit à l'hôtel de Modène, la présenta à son mari comme une femme qui méritait qu'on la plaignît. Tel fut le commencement de cette liaison devenue depuis si funeste au comte de Bragelongne. La dame de Pelletot avait des chagrins de toute espèce. Son mari, non content de lui refuser le nécessaire, la tourmentait de loin par les émissaires qu'il envoyait à sa suite. Suzanne Ussenot, qu'on verra bientôt jouer un grand rôle dans cette affaire, était à la tête des ennemis de la dame de Pelletot, dont elle était alors domestique. Excédée de ses outrages, de son libertinage et de ses vols, la dame de Pelletot crut s'en délivrer en la chassant honteusement de chez elle. Le comte et la comtesse de Bragelongne le lui conseillèrent, et il n'y a sorte d'invectives et de menaces qu'elle n'ait vomies contre eux à ce sujet. Elle a tenu parole dans la suite. Mais en attendant que son complot avec le sieur de Pelletot fût en maturité, elle osa bien venir, avec une troupe de scélérat, compagnons de ses débauches, insulter et outrager de jour et de nuit son ancienne maîtresse, frappant à sa porte avec violence, y jetant des pierres, et mettant tout le voisinage en alarme. Ces excès sont constatés par une plainte que la dame de Pelletot rendit contre elle et ses adhérents, notamment contre le sieur de Pelletot, qui était le vrai coupable. La plainte est du 30 mai 1760, et elle est jointe au procès. Mais la dame de Pelletot avait déjà pourvu à la sûreté de sa personne, en demandant au comte et à la comtesse de Bragelongne une retraite dans leur appartement. Elle y fut reçue du consentement madame la duchesse de Modène, en attendant qu'elle pût trouver dans le voisinage une maison plus sûre que celle qu'elle venait d'abandonner. La comtesse de Bragelongne avait alors avec elle, à titre de femme de compagnie, la nommée Corbon [ou Courbon], dite veuve Michel, qui sous un extérieur décent et de bonne compagnie, cachait l'âme la plus basse et la plus perfide. Cette liaison est la seule que le comte de Bragelongne ait à se reprocher. Il a eu lieu de s'en repentir, lorsqu'il a connu, mais trop tard, les déportements de cette femme qui paraissait si honnête, et lorsqu'il l'a vue depuis l'un des principaux agents de la cabale du sieur de Pelletot. La dame de Pelletot fut séduite à son tour par les avances de la Michel, qui paraissait jalouse d'avoir sa confiance. Elle le demanda à la comtesse de Bragelongne, voulant l'avoir auprès d'elle dans l'appartement qu'elle prit peu de temps après rue de Grenelle, vis-à-vis la fontaine. Car celui du comte de Bragelongne, à l'hôtel de Modène, ne suffisait pas pour loger tant de personnes. Le comte et la comtesse de Brgelongne voulurent bien se rendre caution du bail pour la dame de Pelletot. Elle n'était pas en état d'y satisfaire, parce qu'elle ne vivait que d'emprunts, son mari lui refusant tous les secours. Cependant elle avait obtenu dès le mois de février 1760 [cf. 13 février 1760 (1)], lorsqu'à peine elle connaissait encore le comte de Bragelongne, un arrêt contradictoire contre son mari, qui lui adjugeait une pension considérable. Lassée de ne pouvoir obtenir justice du sieur de Pelletot, qui du sein de ses débauches bravait l'autorité des lois, elle résolut d'aller en personne faire exécuter son arrêt sur les biens que le sieur de Pelletot possède en Normandie. Elle pria la comtesse de Bragelongne de l'accompagner dans ce voyage. Celle-ci engagea son mari à y venir lui-même avec sa fille, pour lui faire voir le port de Dieppe et les environs. Le comte de Bragelongne eut la complaisance d'y consentir. Ce qui l'y détermina davantage, c'est qu'il espérait que le sieur de Pelletot, inconnu à Paris de tous les honnêtes gens, se trouverait peut-être sur les lieux, et qu'il pourrait parvenir à se rendre médiateur entre les deux époux. Il partit donc avec toute sa famille, après avoir obtenu l'agrément de Madame de Modène [Voici la lettre qui contient cette permission. Elle est de la marquise d'Épinay, dame d'honneur de la princesse. « J'ai demandé à Madame la duchesse de Modène le congé que vous désirez, Monsieur, mais elle m'a dit qu'elle ne pouvait vous l'accorder que de trois jours, n'étant pas dans l'usage d'en donner de plus longs. J'aurais fort désiré qu'il eût été possible de faire mieux. Je vous prie d'en être persuadé, et de la sincérité avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissante servante. De Moy d'Espinay. À l'Isle Adam, ce jeudi 3 juillet 1760. Mes compliments, si vous voulez bien, à Madame et Mademoiselle de Bragelongne NDA.] La dame de Pelletot se présenta au château de son mari, dont on lui ferma les portes. Le comte de Bragelongne n'avait ni le pouvoir, ni la volonté de faire valoir les droits de la dame de Pelletot. Elle prit des conseils sur les lieux. On lui fit présenter requête au juge, qui lui permit de prendre main-forte pour entrer dans le château. Il fut dressé procès-verbal de refus et d'ouverture de porte. En un mot, tout se passa en règle, et sous l'autorité de la justice. Le comte de Bragelongne ne rendrait pas compte de tous ces détails, qui lui sont étrangers, si le sieur de Pelletot n'avait pas cherché à en imposer au public par ses clameurs sur la prétendue invasion de ses châteaux, qu'il attribue au comte de Bragelongne. Mais la réponse à cette calomnie se trouve dans les requêtes, ordonnances et procès-verbaux qui sont produits, et qui justifient pleinement la dame de Pelletot et le comte de Bragelongne de ces prétendues violences. Il est prouvé par un certificat signé de tous ceux qui étaient présent, lequel est produit, que la dame de Pelletot, ni aucun de ceux de sa compagnie, n'ont fait aucune violence pour entrer dans le château, que le comte de Bragelongne est resté avec la compagnie dans le carrosse, et que la dame Le Mire qui habitait le château n'avait eu qu'à se louer des politesses qu'on lui avait faites. Le nommé Patissier, cocher, qui a conduit la dame de Pelletot, a signé ce certificat, et depuis il a déclaré la même chose dans sa déposition [cf. 10 décembre 1761 (3)]. Il est vrai que le sieur de Pelletot, ayant appris que sa femme était entrée dans le château de l'autorité du juge, envoya promptement à la dame Le Mire, un bail sous seing privé qu'il fabriqua sur le champ, pour faire croire qu'il lui avait loué le château et l'enclos moyennant 30 liv[res] de loyer. La dame Le Mire, munie de cet acte frauduleux, se fit réintégrer dans le château. Mais il en fut encore dressé un procès-verbal, et le certificat dont on vient de parler constate, que tout se passa sans la moindre violence, et avec la plus grande régularité. Voilà comment le sieur de Pelletot sut rendre inutile le voyage de sa femme, qui ne resta pas trois jours dans le château, et ne put rien tirer des fermiers qui s'entendaient avec leur maître pour lui refuser ses aliments. Mais ce n'était là que la moindre partie de la vengeance de ce mari cruel. Instruit que le comte et la comtesse de Bragelongne étaient avec sa femme en Normandie, il se hâta de profiter de leur absence pour les perdre. Il pénétra dans l'hôtel de madame la duchesse de Modène, et lui fit parvenir des libelles affreux dans lesquels il accusait le comte de Bragelongne d'avoir abusé du nom respectable de cette princesse pour ravager la terre de Pelletot. Calomnie atroce et absurde, puisque le comte de Bragelongne n'avait ni titre ni qualité pour agir, et que d'ailleurs la dame de Pelletot n'avait agi qu'avec le secours de titres sous l'autorité des juges. Cette persécution sourde fut annoncée au comte de Bragelongne avant son retour en Normandie par des lettres que la Michel lui écrivit de Paris. Elle était restée dans l'appartement de la dame de Pelletot, rue de Grenelle, et elle profitait de son absence pour se livrer une prostitution scandaleuse, dont tous les voisins se plaignirent hautement au retour de la dame de Pelletot. Mais elle gardait encore dans ses lettres le masque de pudeur qui l'avait si bien servie jusqu'alors, et surtout elle y témoignait un attachement respectueux, une estime sincère pour le comte de Bragelongne, une horreur marquée pour le sieur de Pelletot, dont elle éventait le complot. Voici la première lettre : « Je suis obligée, Monsieur, de vous donner avis que vos affaires vont furieusement mal en ce pays ci. Vos ennemis profitent de votre absence pour vous déchirer et vous accabler. Mademoiselle de Pelletot (c'est la bâtarde adultérine de l'accusateur) est allée trouver une dame d'honneur de Madame de Modène, pour lui dire que vous vous étiez servi du nom de Madame de Modène pour vous faire ouvrir le château de Madame de Pelletot. Elle a jouté que vous aviez utilisé Madame de Pelletot, qu'elle voulait en informer S[on] A[ltesse] et quoique la dame d'honneur ait refusé de lui en faciliter les moyens, elle a pénétré jusqu'à elle, je ne sais par quelle voie, et lui a répété tout ce que je viens de vous dire ; et d'autres choses qu'elle a sans doute imaginées. Sur cela, M. de Crèvecœur m'a dit que S[on] A[ltesse] lui avait répondu que vous ne lui étiez plus rien, et que l'on pouvait faire tout ce que l'on jugerait à propos, même de vous faire arrêter. Et ayant demandé qui était ici chargé de vos meubles, et ayant appris que c'était moi, elle a dit, ajoute M. de Crèvecœur, que je les vinsse chercher, et qu'elle ne voulait plus qu'ils fussent chez elle. Je suis en vérité ans un chagrin mortel de vous voir dans tant d'embarras... Mais venez, je vous en conjure, Monsieur, pour faire cesser toutes ces horreurs. Car il faut que vous ayez bien des ennemis, puisque l'on vous déchire d'une manière si odieuse, et que vous le méritez si peu. Encore un coup, je me promets que votre présence rétablira tout, même la confiance et l'estime de Madame de Modène pour vous. Il me vient une idée. Écrivez à S[on] A[ltesse] une lettre pleine d'excuses sur votre absence. Faites-lui adroitement sentir que vos ennemis en profitent pour vous faire perdre l'honneur de sa protection, que vous avez appris que l'on répandait des bruits absolument faux, que vous n'avez jamais mis son nom en compromis, que l'objet de votre voyage était de recouvrer des sommes que vous aviez généreusement prêtées à une femme de condition totalement malheureuse, et que ces sommes ne pouvant vous rendre sans faire mettre à exécution un arrêt du Parlement, dont cette dame était pourvue, vous lui avez encore avancé les frais de son voyage et ceux des gens de justice qu'il fallait employer sur les lieux pour exécuter l'arrêt, que vous n'avez rien fait en tout cela qui ne soit conforme aux lois de l'humanité et de la plus saine justice, que votre conduite à cet égard est totalement irrépréhensible, et que vous ne vous reprochiez qu'une chose que vous ne vous pardonneriez jamais, qui est l'impuissance où vous vous étiez mis de recevoir ses ordres, mais que vous partez sur le champ pour rentrer dans vos exercices. Signé, Corbon. Dans la seconde lettre, la Michel fait de nouveau part au comte de Bragelongne de ses alarmes sur l'effet des calomnies du sieur de Pelletot. Voici ses termes ; « J'ai reçu, Monsieur, une lettre de Madame de Bragelongne qui m'apprend que les peines que vous vous donnez généreusement pour Madame de Pelletot mèneront enfin ses affaires à bien. Il est à souhaiter, et je désire beaucoup que cette lettre les trouve à leur fin et vous surprenne le pied à l'étrier, car je ne dois pas vous cacher que S[on] A[ltesse] Madame la duchesse de Modène s'est expliquée hautement sur l'intention où elle est, que vous vous retiriez, et je crains bien, à moins que votre présence ne rétablisse bientôt l'ouvrage que vraisemblablement vos ennemis ont fait en votre absence, que vous ne trouviez un successeur. C'est du moins ce que m'a dit M. de Crèvecœur, qui m'a assuré que vous ne rentreriez pas dans la maison, et qui même m'a ajouté qu'il était de votre honneur de prévenir le compliment. La bonté de votre cœur vous a rendu ce mauvais office. Mais encore une fois, je pense que votre présence peut raccommoder les affaires. En vérité, soyez persuadé que je fais des vœux bien sincères pour que vous n'ayez pas ce nouveau chagrin. Vos amis sont dans les mêmes dispositions, et M. de Beaussol y prend beaucoup de part, et me prie de vous faire et à Madame de Pelletot, bien des compliments etc. Signé, Corbon. Ces lettres prouvent le fait des libelles diffamatoires composés par le sieur de Pelletot pour la ruine du comte de Bragelongne. On y voit clairement que les secours et la protection qu'il n'a pu refuser aux malheurs de la dame de Pelletot sont la source de la persécution qu'il éprouve aujourd'hui. Mais on y trouve en même tems la peinture fidèle de sa conduite toute généreuse envers la dame de Pelletot. La veuve Michel, convaincue de la pureté des intentions du comte de Bragelongne, était alors bien éloignée de soupçonner ses mœurs. Les expressions de ses lettres sont celles du respect et de l'attachement le plus sincère. Comment le comte de Bragelongne est-il devenu dans la suite un monstre aux yeux de cette femme, qui ne l'a pas vu depuis qu'elle lui a écrit ? En effet, peu de jours après les lettres qu'on vient de lire, la Michel, sollicitée par Beaussol, devenu son amant déclaré, se hâta de prévenir par une prompte fuite, les reproches que méritait la conduite scandaleuse qu'elle avait menée en l'absence du comte de Bragelongne. Elle n'attendit pas son retour ; elle emporta deux jours auparavant tous ses effets dans une chambre garnie rue Quicampoix que Beaussol lui loua lui-même, sans doute aux dépens du sieur de Pelletot. Car de ce moment, la Michel se dévoua toute entière à ses intérêts. Elle se sauva dans cette chambre dès le lendemain de l'arrivée de la dame de Pelletot, et il y a lieu de croire que cette nouvelle demeure n'eût pas moins pour objet de faciliter la correspondance du sieur de Pelletot avec la Michel, que d'assurer à cette infâme prostituée la liberté de ses débauches. Le comte de Bragelongne, revenu à Paris avec sa femme, sa fille et la dame de Pelletot, trouva sa disgrâce consommée à l'hôtel de Modène. Les libelles du sieur de Pelletot avaient produit tout leur effet, surtout depuis que la Michel avait osé les répandre elle-même, après en avoir donné avis par ses lettres. Cette noirceur ne surprit pas le comte de Bragelongne, lorsqu'il eut appris par tout le voisinage l'excès des déportements auxquels cette femme s'était livrée dans la maison et en l'absence de la dame de Pellelot. Dans ce premier moment, le comte de Bragelongne fut trop heureux de trouver chez cette dame un asile pour lui-même et pour sa famille, en attendant qu'il pût rentrer à l'hôtel de Modène, sinon occuper une des maisons qui lui appartiennent dans Paris. Il fit de vains efforts pour regagner la confiance de la princesse. Elle était prévenue par les libelles, et la maladie mortelle dont elle était attaquée ne lui permit pas de prendre des éclaircissements. Le comte de Bragelongne n'avait plus d'autre voie que la poursuite judiciaire. La dame de Pelletot avait rendu sa plainte dès le 26 juillet 1760 devant le commissaire Chenu, contre le sieur de Pelletot et ses adhérents, distributeurs et colporteurs de libelles. Ce sont eux qui composent aujourd'hui la plus grande partie des témoins du sieur de Pelletot. Le comte de Bragelongne rendit aussi plainte contre eux, et les fit même décréter, ainsi que le sieur de Pelletot. Les décrets sont produits, et ne sont pas encore purgés. On voit par là que la procédure actuelle du sieur de Pelletot est absolument récriminatoire. Mais il ne fut pas possible au comte de Bragelongne de continuer la sienne. Il aurait fallu faire des informations dans l'hôtel de Modène, procéder même contre quelques officiers de la maison, et cette princesse, qui touchait alors à ses derniers moments, voulut assurer sa tranquillité par les ordres supérieurs qu'elle fit donner au comte de Bragelongne de tout suspendre. Ces défenses sont prouvées par des pièces produites au procès Dans cette affreuse position, le comte de Bragelongne, diffamé publiquement par le sieur de Pelletot et par la troupe de vagabond qui était à sa solde, déchu de la protection d'un princesse qui l'avait chéri, privé des récompenses qui l'attendaient à sa mort, réduit par la fatalité des circonstances à l'impuissance de venger son honneur, trouva dans l'âme généreuse et sensible de la dame de Pelletot un faible dédommagement de tant de pertes. Elle ne put voir sans émotion une famille, qui lui était si chère, immolée à la fureur de son mari. Elle eût fait pour le comte et la comtesse de Bragelongne le sacrifice entier de la plus grande fortune, tant elle était pénétrée de reconnaissance pour ces zélés protecteurs. Elle crut s'acquitter bien faiblement de ce qu'elle leur devait par une donation de 10 000 livres dont elle s'était réservée la disposition par contrat de mariage. Cette donation a été annoncée par le sieur de Pelletot sous les plus noires couleurs ; et tandis qu la dame de Pelletot crie du fond de sa prison qu'elle voudrait pouvoir ajouter encore à ses bienfaits, son mari la désavoue pour lui ôter jusqu'au mérite de sa reconnaissance ; il ose dire que cette donation, qui n'est achetée que trop cher, est le fruit du dol et de la surprise. Tandis que la dame de Pelletot s'empressait de réparer de son mieux les malheurs dont elle était la cause innocente, le sieur de Pelletot, attentif à se venger, lui préparait et à ses bienfaiteurs, une effroyable tragédie. Il ourdissait la trame de ce complot devenu si fameux par ses tristes effets. C'était dans ces réduits obscurs qui cachent la misère et la débauche, dans ces lieux infâmes qui sont, depuis si longtemps, la retraite ordinaire du s[ieu]r de Pelletot, qu'environné de femmes prostituées, il composait l'histoire fabuleuse et exécrable qu'il a mise au point par sa plainte. Il lui fallait, pour étaler ces horreurs, le secours de ces malheureuses dont il a perpétuellement le spectacle. C'est avec elles seules qu'il a pu rassembler tant de faits incroyables, auxquels l'imagination la plus déréglée ne pourrait atteindre qu'à peine. Ce recueil impur d'abominations et de scandales ests sans doute l'histoire de sa vie ; encore, tout couvert qu'il est d'ignominie, ne peut-on croire qu'il ait commis tant de crimes. Cependant il a eu l'audace de les rassembler tous sur la tête du comte de Bragelongne et de la dame de Pelletot. Sans respect pour la vérité, sans égard pour la vraisemblance, il a présenté à la justice un spectacle horrible, une accusation dont il n'y a jamais eu d'exemples. L'adultère est la base de sa plainte. Mais ce n'est pas un commerce secret, impénétrable à tous les yeux, et que l'indiscrète curiosité de deux témoins ait découvert par hasard. C'est une débauche ouverte, une prostitution impudente, en un mot un adultère public. À entendre le sieur de Pelletot, les accusés ont fait trophée de leur crime, ont affecté d'en laisser voir toutes les circonstances. Pour achever cet infâme tableau, le sieur de Pelletot y a peint le comte de Bragelongne comme un monstre, dont le cœur corrompu est ouvert à tous les crimes, et sait allier ceux mêmes qui sont incompatibles. Il a fait de sa femme une prostituée, un empoisonneuse, une magicienne. Voilà ce que la pudeur permet ici de transcrire des titres d'une accusation dont l'indécence est doute un crime et dont l'imposture est le comble de scélératesse. Qu'avait donc fait au sieur de Pelletot le comte de Bragelongne pour qu'il le déchirât si cruellement ? Si sa femme avait, comme il ose dire, vécu avec tant d'hommes, pourquoi a-t-il choisi le comte de Bragelongne comme victime ? Mais c'est ici l'ouvrage de la haine et de la récrimination. Le comte de Bragelongne a marqué trop d'empressement à secourir la dame de Pelletot. Voilà la source de ses malheurs. Et le plus grand de tous, sans doute, est d'avoir pour ennemi un homme tel que le sieur de Pelletot. Ses dérèglements, sa vie errante et vagabonde, les procès qu'il a depuis dix ans avec sa femme, les bâtard adultérins qu'il lui préfère, le désir qu'il a de leur transmettre sa fortune, ce sont là les ressorts qui le font agir. Toutes ces circonstances portent la lumière dans cette monstrueuse accusation. Et quand on veut l'approfondir, on ne peut se dissimuler qu'elle est incroyable. Les faits sont énormes et révoltants. Les témoins sont des scélérats. L'accusateur est un personnage infâme. Que le sieur de Pelletot, aveuglé par sa fureur, ait cru flétrir par des peintures odieuses la réputation d'un citoyen dont il avait déjà renversé la fortune par des libelles, c'est un projet digne de la bassesse et de la noirceur de son âme. Mais qu'il ose affronter la justice même, en accusant ainsi celui qu'il persécute de crimes imaginaires et impossibles, dont il ne donne pour garants que des témoins plus vils encore que lui, c'est un excès d'impudence qui ne peut se concevoir. Aussi les premiers juges [cf. 24 mars 1762 (1)] ont-ils repoussé avec mépris la main qui leur présentait ces horreurs. Ils ont senti qu'il n'était pas possible que la dame de Pelletot, parvenue à l'âge de 42 ans sans atteinte sur sa vertu, fût devenue en un instant une femme consommée dans la débauche. Ils ont reconnu qu'il y avait de l'extravagance à soupçonner le comte de Bragelongne coupable des infamies dont on l'accuse, lui dont le nom n'a pas frappé jusqu'à présent l'oreille de la justice, dont la conduite est justifiée par la protection des grands qui l'estiment, et par l'attachement inviolable d'un épouse universellement respectée. Des titres si précieux et si publics ont réuni les suffrages en faveur du comte de Bragelongne. On n'a pu voir sans indignation un homme aussi diffamé qu le sieur de Pelletot, réclamer les lois de l'honneur dans le sein du même du concubinage troubler le repos d'une famille honorable et d'un mariage heureux, pour parvenir à rompre des nœuds qu'il déteste, et dont il n'était pas digne. Ses lâches émissaires ont soulevé les esprits par leur indignité révoltante. Cette troupe infâme s'est dissipée à la lueur de l'examen et de la discussion. Toutes les preuves de ce prétendu brigandage de mœurs se sont évanouies ; elles se sont tournées contre l'accusateur. Les premiers juges n'ont fait que retarder le triomphe des accusés, en ordonnant un plus ample informé [cf. 24 mars 1762 (1)], qui ne peut avoir un objet sérieux après 50 [42 !] dépositions. Mais il est réservé à la souveraine autorité de la Cour de venger l'innocence trop souvent opprimée, et de punir un calomniateur digne des châtiments les plus rigoureux.Moyens Autant un mari, vraiment blessé dans son honneur, cherche à intéresser ses juges par des plaintes timides et honnêtes, autant le sieur de Pelletot, qui n'a jamais senti ces blessures, a-t-il affecté de prendre le langage scandaleux du libertinage. Ce ton si peu digne de la vertu et de la vérité est le premier témoignage qui dépose ici contre l'accusateur. Le comte de Bragelongne ne se sent pas propre à le suivre dans les détails les plus obscènes dont il a souillé cette affaire. Le public a droit d'attendre du comte de Bragelongne une réserve exacte et scrupuleuse. C'est la seule prévention qu'exige sa défense, dont les moyens sont faciles et péremptoires. [En marge : Faits étrangers à l'adultère] Écartons d'abord d'un seul mot tous les faits étrangers à l'adultère. Le comte de Bragelongne ne craint pas d'annoncer que son ennemi l'a déchiré et mis en pièces. La plainte en adultère semble n'avoir été que le prétexte d'une diffamation mille fois plus cruelle. Le sieur de Pelletot n'a respecté ni le nom, ni les alliances, ni les protecteurs du comte de Bragelongne. Il s'est érigé en censeur public ; lui qui n'est pas digne d'exister, même avec la honte qui le couvre ! Ce n'était pas assez pour contenter sa fureur de travestir l'attachement de la dame de Pelletot au comte de Bragelongne en un honteux concubinage ; il fallait encore charger le tableau de circonstances plus criminelles et plus odieuses que l'adultère. Il ne s'en est pas tenu là ; il n'a pas voulu qu'il restât au comte de Bragelongne un seul trait avantageux. Il a jeté des doutes sur sa naissance, il a diffamé sa maison, ses habitudes, ses penchants, ses liaisons, ses amis, et même son épouse. Sa probité n'est plus pas ménagée ; le sieur de Pelletot ne lui en accorde que les dehors ; il ose l'accuser d'employer l'art le plus délié de la séduction pour préparer des machinations de vol. L'indigne ! Est-il fait pour sentir la force d'un si sanglant outrage ? Tous ces chefs d'accusation ont été concertés avec les mêmes témoins subornés pour l'adultère. C'était une partie essentielle du complot destiné à consommer le vengeance du sieur de Pelletot. Mais en attendant que leurs dépositions soient écrasées sous le poids des reproches, et que ces abominables suppôts de l'imposture subissent la peine due à leurs mensonges, le comte de Bragelongne en appelle sur tous ces faits à la notoriété publique. Que le sieur de Pelletot lui dispute, s'il l'ose, l'avantage d'une vie jusqu'à présent sans tâche et sans affront. Qu'il lui enlève, s'il le peut, l'honneur de ses alliances et de ses protections qui, comme on l'a vu, remontent jusqu'au trône. Qu'il appelle en témoignage les grands, dont le comte de Bragelongne a toujours éprouvé la bonté et l'estime. Qu'il leur oppose (il en aurait l'audace) ces gens tirés de la plus vile populace, plus abjects par la dépravation de leurs cœurs que par leur extraction et leur misère. Qu'il compare ces témoignages si différents sur le même homme. Le comte de Bragelongne a vécu toute sa vie dans le monde, et même dans le grand monde. A-t-il été banni des sociétés comme un monstre ? Méconnu, désavoué par ses parents et ses alliés ? Convaincu, soupçonné même, de lâcheté, de bassesse ou de corruption ? Qu'on en juge par les places qu'il a occupées, par la famille illustre dans laquelle il est entré par son mariage, par le grand prince qui a présidé à leur union, et qui l'a depuis honoré d'une faveur éclatante. Qu'on en juge encore par le nombre et le rang de ceux qui s'intéressent aujourd'hui au sort du comte de Bragelongne. On est venu à son secours de toutes parts ; sa conduite a répondu de son innocence ; et le traître qui le poursuit avec un troupe de scélérats n'a réussit à le priver de sa liberté qu'en le dépouillant de son nom et de sa noblesse, qu'en le faisant passer pour un vil aventurier. Mais pourquoi le comte de Bragelongne s'occuperait-il sérieusement à repousser les infamies dont le sieur de Pelletot chercher à le couvrir ? Le mépris est la seule défense qui lui convienne avec un adversaire si décrié. Que le sieur de Pelletot sache que son indignité, et celle de ses témoins, n'est pas la seule réponse à toutes ses accusations. Fussent-elles aussi évidentes que la lumière du jour, il ne lui appartiendrait pas de les déférer à la justice. Un mari qui poursuit le crime d'adultère n'a pas le droit de faire informer sur d'autres crimes. Si la loi lui a confié la vengeance de son honneur, elle ne l'a pas constitué juge des mœurs de celui qu'il accuse. Sa poursuite toujours relative à son intérêt personnel ne peut jamais autoriser ni comprendre une information de vie et de mœurs. La nature des faits dont il s'agit est donc contre le sieur de Pelletot une fin de non recevoir invincible. Il n'est pas question de savoir comment le comte de Bragelongne s'est conduit dans le monde. C'est au public à en juger par ce qu'il sait, par ce qu'il voit. Mais l'unique intérêt du sieur de Pelletot est de parvenir à compléter sa honte et son ignominie en prouvant, s'il le peut, le prétendu adultère de sa femme. Il ne s'agit pour lui que de gagner la dot, et les conventions matrimoniales. Que ne s'attache-t-il à ce flatteur objet de sa cupidité, et pourquoi veut-il mêler dans sa poursuite, toute intéressée, des faits qui lui sont absolument étrangers. Mais c'est encore là un des caractères de la calomnie. Le sieur de Pelletot n'est pas sûr de vaincre. Il sent qu'il en est indigne. Il n'ignore pas que ses témoins sont incapables de faire foi. Mais il a voulu blesser, quoi qu'il arrive, la réputation de celui qu'il a choisi pour victime. Cette diffamation est toujours entrée dans son plan, d'attaque. Il a commencé par distribuer d'horribles libelles, qui lui ont donné le plaisir d'ébranler la fortune du patron de sa femme. L'honneur lui reste ; il veut l'en dépouiller encore, et voilà l'objet de la nouvelle diffamation. Mais si l'adultère n'était pas une calomnie, si les preuves en étaient claires, si le succès en était assuré, verrait-on le sieur de Pelletot occupé d'autres objets ? Ses effort décèlent sa faiblesse autant que a profonde malignité. Mais ils sont impuissants et odieux. La justice ne verra dans cette affaire qu'une accusation d'adultère mêlée d'injures et d'invectives qui ne sont dignes que de mépris. [En marge : Adultère] Attachons-nous donc à l'adultère, et voyons si les faits avancés par l'accusateur son vrais, s'ils ont prouvés. [En marge : Défaut de vraisemblance] D'abord toutes les apparences s'élèvent contre lui. Sa femme est âgée de 44 ans, et il n'y en a que 2 qu'elle est connue du comte de Bragelongne ? Si le sieur de Pelletot lui a trouvé des charmes dans sa jeunesse, il faut que ses malheurs l'aient bien changée. Car elle n'est plus faite pour inspirer des désirs. Aussi le comte de Bragelongne n'a-t-il éprouvé à sa vue qu'une sensibilité compatissante, fort différente de la tendresse. Et comment le soupçonnerait-on d'intrigue avec une femme de cet âge, lui qui depuis 10 ans n'a pas quitté un seul jour une épouse chérie, jeune encore, et digne de son amour autant que de son respect ? La sincérité de leur union ne peut-être douteuse, depuis qu'on a vu la comtesse de Bragelongne redoubler d'attachement et de zèle pour son mari dans cette malheureuse affaire, le consoler, le plaindre et publier hautement son innocence. Quel éloge pour le comte de Bragelongne dans une accusation de ce genre, que celui de sa propre femme ! Que ce témoignage est précieux ! Que ce courage est décisif ! S'il était coupable, s'il avait violé la foi conjugale, si sa femme avait été témoin de ses désordres, se chargerait-elle de le justifier ? Serait-elle inquiète et tremblante sur le sort de son mari, ferme à soutenir sa cause, et à déposer de sa bonne conduite ? Aurait-elle été jusqu'aux pieds du trône implorer la justice du meilleur des rois et solliciter les suffrages de la Cour pour un époux qui l'aurait trahie ? Cependant, à en croire le sieur de Pelletot, rien n'était moins caché que le commerce criminel dont il se plaint. Le crime se montrait à découvert, il cherchait des regards, il appelait des témoins. Ah ! qu'il est aisé de voir que cet homme n'a jamais éprouvé les douceurs du mariage ! Si son âme eût été assez pure pour s'ouvrir à ces impressions, il aurait senti ce qu'on doit à la jalouse inquiétude d'une épouse respectable. Il n'aurait pas brisé des nœuds légitimes pour s'attacher à des prostituées. Il n'aurait pas trouvé en lui-même l'exemple d'un mari qui brave la vertu de sa femme. Mais qu'il apprenne que la comtesse de Bragelongne n'est pas née pour essuyer de pareils outrages, et quelle n'eût jamais pardonné à son mari ses écarts, surtout s'ils avaient été publics. C'en est assez pour foudroyer cette accusation étrange, dans laquelle on compromet avec impudence l'honneur de la femme et les mœurs du mari. Car leur cause est ici commune, leurs intérêts sont inséparables. La comtesse de Bragelongne n'a pas perdu de vue son mari un seul instant. Elle est le garant de ses mœurs ; elle répond à la justice et à toute la terre de sa fidélité. C'est en sa présence et sous ses yeux, c'est à sa recommandation que le comte de Bragelongne a reçu dans sa maison la dame de Pelletot. Ce seul fait détruit tous les soupçons, et ils achèvent de disparaître, quand on voir la comtesse de Bragelongne crier à l'imposture et à la calomnie. Que la fougue des passions, la violence du tempérament, le dégoût d'un mariage mal assorti précipitent dans la débauche un jeune homme sans expérience ; que le caprice l'attache à une femme jeune et belle, et qu'il la voie dans le secret, c'est un égarement dont notre siècle pourrait fournir plusieurs exemples. Mais qu'un homme d'un âge mûr et d'un nom distingué, attaché à une épouse par les plus tendres liens, oublie tout à coup ses devoirs les plus essentiels ; qu'il se jette en insensé dans les bras d'une étrangère ; qu'il se livre sans pudeur, sans ménagements et dans sa propre maison ; qu'il fasse publiquement trophée d'une passion aussi infâme que ridicule, c'est le comble de l'extravagance et de l'absurdité. Comment donc le sieur de Pelletot s'est-il flatté de faire adopter une fable si mal concertée, un roman si peu vraisemblable ? Encore si les excès dont il se plaint avaient été précédés de quelques soupçons ! Si les accusés avaient donné prise à la censure par une conduite suspecte depuis longtemps ! Mais il y avait à peine six mois qu'ils se connaissaient, quand la calomnie est venue les déchirer. Avant cette époque, ils avaient joui l'un et l'autre de la meilleure réputation. Le sieur de Pelletot avait rendu un hommage public aux bonnes mœurs de sa femme, depuis même qu'elle plaidait contre lui. Le comte de Bragelongne avait pour lui, sans compter tout le reste, l'honneur d'appartenir à une princesse de sang qui ne chérissait que la vertu. Le plus affreux débordement aurait donc succédé sans intervalle à l'honneur et à la décence ; le comte de Bragelongne et la dame de Pelletot seraient devenus en un instant familiers avec le crime, qu'ils n'avaient jamais connu. Par quel prodige se serait opéré un changement si subit et si extraordinaire ? Mais la force de ces réflexions devait échapper au sieur de Pelletot dans l'accès de rage qui l'agitait. Il voulait perdre sa femme, dont l'existence lui est depuis longtemps importune, et envelopper dans sa ruine celui qui l'avait protégée. La vengeance étouffait en lui tous les autres sentiments ; elle ne lui permettait pas de songer à la vérité, ni de respecter la vraisemblance. C'est ainsi que la providence permet que les calomniateurs tombent eux-mêmes dans les pièges qu'ils ont dressés. Tel est ici l'avantage des accusés, que toutes les circonstances de l'accusation déposent contre l'accusateur. Il n'a réussi qu'à manifester la récrimination qui le fait agir. [En marge : Récrimination] Dans quelles circonstances le sieur de Pelletot vient-il accuser sa femme d'adultère ? C'est lorsque, après dix ans de poursuites et de procédures, la dame de Pelletot était au moment de faire prononcer sa séparation. Déjà ses cris avaient ému la justice. Elle avait obtenu des aliments. Elle allait triompher pleinement de son persécuteur, le démasquer aux yeux de tout l'Univers, révéler ses horribles forfaits jusqu'alors ensevelis dans le silence. Sa victoire était sûre après quinze ans de patience et de larmes. Tout à coup le sieur de Pelletot se souvient qu'il lui reste un dernier trait de noirceur et de perfidie. Il suspend sa défaite par un effort inattendu. Cette femme, dont la vertu n'avait pas été soupçonnée tant qu'on se flattait de la traiter en esclave, devient criminelle sitôt qu'elle demande justice. Lorsque le sieur de Pelletot la chassa de son lit, il y a dix ans, pour y faire entrer des prostituées, il n'avait pas craint de l'abandonner à elle-même ; il ne doutait pas de ses mœurs. Mais alors elle n'était que malheureuse : aujourd'hui qu'elle élève la voix pour se plaindre, sa vertu disparaît dans l'ombre ; elle se voit tout à coup transformée en une infâme adultère. Que veut- on de plus pour prouver la calomnie ? Quel indice plus fort de récrimination et de vengeance ? Le sieur de Pelletot n'est point un mari malheureux, victime de sa faiblesse et de sa complaisance, forcé enfin par l'éclat du scandale à publier sa honte. C'est un plaideur obstiné qui depuis dix ans échappe par mille détours aux poursuites de sa femme. Toujours attaqué, jamais réduite, il l'a trompées par de fausses assurances, il a transigé avec elle, et n'a point tenu sa parole ; il l'a laissé manquer de tout, et l'a forcée de demander des aliments à la justice. L'action en adultère s'est présentée à lui dans sa colère comme un instrument de persécution et de vengeance. Il eût toujours respecté la vertu de sa femme si elle avait eu moins de courage, et si elle n'avait osé l'attaquer la première. D'un autre côté, le comte de Bragelongne est devenu l'ennemi du sieur de Pelletot dès que celui-ci l'a connu pour le bienfaiteur de sa femme. Sa haine s'est accrue en proportion de la générosité du comte de Bragelongne. Il l'a d'abord diffamé par des libelles, ensuite il a renversé sa fortune en lui faisant perdre une place avantageuse. Enfin, il l'accuse d'adultère. Mais les circonstances sur lesquelles il appuie cette accusation sont précisément les motifs secrets de sa vengeance. Il ne peut pardonner au comte de Bragelongne les secours qu'il a procurés à la dame de Pelletot, l'hospitalité qu'il lui a donnée. Et c'est de là qu'il argumente pour établir l'adultère. Le comte de Bragelongne eût voulu taire à jamais les services qu'il a rendus généreusement à la dame de Pelletot. Mais, puisqu'on le force à en justifier le motif, il ne craint pas de s'en faire honneur. Oui, la dame de Pelletot était malheureuse, et il l'a secourue ; elle était réduite à la plus grande misère, et il a taché d'adoucir son sort ; elle n'avait point d'asile contre la persécution et les outrages de son mari, et il lui a ouvert sa maison. Que la calomnie verse son poison sur ces faits, ils deviendront autant de crimes. Mais il n'est point d'action louable et honnête, qu'on ne puisse altérer et corrompre. Ici, les circonstances ont heureusement servi la droiture et la pureté des intentions du comte de Bragelongne. S'il prend pitié de la dame de Pelletot, c'est sa femme qui la lui présente comme son amie, et qui la recommande elle-même. S'il la reçoit dans sa maison, sa femme y demeure avec elle et n'aperçoit rien qui la scandalise. S'il l'accompagne en Normandie, sa femme et sa fille sont du voyage et sont témoins de sa bonne conduite. Enfin, si au retour de ce voyage, il se voit obligé d'habiter avec la dame de Pelletot, sa femme et sa fille l'y suivent encore, et la dame de Pelletot est pour tous une amie commune. La liaison du comte de Bragelongne et de la dame [de] Pelletot a été publique, parce qu'elle était honnête. L'innocence ne cherche pas le mystère, elle ne craint pas le grand jour. Si le crime eût régné entre eux, que leur conduite eût été différente ! Ils se seraient dérobés à tous les yeux, ils auraient surtout fui la présence de le comtesse de Bragelongne qui n'aurait pas souffert un seul jour un commerce si honteux et humiliant pour elle-même. Le comte de Bragelongne n'est donc coupable aux yeux du sieur de Pelletot que parce qu'il est venu au secours de sa femme. Voilà son crime. Voilà la source de son accusation, d'ailleurs si dénuée de fondement et d'apparences. Et si la récrimination avait encore besoin d'être prouvée, on en trouverait une nouvelle preuve dans la procédure extraordinaire commencée contre le sieur de Pelletot à la requête du comte de Bragelongne. C'est lorsque le sieur de Pelletot s'est vu décrété sur cette procédure qu'il a lui-même rendu plainte et qu'il a fait entendre comme témoins ceux qui étaient décrétés avec lui comme complices. Ainsi l'accusation d'adultère tombe et s'évanouit, comme purement récriminatoire. [En marge [Caractère] du sieur de Pelletot] Mais qui pouvait arrêter un homme du caractère du sieur de Pelletot ! Il n'est point d'obstacles pour lui. L'honneur : il ne le connaît pas. Son âme est toute entière à la haine et à l'infamie. L'humanité : c'est une vertu. Les témoins : il les a rassemblés dans ces lieux de débauches où il trouve ses plaisirs. Errant et vagabond, sans état, sans domicile, il n'existe nulle part, il fuit toujours, il a honte de se produire en public. Sa retraite la plus ordinaire est chez une prostituée, chez la Fauconnier, femme du peuple, logée rue de la Limace, au quatrième étage, chez laquelle il ose faire élection de domicile dans des actes judiciaires. Il est tellement livré à cette vie dissolue qu'il abandonne le soin de ses affaires, et ne connaît pas même ses fermiers qui, ne sachant où le prendre pour obtenir des réparations urgentes, assignent sa femme pour qu'elle leur indique sa véritable demeure. Jetons un voile sur le reste de son histoire, malheureusement trop publique et trop scandaleuse. Et il réclame la protection des lois, la foi du mariage ! C'est du sein de la débauche que sa voix se fait entendre ; il est dans les bras d'une prostituée, au moment même où il poursuit l'adultère. Quelle indignité ! Quel scandale ! L'adultère n'est pas dans nos mœurs un crime public, dont la dénonciation soit permise à tous les citoyens, dont la poursuite appartienne aux magistrats chargés de la police générale. Le mari seul a le droit de s'en plaindre. C'est une action que la loi lui donne pour venger une injure qui lui est personnelle. Mais le principe qui fixe cette action sur la tête du mari, l'assujettit dans sa main à toutes les règles des actions ordinaires. De là cette maxime connue, que le mari qui a transigé sur l'adultère, ne peut en reprendre la poursuite. Il est juste en effet qu'il soit privé de son droit, lorsqu'il y a renoncé. Mais n'est-il pas plus juste encore qu'on lui en refuse l'exercice quand il s'en est rendu indigne ? N'y renonce-t-il pas véritablement par son indignité ? Si malgré sa débauche personnelle, ses mœurs publiquement dépravées, il implore le secours de la loi, elle le repousse avec indignation, comme un assassin qui demanderait la récompense de son crime. Et quand le sieur de Pelletot se présente à la justice environné de ses bâtards adultérins, sortant du lit de sa concubine, tout couvert de honte et d'opprobre, il serait favorablement écouté ! On le dit avec confiance : il est non recevable, il n'a pas d'action contre sa femme. Fût-elle coupable, il lui aurait rendu par sa conduite les droits qu'il avait sur elle, il lui aurait assuré lui-même l'impunité par son exemple. Ces réflexions générales sur l'accusation pourraient dispenser le comte de Bragelongne de l'approfondir davantage. Elle est absurde et sans vraisemblance ; la récrimination en est le principe ; l'accusateur est non recevable. Chacun de ces moyens est frappant et décisif. Combien leur réunion n'a-t-elle donc pas de force ? Mais le comte de Bragelongne ne se croira justifié que quand il aura terrassé ce colosse d'impostures, cette vile cohorte de témoins dont le nombre donne tant de confiance au sieur de Pelletot. C'est là le fort de l'attaque ; c'est aussi le triomphe de l'innocence. On sera indigné du caractère et de l'infamie de tous ceux que l'accusateur a mis en œuvre ; et s'il restait encore des nuages dans cette affaire, ils se dissiperont d'eux-mêmes, quand on verra que les témoins sont des scélérats indignes des regards et de la confiance de la justice. [En marge : Caractère des témoins] Le premier et le plus impudent de tous est cette Suzanne Ussenot [cf. 26 mars 1761 (1)], ci-devant domestique de la dame de Pelletot, qui l'a chassée pour libertinage et pour vol. Elle était dès lors la plus cruelle ennemie de sa maîtresse, qu'elle venait insulter et outrager dans sa maison à l'instigation du sieur de Pelletot, comme il est constaté par la plainte du 30 mai 1760. Cette plainte serait un reproche suffisant contre ce témoin, si sa déposition ne prouvait encore plus clairement son inimitié. Elle se plaint d'avoir été frappée par la dame de Pelletot ; elle avoue qu'elle a insulté le comte de Bragelongne parce qu'il contribuait à la faire chasser. Ainsi s'exprime-t-elle contre les accusés avec un comportement qui caractérise la passion et la haine. Ce témoin est encore reprochable pour avoir sollicité et suborné presque tous les autres, comme plusieurs en sont convenus, soit au récolement, soit à la confrontation. Il lui a été reproché, sans qu'elle ait pu s'en défendre, qu'elle avait accompagné le sieur de Pelletot, et Bellecour, mari de la fille naturelle du sieur de Pelletot, pour engager la nommée Gilbert et la femme Julien à déposer, sous promesse de sommes considérables. Elle a fourni elle-même à la confrontation, la preuve de on intelligence avec l'accusateur, en disant que les sieurs de Pelletot et de Bellecour déniaient formellement les faits qui lui sont reprochés. Comment pourrait-elle savoir ce que le sieur de Pelletot pense de ces reproches, si elle n'était pas dans sa confidence, si elle ne vivait pas avec lui dans la plus étroite familiarité ? Cette observation est décisive. Mais le plus grand reproche contre Suzanne Ussenot, c'est son libertinage et sa prostitution. Ces excès l'ont fait chasser par la dame de Pelletot, qu'elle volait pour satisfaire la cupidité des soldats et autres auxquels elle s'abandonnait. Aimée Gilbert, l'un des témoins [cf. 3 avril 1761 (2)], a dit à la confrontation qu'elle savait que Suzanne Ussenot avait communiqué à un garçon marchand de vin le fruit de ses débauches. La Gilbert est aussi convenue, à la confrontation qu'elle avait fait avec la Ussenot, Marguerite Boudin, femme Dutroit, autre témoin [cf. 27 mars 1761 (4)], et trois hommes un souper de débauche le jour du mardi-gras 1760, dans la maison de la dame de Pelletot, qui était absente, et qu'un coureur, nommé Videride, qui était de ce souper, avait passé une partie de la nuit avec Suzanne Ussenot, du lit de laquelle il se sauva en chemise lorsque la dame de Pelletot rentra chez elle. La déposition de cette fille impudique est assortie à son caractère. Elle contient des détails qui révoltent la pudeur et qui sont récités avec une hardiesse qui étonne. L'impudence et la corruption président à toutes ses peintures. C'est une âme noyée dans le vice, qui se dilate et trouve sa joie à en décrire les scènes scandaleuses. Elle ne rougit pas même de s'accuser et de se dégrader, s'il était possible, en s'avouant pour l'infâme ministre des abominations qu'elle invente. Si ces horreurs étaient véritables, il faudrait la punir elle-même comme complice des crimes qu'elle aurait approuvés par son silence, et favorisés par son ministère. [En marge : La Michel] La Michel [cf. 26 mars 1761 (2)] est un personnage encore plus odieux. C'est aussi une prostituée qui, de son aveu (elle en est convenue dans sa confrontation), a consenti aux désirs du nommé Rose, valet de chambre de M. l'envoyé de Suède ; Mathieu Peinte, l'un des témoins, dépose [cf. 3 avril 1761 (1)] qu'elle a eu pour lui la même complaisance. Elle a successivement fait la conquête des sieurs Colard [cf. 31 mars 1761 (3)] et Parfait [cf. 31 mars 1761 (2)], autres témoins, dont l'un a fait en son honneur une chanson obscène. Enfin, elle s'est fixée au nommé Beaussol, aussi témoin [cf. 31 mars 1761 (1)], dont elle partage le lit et la table, demeurant avec lui, comme elle l'a avoué à la confrontation, où elle est encore convenue qu'elle avait été enfermée trois fois à l'hôpital pour raison de libertinage. Mais quel indigne rôle vient-elle jouer dans cette affaire après ce qui s'est passé ? On se rappelle qu'elle avait d'abord séduit la comtesse de Bragelongne par de faux dehors qui l'avaient fait prendre pour une femme bien née. Devenue l'amie de la dame de Pelletot, elle logeait avec elle, et elle était demeurée gardienne de sa maison pendant son voyage en Normandie. Alors elle écrivait au comte de Bragelongne des lettres qui respiraient la confiance et l'attachement. Elle l'instruisait des libelles diffamatoires que le sieur de Pelletot commençait à répandre. Elle était dans un chagrin mortel de cette diffamation, contre laquelle elle faisait des vœux bien sincères. Le comte de Bragelongne, qu'elle connaissait alors depuis longtemps, était à ses yeux un galant homme poursuivi par la calomnie. Ses ennemis profitaient de son absence pour l'accabler. On le déclarait d'une manière si indigne, et qu'il méritait si peu ! Il se donnait généreusement des peines pour la dame de Pelletot. La bonté de son cœur lui rendait de mauvais offices. Il n'avait rien fait qui ne fût conforme aux lois de l'humanité et de plus saine justice. Sa conduite à cet égard était totalement irrépréhensible. Voilà dans quels termes la Michel s'exprimait sur la liaison du comte de Bragelongne et de la dame de Pelletot. Ce n'était pas alors un homme qu'elle connût pour avoir les mœurs dépravées, comme elle ose l'avancer dans sa déposition, faisant de sa maison un lieu public, et se livrant sans retenue à des excès de tous genres. Comment concilier les expressions de ses lettres avec le langage de sa déposition ? Elle a fait de vains efforts pour sauver une contradiction aussi frappante. Elle a dit que le comte de Bragelongne avait pris sur elle tant d'empire qu'elle n'osait se plaindre d'un scandale dont elle était révoltée. Mais elle n'a point dit qu'elle était restée vingt-sept mois dans cette maison scandaleuse, et qu'elle y était si bien maîtresse d'elle-même, qu'elle s'en est retirée dès qu'elle l'a voulu pour aller demeurer en chambre garnie avec Beaussol, son amant actuel. La vérité est qu'il lui en coûtait trop pour se contraindre dans une maison honnête, lorsqu'elle a voulu suivre le penchant naturel qui l'entraînait vers la débauche. Sa retraite est du lendemain du retour en Normandie. Elle avait scandalisé les voisins par ses excès ; elle crut devoir prévenir les reproches par la fuite. Mais il est impossible que les faits qu'elle débite soient véritables. Si elle prétend qu'ils sont antérieurs aux lettres, il suffit de les lire pour être convaincu du respect et de l'estime qu'elle avait eus jusque alors pour le comte de Bragelongne. Dira-t-elle qu'elle a tout vu depuis l'époque de ses lettres ? Il est aisé de la confondre parce qu'il est certain que depuis le retour de Normandie, qui a suivi immédiatement les lettres, elle n'a pas conservé la moindre relation avec les accusés. C'est donc la séduction de Beaussol et du sieur de Pelletot qui a changé les idées de la Michel, et qui la fait parler contre sa conscience. Mais c'est aussi le fruit de la vengeance et de la récrimination. Cette femme perfide est devenue la confidente du sieur de Pelletot, presque aussitôt qu'elle a eu quitté le comte de Bragelongne. Elle a eu la noirceur de semer elle-même les libelles diffamatoires dont elle avait averti le comte de Bragelongne ; et elle s'est trouvée par là comprise dans la poursuite criminelle commencée à ce sujet. Elle était aussi en procès civil avec le comte de Bragelongne au moment de sa déposition. Elle est convenue, à la confrontation, qu'il avait obtenu une sentence contre elle, et il est prouvé, par pièces produites, que dès le mois d'août 1760, le comte de Bragelongne l'a fait assigner en paiement d'une somme de 1 264 liv[res] 18 s[ols] 6 d[eniers] à quoi elle a été condamnée par sentence du Châtelet du 29 octobre 1760 et du 26 janvier 1762. Il a encore obtenu contre elle le 20 janvier et le 3 mars 1762, deux autres sentences portant mainlevée d'une opposition qu'elle avait faite sur lui, par acte du 6 juillet 1761. Ainsi l'inimitié de la Michel contre le comte de Bragelongne ajoute encore à sa perfidie et à son indignité. Ce sont autant de garants de son imposture qui concourent tous à faire rejeter son exécrable déposition. [En marge : La Boucry] La Boucry [cf. 2 avril 1761 (3)], ci devant domestique de la dame de Servandoni, s'annonce elle-même pour la compagne et l'amie de Suzanne Ussenot, à laquelle elle a donné retraite lorsqu'elle fut chassée de chez la dame de Pelletot. Elle a bien répondu aux sentiments de haine que la Ussenot lui inspira dès lors contre les accusés. Elle n'a pas même eu l'adresse de cacher son animosité dans sa déposition. Elle y raconte qu'elle a insulté le comte de Bragelongne ; elle se vante des injures qu'elle a proférées contre lui. Et c'est après s'être ainsi récusée elle-même, que pour aggraver le reproche, elle manifeste son intelligence avec Suzanne Ussenot, en copiant littéralement sa déposition dont elle rend les faits dans les mêmes termes. Mais pour être convaincu de la subornation de ce témoin, il suffit de comparer la déposition de la Boucry avec celle de la dame Servandoni, sa maîtresse [cf. 2 avril 1761 (4)], et du chevalier de Savoisy [cf. 9 mai 1761 (4)]. C'est en leur présence que la Boucry prétend avoir entendu, de la bouche des accusés, l'aveu de l'intrigue qu'elle leur suppose. Les discours licencieux qu'elle rapporte comme débités publiquement en compagnie de ces deux témoins dignes de foi se trouvent désavoués formellement par leur déposition. La dame Servandoni dépose qu'elle n'a aucune connaissance des prétendus déportements de la dame de Pelletot ; et quand le comte de Bragelongne lui a représenté à la confrontation les horreurs que sa domestique disait s'être passées en sa présence, elle ne s'est pas rétractée. Le chevalier de Savoisy, brigadier des armées du Roi, a déclaré de même qu'il n'avait jamais rien connu en la dame de Pelletot contre l'honneur et la décence, et il a ajouté dans son récolement qu'on en avait imposé à la justice, en le citant comme témoin des désordres faussement imputés aux accusés. C'est ainsi que la Boucry est démentie par ceux mêmes dont elle invoque le suffrage. Leur dénégation est sans doute d'un grand poids contre le témoignage d'une vile servante. Il en résulte une preuve complète de la fausseté de sa déposition et du complot horrible quand lequel Suzanne Ussenot l'a entraîné. [En marge : Mathieu Peinte] Mathieu Peinte [cf. 3 avril 1761 (1)], digne de figurer avec les trois premiers témoins, est un malheureux laquais dont il a été d'autant plus facile de corrompre le témoignage qu'il n'est âgé que de seize ans et qu'il est, de son aveu, dans la plus affreuse misère. Sa sœur, entendue depuis par addition [cf. 7 décembre 1761 (5)], est une prostituée qui attaque les passants et qui ne rougit pas de leur dire qu'elle fait subsister sa mère et son frère par son infâme commerce. Sa mère a été décrétée à la requête du comte de Bragelongne dans l'affaire des libelles, sous la désignation d'une quidam vêtue d'une robe jaune. Il a lui même été compris dans la plainte de la dame de Pelletot rendue le 26 juillet 1760 devant le commissaire Chenu, laquelle est jointe au procès. Il est accusé dans cette plainte d'avoir répandu des discours calomnieux contre la dame de Pelletot, dont il avait été domestique, notamment d'avoir dit publiquement qu'elle allait être rasée et enfermée. Ce sont les termes de la plainte qui a été rendue dans un temps non suspect. Mais il a fait lui-même l'aveu de son indignité personnelle en déclarant dans sa déposition et à la confrontation qu'il avait eu un mauvais commerce avec la veuve Michel. Et, pour preuve de la corruption prématurée de son cœur, il ajoute avec regret que ce commerce n'a pas duré et que la Michel n'y a voulu consentir qu'une fois. Quelle impudence ! Est-ce après de pareils aveux qu'on ajoutera foi aux horreurs que cet infâme débauché a débité contre les accusés ? Il était encore tout couvert des rougeurs de la petite vérole lorsque le comte de Bragelongne le retira par charité à l'hôtel de Modène, où il demeurait alors. Mais sa figure effraya tellement la princesse qu'elle donna ordre de le renvoyer promptement. C'est un fait dont la sœur de Peinte est convenue dans sa déposition ; et il a avoué lui-même à la confrontation que le comte de Bragelongne lui avait défendu de se montrer dans l'hôtel pour ne pas faire peur aux dames. Ce qu'il a dit dans sa déposition est donc une absurdité évidente, dictée par le sieur de Pelletot qui abuse indignement de sa misère et de sa jeunesse. La subornation est ici d'autant plus marquée que ce malheureux est entré au service de Bellecour, gendre du sieur de Pelletot, quelque temps après être sorti de chez le comte de Bragelongne. [En marge : Dessales et sa femme] Dessales [cf. 29 avril 1761 (2)] et sa femme [cf. 29 avril 1761 (1)] sont encore des domestiques chassés par le comte de Bragelongne avec ignominie. Car il n'y a dans toute cette affaire que des gens de cet état, ou d'un rang plus bas encore, et tous sont convaincus d'inimitié contre les accusés. Dessales a eu l'audace de lever la main sur son maître lorsqu'il a été chassé de son service, et il a fallu beaucoup d'efforts à ceux qui étaient présents pour arrêter ses violences. Il est convenu, ainsi que sa femme, de cette scène indécente, en s'excusant néanmoins sur le faux prétexte que le comte de Bragelongne les avait poursuivis et menacés, l'épée à la main, suivant la femme, et au dire de son mari, le poignard sur la gorge. Mais cette imputation récriminatoire prouve encore davantage l'animosité de ces deux domestiques qui, depuis leur expulsion, se sont entièrement livrés au sieur de Pelletot. Cette liaison de Dessales et sa femme avec l'accusateur est si publique, que le jour de leur confrontation, ils ont été dans un cabaret, rue des Foureurs, accompagnés de Beaussol et du sieur de Pelletot lui-même, pour s'applaudir avec lui du succès de leurs calomnies. Ils y firent entrer avec eux deux particuliers, l'un nommé Dévol, l'autre Carpentier, maître tailleur, auxquels ils débitèrent mille invectives contre les accusés ; et Dévol leur ayant paru être dans la misère, ils lui proposèrent de l'argent et des vêtements, s'il voulait déposer comme eux. Un fait si grave et si odieux étonnerait sans doute si l'on ne savait que des valets chassés par leur maître deviennent leurs plus cruels ennemis. Dessales a d'ailleurs en lui-même des ressources pour commettre le mal sans remords. Il y a longtemps qu'il est familiarisé avec le crime. Il est convenu à la confrontation qu'il avait été mis à Bicêtre pour avoir débauché une fille. Quelle idée faut-il avoir d'un pareil témoin, surtout en matière d'adultère ? De leur aveu, Dessales et sa femme ne sont restés que quinze jours au service du comte de Bragelongne. Cependant, à les entendre, ils ont vu dans un si court intervalle tout qu'il est possible de voir pour constater l'adultère. Mais comme il a fallu, pour soutenir ce mensonge, composer une histoire qui eût quelque vraisemblance, ils se sont trahis eux-mêmes dans le récit des circonstances essentielles à leurs dépositions. Ils ont dit des absurdités ; ils sont tombés dans des contradictions grossières ; de sorte que l'imposture ne peut pas être plus évidente. C'est par un trou dit le mari ; c'est par une fente de la porte, dit la femme, que le crime a été aperçu. Mais la porte de la chambre dont ils parlent est encore actuellement sans trou ni fente. D'ailleurs la disposition de cette chambre détruit l'allégation, car elle est au premier étage, rue de Grenelle, vis-à-vis la fontaine, et les fenêtres en sont si basses qu'il est facile d'apercevoir de la rue tout ce qui se passe dans la chambre. Le lit qui servait alors à Dessales et sa femme était placé dans un angle fort éloigné de la porte, qui était couverte d'une tapisserie. Mais est-il possible, est-il naturel que cette chambre, destinée à des valets qui en avaient la clef, ait été, comme ils le prétendent, le séjour ordinaire de leur maître. La femme Dessales dit que c'est elle qui a donné la clef de la chambre, et qu'elle a été ensuite avertir son mari. Celui-ci dit au contraire que c'est à lui qu'on a demandé cette clef, en lui disant d'empêcher sa femme de venir. Il y a ici une contradiction complète. C'est dans le détail [des] circonstances que le mensonge se découvre. Qu'ils s'accordent donc sur cette clef si importante à la vérité de leur histoire. Mais ils sont bien loin d'être d'accord sur tout le reste. Le mari dit qu'il a vu seul ; il avait dit à sa femme de ne pas venir. La femme dit au contraire qu'elle a averti son mari, et qu'elle a vu avec lui et le nommé Carillon. [En marge : Carillon] Ce Carillon [cf. 4 avril 1761 (1)], porteur d'eau, solliciteur de témoins et suborné lui-même, ne dit pas un mot de ce fait si singulier. D'abord il a déposé qu'il n'avait aucune connaissance des faits de la plainte. La subornation pratiquée depuis pour le gagner lui a fait ajouter quelque chose dans son récolement, mais ce n'a point été pour attester le fait de la femme Dessales. Il a inventé une fable toute différente, dont il ne se donne même pas pour témoin oculaire, et dont les circonstances telles qu'il les a conjecturées seraient incompatibles avec l'autre histoire, qu'il n'aurait pas manqué de raconter si elle était vraie. Ainsi sa déposition et son récolement démentent la femme Dessales qui d'ailleurs est, comme on l'a vu, contredite par son mari. Qu'on examine attentivement les récits de ces trois témoins, on y reconnaîtra facilement que tout ce qu'ils disent de cette chambre n'a pas la plus légère apparence. Carillon précisément qu'il n'a rien vu ; Dessales dit qu'il a vu seul ; la femme Dessales cite Carillon et son mari comme ayant vu avec elle. Voilà la preuve complète de l'imposture de tous les trois. Mais au reste quelle confiance pourrait-on avoir en des témoins assez lâches et assez vils pour avoir été eux-mêmes au devant du crime ? Quelle bassesse, quelle infamie de se donner pour spectateurs bénévoles d'une scène qui ferait fuir tous les honnêtes gens ! Ce seul aveu, qu'ils ont été curieusement observer à la porte ce qui se passait dans la chambre, suffirait pour anéantir leur témoignage, quand même il n'y aurait pas preuve du contraire. Un homme d'honneur et digne de foi ne se plait pas à repaître ses yeux d'un spectacle aussi scandaleux ; et si le hasard l'en avait rendu témoin malgré lui, il rougirait d'en rendre compte. Il faut avoir renoncé à la pudeur et à tous les sentiments honnêtes pour épier de telles horreurs, et quiconque a la hardiesse de les débiter peut et doit même être soupçonné de les avoir inventées. Ici les soupçons sont vérifiés par d'autres circonstances. La débauche de Dessales, sa haine contre le comte de Bragelongne, sa contradiction avec sa femme, le témoignage même de Carillon, tout démontre que ce sont des imposteurs indignes des regards de la justice, et qui doivent être repoussés de son sanctuaire. N'y a-t-il pas de l'impudence à produire pour témoins la Bocard, la Gilbert, La Claudien, la Galotot, la Saint-Aubin, toutes également connues pour des femmes publiques, dont le nom seul est un reproche ? [En marge : La Bocarde] Euphrasie Catin, dite Bocard [cf. 2 avril 1761 (5)], est une fille suisse, autrefois servante du nommé Berlimont, et de la dame de Pelletot, qui a vécu en mauvais commerce avec l'un des bâtards adultérins du s[ieu]r de Pelletot. Elle est convenue à la confrontation qu'elle avait eu un enfant de lui, et il est certain que le sieur de Pelletot avait forcé sa femme de faire une donation à cette fille, pour la faire épouser à son fils. L'acte en a été passé chez Me Robineau, notaire, et c'est la révocation de cette donation qui a mis la Bocard en fureur contre les accusés. Mais la franchise naturelle à sa nation ne lui a pas permis de soutenir hardiment le mensonge qu'on lui avait fait dire dans sa déposition. Car elle a déclaré au récolement qu'elle ne s'était aperçue d'aucune liberté entre les accusés, quoi qu'elle eût déposé qu'elle en avait vues qui l'avaient scandalisé au point de sortir de la chambre. Et à la confrontation, elle s'est rétractée encore plus précisément, en disant qu'elle n'avait jamais rien connu de répréhensible dans la conduite de la dame de Pelletot. Comment accorder ce langage avec celui de la déposition ? La Bocard nous l'a appris elle-même. Elle a ajouté à la confrontation qu'il était à sa connaissance que Suzanne Ussenot n'avait cherché qu'à détruire la dame de Pelletot en débitant contre elle toutes sortes d'horreurs, dont elle, déposante, ne savait rien personnellement. C'est-à-dire que Suzanne Ussenot est l'auteur des faussetés contenues dans la déposition de la Bocard. Quel autre en effet que Suzanne Ussenot aurait dicté à la Bocard les mensonges qu'elle a désavoués depuis, puisqu'au moment même qu'elle les désavoue, elle indique Suzanne Ussenot comme chef de la cabale contre son ancienne maîtresse ? Voilà comment la vérité s'est fait jour à travers les artifices et les menées de ‘accusateur. Le sieur de Pelletot ne s'attendait pas que le charme de la séduction cesserait avant le temps, et qu'un des témoins les plus essentiels découvrirait le nœud de l'intrigue. Il n'est plus douteux maintenant que c'est Suzanne Ussenot qui a dirigé tous les témoins, qui les a endoctrinés, et que toutes leurs dépositions, bien appréciées, se réduisent au témoignage unique de cette malheureuse prostituée. [En marge : Aimée Gilbert] Veut-on encore une preuve plus positive de la subornation pratiquée par Suzanne Ussenot ? Elle se tire du récolement et de la confrontation d'Aimée Gilbert [cf. 3 avril 1761 (2)], où elle dit qu'elle n'avait pas vu le comte de Bragelongne dans la chambre de la dame de Pelletot, comme elle l'avait effrontément avancé dans sa déposition, ajoutant que c'est Suzanne Ussenot qui fabrique des témoins oculaires, et qui les présente sur sa parole. Ce n'est pas qu'Aimée Gilbert mérite par elle-même la moindre confiance. C'est une prostituée, faisant le métier de coiffeuse, témoin vénal, qui, suivant qu'elle l'a avoué à la confrontation, a voulu tirer de l'argent des deux parties, ayant demandé 3 liv[res] au s[ieu]r de Pelletot, et 6 liv[res] aux accusés, qu'elle a été trouver à cet effet dans les prisons. Elle a été la compagne de Suzanne Ussenot, avec laquelle elle a vécu en communauté de débauches. Elle est convenue à la confrontation qu'elle avait soupé le mardi-gras de l'année 1760 avec Suzanne Ussenot, Marguerite Boudin, femme Dutroit, le coureur Videride et deux autres hommes, dont chacune avait le sien. Elle a déclaré qu'elle avait vu Suzanne Ussenot avec le coureur Videride à la suite de ce souper scandaleux, et on laisse à penser si la Gilbert a été plus sage. [En marge : La Claudien] De quel front la soi-disant femme Claudien [cf. 27 avril 1761 (3)] a-t-elle paru dans l'information ? Elle s'est donnée par sa déposition pour femme mariée, et il est certain qu'elle vivait alors dans le concubinage avec celui qu'elle appelait son mari. Six mois après sa déposition, et quelques jours avant la confrontation, elle s'est effectivement mariée, et prévoyant le reproche de son libertinage, elle a représenté à la confrontation l'acte de son mariage daté du 1er octobre 1761. Mais ce mariage tardif, fruit des précautions et des craintes du sieur de Pelletot, n'a pas rendu à cette prostituée son honneur et son innocence. Il y a longtemps qu'elle est connue pour une femme de mauvaise vie qui débauche la jeunesse et fait métier de la corrompre. Elle a bien eu l'infamie de prostituer sa propre fille et de poursuivre ensuite pour fait de viol celui auquel elle l'avait vendue, afin d'en tirer une plus grande somme. Aussi a-t-elle abandonné depuis cette poursuite, et elle a dit à la confrontation que le prétendu ravisseur est maintenant à [Bicêtre] [En marge : Marie Galotot] Marie Galotot [cf. 6 août 1761 (2)], qui a été prise à la confrontation pour la Fauconnier, dont elle est la compagne ou la domestique, demeure avec cette prostituée, rue de la Limace, dans la chambre même où le sieur de Pelletot fait sa résidence. Il n'a pas osé faire déposer la Fauconnier, parce que le reproche eût été trop violent contre elle ; mais il a produit la servante, espérant qu'elle ne serait pas connue, ne fût-ce que pour avoir un témoin de plus. Car il beaucoup moins compté sur la qualité des témoins que sur le nombre. [En marge : La Saint-Aubin] La de France, dite Saint-Aubin [cf. 9 mai 1761 (3)], autre prostituée, notée à la police pour tenir maison publique de libertinage et de jeux défendus, est convenue à la confrontation qu'elle avait été condamnée à mille écus d'amende, dont la sentence a été affichée dans Paris. N'est-ce pas une honte que cette ville créature, publiquement déshonorée, ci-devant blanchisseuse, et aujourd'hui d'un état infâme, ayant pris successivement les noms de tous ses amants, s'annonce comme la confidente et l'amie des accusés ? Comment a-t-elle seulement osé paraître à la face de la justice ? [En marge : Saint-Louis] Son prétendu laquais, dit Saint-Louis [cf. 22 août 1761 (1)], qui dans la vérité est l'intendant de ses plaisirs, a débité de concert avec elle les mêmes horreurs, et il ne mérite pas plus de confiance. Outre son commerce scandaleux avec la Saint-Aubin, il est convenu à la confrontation de sa liaison étroite avec le sieur de Pelletot, Bellecour et Beaussol. Ces trois conjurés sont venus trouver ce malheureux dans son grenier, l'ont mené dans un cabaret à la Courtille, à l'enseigne du Faucheur, où ils ont bu avec lui une pinte de vin. Voilà le fait, comme il en a lui-même rendu compte à la confrontation, ajoutant que Bellecour lui avait dit en l'abordant : il y a plus de trois mois que je vous cherche. Quelle idée doit-il rester d'un témoin de cette nature, dont la misère est si affreuse, qu'il n'a pas même de vêtements, et dont le témoignage s'achète dans un cabaret ? Et comment pourrait-on douter de la subornation pratiquée par l'accusateur, quand on voit qu'il ne rougit pas d'aller lui-même à la quête des témoins, malgré la bassesse de leur état ? [En marge : Collard. Parfait] S'il y en a quelques-uns d'une conduite plus relevée, tels que les sieurs Collard [cf. 31 mars 1761 (3)] et Parfait [cf. 31 mars 1761 (2)], ils n'en sont que plus reprochables par la corruption des mœurs. L'un et l'autre ont eu un mauvais commerce avec la Michel, en l'honneur de laquelle le sieur Parfait a composé une chanson infâme, qu'il n'a pas déniée à la confrontation. Ce sieur Parfait est d'ailleurs privé de l'administration de ses affaires, ne jouissant que d'une pension purement alimentaire sur le Mercure de France. Mais au reste, il n'a pas plus de bonne foi que de bonne conduite. Car il en a grossièrement imposé dans sa déposition, en accusant le comte de Bragelongne de s'être vanté en sa présence de la donation que la dame de Pelletot lui a faite. Cependant, il a été prouvé à la confrontation que cette donation n'a été faite qu'un an après que le comte de Bragelongne a eu cessé de voir le témoin. Le s[ieu]r Collard n'a pas été plus scrupuleux. Il a déposé en 1760 dans l'information faite contre le sieur de Pelletot à la requête du comte de Bragelongne. Il est bien étrange que celui-ci le trouve aujourd'hui dans la cabale ennemie, et que le même homme fasse successivement deux dépositions contradictoires, appelant aujourd'hui des vérités ce qu'il traitait hier d'impostures et de calomnies. [En marge : Beaussol] Mais tel a été l'odieux talent du sieur de Pelletot dans cette affaire, qu'il a empoisonné de son souffle tous ceux dont il a sollicité les suffrages. Ce Beaussol, par exemple [cf. 31 mars 1761 (1)], qui lui est si attaché et qui ne le quitte que pour aller se jeter dans les bras de la Michel, est tout à la fois suborneur et suborné, accusateur et témoin, rédacteur des dépositions, comme on le reconnaît aisément au ton de déclamation et à la bouffissure de style qui lui est propre. C'est lui qui a été le secrétaire de la Michel, sa concubine, pour écrire au comte de Bragelongne les lettres qu'elle a signées. Il partageait alors avec la Michel les sentiments d'estime et de respect dont elle était pénétrée pour le comte de Bragelongne ; et malgré son prétendu bel esprit, il n'a pu échapper au reproche accablant qui résulte de ces lettres. Il a dit pour s'en défendre qu'il ne connaissait pas alors le caractère des accusés. Cependant sa déposition porte tout entière sur des faits antérieurs au voyage en Normandie, pendant lequel il a écrit ces lettres ; puisque depuis ce moment il n'a pas vu le comte de Bragelongne ni la dame de Pelletot. Ainsi c'est un imposteur effronté qui se trahit et se dément lui-même. Au reste, son dévouement à l'accusateur est trop public pour que la vérité puisse sortir de sa bouche. C'est lui qui a emmené la Michel dans une chambre garnie aussitôt après le retour du comte de Bragelongne, pour la solliciter plus sûrement à vendre son témoignage. Il vit encore aujourd'hui avec elle, comme elle l'a avoué à la confrontation. C'est lui qui accompagne journellement le s[ieu]r de Pelletot et Bellecour dans les cabarets et dans les autres lieux publics où ils espèrent de trouver des témoins à séduire. C'est lui qui du fond du Marais, où il demeure, a été dès la pointe du jour au faubourg Saint-Lazare pour engager des gens, qui ont perdu des procès contre le comte de Bragelongne, à déposer pour le sieur de Pelletot. Enfin, c'est avec Beaussol que le sieur de Pelletot et Bellecour ont conduit Dessales et sa femme dans un cabaret, rue de Fourreurs, le jour même de leur confrontation, comme on l'a vu dans le reproche fait à Dessales. Il sied bien à ce vil esclave de l'accusateur de prendre un air d'importance, lui qui n'a jamais eu d'autre domicile qu'une chambre garnie à huit livre par mois, et qui loue des habits pour se présenter dans le monde. Il a bonne grâce de se vanter, comme il l'a fait à la confrontation, d'avoir déchiré par générosité un billet de 6 000 liv[res] qui lui était dû, tandis qu'il est obligé d'avouer qu'il enseigne l'histoire dans Paris pour subsister. Qu'on s'étonne après cela de ce qu'il s'annonce avec dignité pour le protecteur de la Michel, qu'il ose appeler femme de bien, après avoir scandalisé tous les voisins, rue de Grenelle, par son commerce avec cette malheureuse qui, de son aveu, sort de l'hôpital pour la troisième fois. [En marge : Famin [Fauvin]] C'est par de semblables liaisons, fruit de la débauche et du libertinage, que la plupart des témoins se tiennent, et qu'on trouve les mêmes faits tant de fois exposés dans les mêmes termes. Famin [Fauvin] [cf. 27 mars 1761 (3)], garçon marchand de vin, rue de la Comédie Française, a déposé, comme la Ussenot, qu'il avait vu le comte de Bragelongne entrer chez la dame de Pelletot à des heures indues. [En marge : La femme Dutroit] C'est aussi le langage de Marguerite Boudin, femme Dutroit, qui a disparu depuis sa déposition. Mais cette uniformité ne doit pas surprendre. C'est Suzanne Ussenot qui a dicté ces dépositions. La Dutroit est une servante de cabaret qui était en tiers ave la Gilbert et la Ussenot dans ce souper de mardi-gras 1760, dont il a été parlé plus haut. Famin [Fauvin] est un libertin qu'on a souvent surpris avec la Ussenot chez la dame de Pelletot Au reste, rien n'est moins criminel que le fait dont ils déposent. La comtesse de Bragelongne allait souvent souper chez la dame de Pelletot, rue de la Comédie, et le comte de Bragelongne, que son service retenait auprès de Madame de Modène, ne pouvait aller que fort tard joindre la dame son épouse. Voilà l'explication de ces visites nocturnes dont on n'a pas réussi à empoisonner le motif. [En marge : La veuve Bodat] La maladresse du calomniateur s'est manifestée davantage dans la déposition de la veuve Bodat [cf. 6 août 1761 (3)], revendeuse à la toilette, ci-devant domestique de l'hôtel d'Aiguillon, d'où elle a été chassée. On lui a fait dire des absurdités révoltantes sur la fortune et la condition de la dame de Pelletot, qui sont invinciblement établies par des pièces authentiques. Elle s'est vantée aussi que le comte de Bragelongne lui avait fait les plus grandes confidences ; elle qui ne le connaît que pour être venue deux fois chez lui l'insulter en présence de plusieurs personnes. Elle voulait forcer le comte de Bragelongne à lui payer le montant d'un billet de la dame de Pelletot, et les injures grossières qu'elle vomît contre lui à ce sujet la firent chasser honteusement par le comte de Bragelongne. Voilà la seule relation qu'il ait eue avec la veuve Bodat. Quelle apparence qu'il l'ait choisie pour sa confidente ? C'est un mensonge impudent et ridicule. [En marge : Touzé] Il est malheureux pour le sieur de Pelletot que Touzé [cf. 13 juillet 1761 (4)], l'un des plus hardis de tous ces imposteurs, se soit rétracté dans son récolement. Ce malheureux peintre, qui n'a d'autre retraite que la chambre de Bellecour, mari de la bâtarde de l'accusateur, a déposé de la façon la plus étrange, et en même temps la plus propre à découvrir le complot. Il s'est avisé de faire le procès à tous les témoins qui n'avaient pu être séduits, en leur faisant tenir des discours absolument contradictoires avec leurs dépositions. Mais c'était là ce que le sieur de Pelletot avait voulu qu'ils déposassent ; et de peur que les faits qu'on avait préparés pour eux ne fussent perdus, il avait chargé Touzé de les rendre comme les tenant de leur propre bouche. On croyait apparemment les intimider par cet artifice, et les forcer de se prêter au mensonge. Mais ils n'ont point répondu à ces espérances. Le chevalier de Savoisy, le sieur Cherbonnel, la femme Hébert, Carillon et plusieurs autres, cités dans la déposition de Touzé comme ayant connaissance de l'adultère, ont été muets sur tous les faits dont Touzé disait qu'ils lui avaient fait la confidence. Lui-même a été obligé de pallier sa déposition, lors du récolement, en disant qu'il n'avait aucune connaissance directe des faits qui y sont contenus, et qu'il n'en sait rien que par ouï-dire. Ce témoin, vendu à l'accusateur, a voulu éluder le reproche de complicité et de cabale, en disant qu'il ne connaissait pas les témoins de l'information ; cependant sa déposition contient les noms de sept à huit témoins, qu'il y donne pour gens de sa connaissance la plus intime. C'est ainsi que le mensonge vacille et se trahit. La séduction plus forte et plus durable sur quelques-uns des témoins cesse plutôt pour les autres. Mais tous sont d'intelligence à perdre les accusés. Ils se citent pour garants les uns les autres, ils se tiennent comme par la main ; et ce qui prouve que l'imposture est l'âme de cette cabale, c'est qu'ils se contredisent pour la plupart, et que plusieurs n'ont pas osé paraître à la confrontation, de peur de se voir confondus par la seule présence des accusés. Le petit nombre d'honnêtes gens qui ont été entendus forme une classe de témoins tous favorables au comte de Bragelongne. Il est bien glorieux pour lui de n'avoir à combattre que des malheureux, et de réunir en sa faveur les suffrages de ceux qui seuls peuvent faire foi en justice. Ainsi trompé dans ses lâches desseins, trahi parles témoins qu'il croyait les plus fidèles, effrayé lui-même de l'indignité de ceux qui ont persisté dans la calomnie, le sieur de Pelletot a provoqué une nouvelle information. Chose étrange et bien digne de remarque, qu'un adultère n'ait pas été prouvé par quarante [trente-cinq avant l'addition !] dépositions ! Quel mari rassembla jamais tant de témoignages pour avoir la preuve de son déshonneur ? Mais aussi quel autre qu'un calomniateur insigne manquerait de preuves après avoir épuisé tous les moyens d'en acquérir ? Sept nouveaux témoins sont venus au secours du sieur de Pelletot, et il était bien juste qu'ils ressemblassent aux autres. Aussi les reproches sont-ils du même genre, et même encore plus frappants. [En marge : L'abbé Giraud] L'abbé Giraud [cf. 7 décembre 1761 (2)], le premier de ces témoins, est depuis longtemps en procès civil et criminel avec le comte de Bragelongne. Le 13 décembre 1759, le comte de Bragelongne rendit plainte devant le commissaire Bouquigny contre cet abbé qui, le même jour, lui avait escroqué dix louis d'or, suivant les circonstances qui sont détaillées en la plainte jointe au procès. Peu de temps après, l'abbé Giraud fit assigner le comte de Bragelongne pour le paiement d'un billet qu'il avait de lui, et il se rendit lui-même justice sur les dix louis escroqués, en consentant qu'ils fussent déduits sur le montant du billet. Ce fait est constaté par la sentence du 31 décembre 1761 qui ordonne cette défalcation, du consentement de l'abbé Giraud. Il a dit à la confrontation qu'il avait donné ce consentement dans la crainte à passer pour usurier, ce qui est bien la meilleure preuve de son escroquerie. Cependant il a osé déposer dans ces circonstances contre le comte de Bragelongne, et le seul fait dont il ait parlé est précisément celui qui a donné lieu à la plainte de 1759. Il s'est étudié dans sa déposition à déguiser les véritables circonstances de cette action si déshonorante pour un homme de son caractère. Mais il a fait de vains efforts pour rejeter sur le comte de Bragelongne l'escroquerie dont il est seul coupable, et dont il a porté la peine, en souffrant la diminution des dix louis qu'il avait escroqués. Quelle impudence dans le s[ieu]r de Pelletot d'avoir sollicité un témoignage si suspect et si facile à confondre ! [Ce témoin est le plus dangereux de tous. Il décrie partout le comte de Bragelongne qu'il devrait ménager plus que personne, ayant eu toute la confiance de sa femme et de sa fille, dont il a été directeur. On n'entend pas l'accuser par là d'avoir manqué au secret de son ministère, mais on ose dire que sa conduite est indécente après ce qui s'est passé NDA.] [En marge : Longuet] Mais l'indignation redouble à la vue du nommé Longuet [cf. 7 décembre 1761 (4)], autre témoin du même genre, et plus coupable encore que l'abbé Giraud. C'est un malheureux ouvrier qui, dès 1754, a été décrété de prise de corps, et emprisonné avec sa femme, à la requête du comte de Bragelongne. Ils avaient répandu contre lui une calomnie atroce, dont ils avaient même osé rendre plainte. Mais ils en ont donné le désistement le plus formel par acte devant notaires, qu'ils ont fait signifier au comte de Bragelongne, et cet acte est produit au procès. Croirait-on que le sieur de Pelletot s'est vanté d'avoir été chercher ce calomniateur pour le faire déposer uniquement du fait qui avait donné lieu à son emprisonnement en 1754 ? Sa déposition n'est que la copie de la plainte qu'il a lui-même désavouée par son désistement [Aussi n'a-t-il pas osé paraître à la confrontation NDA.]. N'est-il pas évident que le sieur de Pelletot est un solliciteur de témoins, un suborneur effronté qui cherche à tromper la justice ? Ces traits suffisent pour le démasquer. Tout a été dressé sur le même plan ; c'est la haine qui inspire et l'accusateur et les témoins. [En marge : La Peinte] La fille Peinte [cf. 7 décembre 1761 (5)] est, comme on l'a déjà dit en parlant de son frère, une prostituée qui a attaqué il y a deux ans le comte de Bragelongne dans un jardin public, et qui est convenue à la confrontation d'avoir demeuré dans des maisons de débauches. Au reste elle ne dit rien d'elle-même. Elle répète la déposition de son frère aussi débauché qu'elle. Leur mère commune vit de ce commerce infâme, et on l'a vu qu'elle a été décrétée en 1760 à la requête du comte de Bragelongne comme complice des libelles du sieur de Pelletot. Aussi lui sont-ils tous vendus, et ce seul reproche anéantirait leur témoignage, quand il n'y aurait pas dans les déposition même une indignité et une infamie qui en assurent la réprobation. [En marge : Ratier] Ratier, dit l'éveillé [cf. 10 décembre 1761 (1)], est un témoin du même genre que Peinte et sa sœur. Il est assez infâme pour se dénoncer lui-même à la justice en déposant volontairement de sa turpitude. Calomniateur impudent, il reproche au comte de Bragelongne, dont il a été laquais, de lui avoir retenu ses gages, sous prétexte de vol, tandis qu'il en a lui-même donné quittance au bas d'un mémoire écrit de sa main, qui est produit, par lequel il se reconnaît débiteur de 38 liv[res] envers son maître. Ce mensonge est suivi d'un autre encore plus grave au sujet de la dame de Pelletot. Il se donne pour témoin oculaire du commerce qu'il lui suppose avec le comte de Bragelongne pendant qu'il était à son service ; et il est certain qu'il en était sorti plus d'une année avant que les accusés se connussent. La quittance de ses gages est du 20 janvier 1759, et ce c'est qu'en février 1760 que le comte de Bragelongne a vu la dame de Pelletot pour la première fois. Un anachronisme aussi bien prouvé laisse-t-il des doutes sur la méchanceté de l'accusateur ? Il est plus clair que le jour qu'il a corrompu ce laquais, puisqu'il lui fait raconter des faits dont il est démontré qu'il n'a pu avoir aucune connaissance. C'est donc le sieur de Pelletot ou ses émissaires qui fabriquent les dépositions. La conséquence est évidente. Au reste, le sieur de Pelletot s'adresse à des gens qu'il est facile de séduire. Des valets, des prostituées, des malheureux sans asile, et tous sans mœurs ; ce sont là les personnages qui composent l'information. Le témoin dont il s'agit ici est un laquais proscrit des maisons honnêtes, réduit à servir chez des femmes publiques, rue Fromanteau où il demeure, chassé par le comte de Bragelongne pour vol domestique, ainsi qu'il lui a été reproché à la confrontation. Il est convaincu de même d'avoir volé le sieur Blondy, marchand bonnetier à Paris, qui l'avait pris à son service, suivant son certificat produit au procès. [En marge : Richard. l'abbé de Seveyrac. Patissier.] Voilà tout ce que le sieur de Pelletot s'est procuré de témoin par cette addition d'information. Car le nommé Richard [cf. 7 décembre 1761 (3)] et l'abbé de Seveyrac [cf. 10 décembre 1761 (2)] ne disent rien qui puisse faire charge. Et quand au nommé Patissier [cf. 10 décembre 1761 (3)], cocher qui a conduit les accusés en Normandie, on a vu dans le récit des faits qu'il a rendu hommage à la vérité en déclarant que la dame de Pelletot n'a usé d'aucune violence dans le château de son mari lorsqu'elle s'y est transportée. Il a même détaillé les circonstances de son arrivée, les égards qu'elle a eus pour la dame Lemire qui habitait le château, et il ne dépose ni de ravages, ni d'abus du nom de Madame de Modène, ni d'enlèvement de papiers autres que ceux que la dame avait apportés. Sa déposition prouve donc contre le sieur de Pelletot, loin de charger les accusés. Cette prétendue dévastation de château se réduit à une descente régulière faite sous l'autorité de la justice, avec des procès-verbaux en bonne forme. Et ce château si fameux n'est qu'une masure qui, suivant le témoin, tombe en ruine de toutes parts et dont tous les planchers sont effondrés. Elle est donc enfin épuisée, cette liste effrayante de témoins que le sieur de Pelletot a rassemblée à grands frais pour la ruine des accusés. Quel dégoût, quelle humiliation pour le comte de Bragelongne d'avoir eu à remplir une carrière si longue et si pénible ! Il s'est vu à la merci d'une troupe de scélérats soudoyés par la calomnie, dont il a fallu détailler tous les crimes pour écarter leurs témoignages. Le comte de Bragelongne était-il donc destiné à se commettre avec des valets et des prostituées ? Et ne suffisait-il pas qu'il se montrât, pour confondre ces vils esclaves de l'intérêt et de la haine ? Mais il a voulu les attaquer et les poursuivre ; il n'a pas dédaigné le combat parce qu'il était sûr de vaincre. Ce n'est pas qu'il y ait beaucoup de gloire à les avoir mis en force. Mais il importait à l'honneur du comte de Bragelongne que le sieur de Pelletot fût convaincu de n'avoir pu réunir contre lui que des suffrages tels qu'on rougirait de les avoir en sa faveur. Tous les témoins qui font charge sont couverts de forfaits. Il n'en est pas un qui soit d'un état honnête, d'une conduite irréprochable. La misère et la débauche se les disputent et se les arrache, pour ainsi dire. L'esprit se perd dans la multitude et la variété de leurs désordres. Les plus graves sont les plus coupables. La Ussenot et la Michel sont des furies environnées de serpents, leurs bouches sont empestées, leurs récits sont horribles, leur langage est le crime même. Tout à coup on voit paraître des prostituées et des domestiques, la plupart chassées par les accusés. Les uns se récusent en avouant volontairement leur infamie. D'autres sont convaincus de libertinage et sortent des maisons de force. Plusieurs sont en contradiction avec eux-mêmes, ou avec d'autres ; ils se trahissent comme des voleurs pris sur le fait, comme des assassins qu'on surprend en embuscade. Et l'on ferait dépendre le sort du comte de Bragelongne des discours que ces malheureux débitent à prix d'argent ! Ah ! Ce ne sont pas des témoins ; ce sont des monstres que la société est intéressée à punir. [En marge : Caractère des dépositions.] Si le comte de Bragelongne ne s'était pas cru dispensé d'approfondir leurs dépostions, soit par la gravité des reproches qui sont décisifs, soit par l'inconvénient des détails qui auraient blessé le lecteur, que de réflexions il lui resterait à faire sur cette immense collection de mensonge ! D'abord on y verrait l'obscénité marcher en triomphe, et se complaire dans la bouche de la plupart des témoins. On dirait que quand ils sont venus pour déposer, ils s'étaient préparés pour une partie de débauche, et qu'il s'agissait pour eux de faire assaut d'impudences. Mais ce langage leur est familier. C'est le sujet de leurs entretiens ; c'est le ton de leur cercle ; c'est l'aliment de leur corruption. Que leur en a-t-il coûté pour composer des histoires scandaleuses, pour inventer des propos licencieux, pour peindre des postures déshonnêtes ? Les lieux publics dont ils sont tirés, ceux que le sieur de Pelletot habite, donnent chaque jour des spectacles dont les dépositions ne sont que des images fidèles. Mais ce scandale d'expressions et de peintures est la plus forte preuve de la fausseté d'un témoignage. On ne débite pas de sang froid, pour l'amour de la vérité, des horreurs dont le seul récit fait frémir. Encore moins se présente-t-on avec audace pour accuser les mœurs d'autrui, en se montrant soi-même sans pudeur. De tels excès sont le partage de libertins consommés dans le crime qui, n'ayant pas d'honneur à perdre, se font un jeu d'exposer celui des autres. Aussi ne doit-on pas balancer à rejeter des dépositions dont l'obscénité annonce tout à la fois et l'infamie des témoins et leurs atroce calomnie. L'examen détaillé des dépositions apprendrait encore qu'il n'y en pas une seule dans laquelle on ne trouve des traces de subornation ou d'animosité. Suzanne Ussenot est presque l'unique témoin qui dépose de suo. Les autres ne sont que des copistes. Elle a fourni des faits à tous, et c'est sur sa foi qu'ils en déposent. On en a vu des preuves dans les récolements et confrontations de la Bocard et la Gilbert qui, n'osant pas soutenir jusqu'à la fin l'imposture, ont cité pour garant Suzanne Ussenot. D'ailleurs il est certain que cette créature, acharnée à la ruine de sa maîtresse, a été de toutes parts à la quête des témoins pour satisfaire son désir de vengeance et pour répondre aux engagements que le sieur de Pelletot lui a fait prendre. Ôtés de l'information, tous les témoins qui ne déposent que de ouï-dire, ceux qui sont convaincus de n'avoir vu que par l es yeux de Suzanne Ussenot, les domestiques chassés par les accusés pour libertinage ou pour vol, et dont l'animosité est écrite dans leurs dépositions même, il ne restera pas au sieur de Pelletot un seul suffrage de quelque valeur, indépendamment même du reproche qui en assure la réprobation. Le comte de Bragelongne, instruit par la voix publique et par les confrontations même, en a rendu plainte par une requête précise du 1er décembre 1761. Elle a été jointe au fond du procès, et elle servira de base à la procédure extraordinaire qui vengera les accusés du complot horrible dont ils sont les victimes. La dame de Pelletot avait rendu une pareille plainte dès le 14 octobre 1761. Le sieur de Pelletot, par un raffinement de méchanceté, a voulu prévenir la preuve de la subornation dont il est coupable, en accusant lui-même de subornation les accusés tandis qu'ils sont dans les prisons. On dit même qu'il a fait entendre sur cette plainte quelques témoins, qui n'ont pu rendre compte que de quelques démarches innocentes faites à l'insu des accusés pour découvrir les menées de l'accusateur. Au reste, le sieur de Pelletot a abandonné cette procédure illusoire qui n'a point été achevée. Sans doute que si elle l'eût été, le comte de Bragelongne y eût trouvé à combattre les témoins même qui ont été subornés sur l'adultère, et il eût reconnu dans leurs nouvelles dispositions l'empreinte de la haine et de la cabale qu'il a remarquée dans les premières. Mais le caractère le plus frappant de ces dépositions, surtout des plus graves, c'est qu'elles sont singulières et différentes dans les faits. L'un raconte un évènement dont il se donne pour témoin solitaire. L'autre n'en parle pas, et il en substitue un nouveau, dont il est seul garant à son tour. Ainsi on est parvenu à composer un roman dont chaque partie est détachée du reste. Ce sont des faits épars, des aventures isolées, qui n'ont ni liaison, ni suite, ni progrès. On ne pourrait pas compter sur un seul de ces faits, quand même les témoins seraient véridiques, parce qu'un témoignage unique n'est pas suffisant. Cependant, on se demande avec surprise comment il est possible que dans le cours d'un commerce annoncé par l'accusateur pour avoir été si public, si scandaleux, si éclatant, deux personnes ne se soient pas une seule fois trouvées réunies pour en avoir le spectacle. Mais cette réflexion achève de prouver que l'accusation est une pure calomnie. C'est pour en assurer l'effet, c'est pour en prévenir la découverte, qu'on a fait tenir aux témoins un langage si insidieux. Effectivement, des témoins qui s'accordent sur un même fait sont d'un grand poids. C'est même dans cet accord parfait, dans cette réunion exacte, dans cette uniformité scrupuleuse que réside la force de la preuve testimoniale, d'ailleurs si incertaine et si dangereuse. Mais quand un fait est diversement raconté par plusieurs témoins, ils donnent prises sur leur témoignage. La plus légère différence peut conduire à une contradiction importante. Que de complots ont échoué par cette maladresse ! Que d'illustres innocents ont échappé à la calomnie par la discordance des témoins ! Le sieur de Pelletot a voulu sans doute se prémunir contre un évènement si funeste à sa passion. Il a dressé chacun de ses témoins de manière qu'ils ne disent pas la même chose. Le fait de l'un n'est pas le fait de celui qui vient après lui ; chacun à son histoire séparée ; et il a soin d'avertir qu'il l'a vu seul, afin qu'on n'espère pas de le trouver en contradiction avec une autre. Dessales et sa femme, pour s'être écarté de ce plan ont été surpris en mensonge. Ils se sont contredits grossièrement, parce qu'ils ont voulu se réunir sur un même fait. Aussi leur témoignage est-il encore moindre que celui des autres ; et l'on peut dire avec confiance que de tous les excès qu'on impute aux accusés, il n'y en a pas un seul qui puisse être cité comme ayant deux garants, deux témoins oculaires. C'est par une suite des mêmes précautions, et toujours dans la vue de perdre plus sûrement les accusés, que le sieur de Pelletot a fait dire à ses témoins qu'ils ont vu commettre l'adultère plusieurs fois, ou un certain jour, sans désigner aucune circonstance. Il n'a eu garde de leur faire citer le lieu, le jour et l'heure. Tout aurait été perdu si l'alibi eût été prouvé. Mais il était plus commode et plus sûr pour des gens qui voulaient mentir impunément de se borner à dire, sans rien spécifier, qu'ils avaient été témoins de l'adultère. L'innocence la plus pure n'a d'autres armes contre de pareils témoins qu'une simple dénégation. Aussi ces dispositions qui ne contiennent aucun détail, sont-elles unanimement rejetées comme contraire au droit naturel. La première maxime en matière criminelle est que l'accusé doit toujours avoir un moyen possible pour convaincre d'imposture le témoin qui déposerait de crime sans vouloir circonstancier le lieu, le jour ni l'heure. Par cela seul, il serait jugé sans témoin. En matière d'adultère, les preuves ne sauraient être trop fortes ni trop précises. Si le fait n'est pas circonstancié, si les témoins ne sont pas concordants, pour peu qu'il y ait d'ailleurs des soupçons sur leur fidélité, on n'a point égard à leur témoignage. Une déposition vague en cette matière est évidemment frauduleuse. Car celui qui voit un crime aussi grave ne peut oublier les circonstances dans lesquelles il l'a vu. Et s'il dit qu'il ne s'en souvient pas, s'il parle avec incertitude, s'il ne spécifie pas précisément le lieu, le jour et l'heure, il s'ensuit qu'il n'a réellement pas vu le crime, et que sa déposition est une fable qu'il craint de circonstancier de peur d'être surpris en mensonge. Si l'on en jugeait autrement, que de maris aussi peu délicats que le sieur de Pelletot trouveraient aisément dans Paris des témoins prétendus oculaires ? Surtout si, comme dans l'espèce, les accusés ont vécu dans la même maison, il est naturel qu'on les ait vus souvent ensemble ; et la calomnie deviendrait alors inévitable, quand un témoin corrompu dirait en général qu'il a vu le crime un certain jour, sans le désigner. Il est de même de la concordance des témoins. Ce n'est pas avoir des témoins concordants sur l'adultère que d'en présenter un certain nombre dont chacun est témoin singulier. Chacun de ces témoins ne peut faire foi par lui-même, et ils ne peuvent se prêter mutuellement aucune force, parce qu'ils ne déposent pas du même fait. L'adultère commis hier n'est pas le même que celui qui a été commis aujourd'hui, et l'un e peut servir à prouver l'autre. C'est la décision précise du fameux Julius Clarus, Sent. Lib. 5 § Fin. Quaest. 53 n. 19. C'est aussi l'avis de Matthaeus de criminibus tit. de laesa Majestate Cap. 4 Num. 5. Voici les termes : Primus testatur se hodie vidisse Titium adulterio nexum Maeviae. Secundus, se idem vidisse nudius Quartus. Tertius, se ante octiduum. Quartus, deprehensos a se eosdem ante mensem. Quoniam actus disparati sunt, et plura adulteria non unum et idem testes arguunt, non habebit fidem judex. Que faut-il donc penser d'une accusation d'adultère dans laquelle tout s'élève à la fois contre l'accusateur ? Non seulement les témoins qu'il a subornés ne sont pas d'accord entre eux, et ne se réunissent pas sur les mêmes faits ; mais, ce qui est beaucoup plus fort, ils se contredisent, ils s'entrechoquent. Leur indignité, prouvée par pièces authentiques et par leurs propres aveux, est moindre encore que celle du sieur de Pelletot qui les emploie. Il serait honteux pour les mœurs publiques qu'un homme aussi dépravé fût écouté dans une poursuite qui n'appartient qu'à la vertu. Ce qu'il faut penser de sa démarche, c'est qu'elle est impudente et ridicule ; c'est qu'il ne peut réussir, n'ayant point de preuves, quoiqu'il ait fait l'impossible pour s'en procurer ; c'est, en un mot, qu'il deviendra par ce nouvel attentat contre sa femme, l'exécration de la société dont il était déjà la honte par la corruption de ses mœurs. C'est en vain qu'il s'est applaudi de la décision des premiers juges, dont il n'a interjeté appel qu'après les accusés, et seulement pour faire bonne contenance. Le plus amplement informé ordonné au Châtelet suspendait pour quelque temps la défaite du sieur de Pelletot ; mais il n'est pas juste de retarder la peine due à ses calomnies. Il y a trop longtemps que les accusés, victime d'une diffamation mille fois plus cruelle que la mort, gémissent dans le silence et dans les fers. La justice leur doit une réparation d'autant plus prompte qu'ils ont été plus exposés et plus malheureux. Que pourrait être l'objet du plus amplement informé ? Il est sensible que s'il y avait eu des preuves, le sieur de Pelletot aurait triomphé. La sentence, en ordonnant le plus amplement informé, décide qu'il n'y a pas de preuves. Or on ne peut se dissimuler qu'après une information composée de 40 témoins, après une addition faite à la veille du jugement, il ne reste plus de ressources à l'accusateur. Ses preuves sont épuisées, rien n'a échappé à sa vigilance. Il a parcouru tous les mauvais lieux, tous les cabarets, séjour ordinaire des lâches témoins qui sont à vendre. Voudrait-on lui laisser le temps d'en découvrir et d'en acheter de nouveaux ? La mesure de ses crimes n'est-elle pas comblée ? Le moment de la vengeance n'est-il pas enfin arrivé ? Que le sieur de Pelletot s'interroge lui-même ; qu'il descende dans son propre cœur, et quand il aura sondé la profondeur de cet abîme de noirceurs et de cruautés, qu'il lève la tête ; il verra sur qui la justice tient suspendu son glaive. Enivré du fol espoir d'écraser l'innocence, il n'a pas encore aperçu le précipice creusé sous ses pas. Mais il est temps que ses yeux se décillent, et qu'il tremble à son tour. Ces témoins, qu'il a subornés, lui reprochent déjà leur funeste complaisance. Il a abusé de leur misère, il a mis à profit leur corruption pour les entraîner dans le crime. Bientôt il partagera leur châtiment, comme ils auraient partagé le fruit de ses calomnies. Voilà les coupables qu'il faut punir. Voilà les victimes qu'il faut immoler au repos public, à la sûreté des citoyens, à la justification des accusés. Le comte de Bragelongne, dépouillé par le sieur de Pelletot de son honneur, de sa liberté, de sa fortune, pourra-t-il jamais être assez vengé ? Mais il dépose sa vengeance entre les mains de la justice, et il abandonne son persécuteur à lui-même, s'il est encore capable de sentir des remords. Signé De Bragelongne. Monsieur Pasquier, rapporteur. Me de Laune, avocat. Brousse, proc[ureur] (Bragelongne 62).
Selon le Dictionnaire historique de Moréri : Bragelongne, famille considérable dans l'épée et dans la robe, tire son origine à ce que quelques-uns prétendent, de Gelongne, seigneur de Brai, auteur du nom et de la famille, et fondateur de la terre de Bragelongne, que l'on croit être fils puiné de Landri, comte de Nevers et d'Auxerre, et de Mathilde de Bourgogne-Comté. [...] Thomas de Bragelongne, seigneur d'Engenville, Issi, Pourpri, petit Tignonville, et de la Magdelène, près Chartres, fut reçu conseiller au parlement en 1637, puis président au parlement de Metz en 1674, et chef de la chambre royale établie en conséquence du traité de paix de Nimègue, et mourut le 4 mars 1680, âgé de soixante-sept ans. Son corps fut inhumé en la cathédrale de Metz, et son cœur fut apporté à S[ain]t Paul à Paris, où est le tombeau de la famille. Il avait épousé le 5 février 1642 Marie Hector de Marle, fille de Christophe Hector de Marle, seigneur de Vertigni, président en la chambre des comptes, et de Marie Colbert de Saint-Pouange, morte le 24 octobre 1705, âgée de quatre-vingt cinq ans, dont il eut [...] Pierre de Bragelongne, seigneur de Launai, colonel d'un régiment d'infanterie de son nom, qui a épousé Marie-Geneviève Boucher, fille de Jean-Baptiste Boucher, président à mortier au parlement de Metz, et de Magdelène Helissant, dont il a eu un fils [le comte de Bragelongne] et une fille (Moréri 59). Selon le Dictionnaire de la noblesse de Chesnaye-Desbois, Pierre aurait eu en fait deux fils, et la sœur [Marie-Madelaine] du comte de Bragelongne aurait été mariée au sieur [Antoine Philippe de Guelley de] de Rumigny en Picardie (La Chesnaye-Desbois 80 [et geneanet]). Le 2 août 1771, inhumation à Montargis « de Messire Jean-Baptiste comte de Bragelongne, né au Tremblay, près Versailles, décédé au château, à l'âge de 52 ans » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 132) (Stein 93, p. 140). Le 15 mai 1747, « Baptême d'une fille de messire Jean-Baptiste, comte de Bragelongne, et de Catherine-Pierrette de Cuigy » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 108) (Stein 93, pp. 132-133). Le 6 octobre 1749, « Baptême par Mgr Languet de Gergy, archvêque de Sens, de Louise-Stanislas-Elisabeth, fille de Messire Jean-Baptiste comte de Bragelongne, ayant pour parrain Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, représenté par Philippe, comte de Noailles, duc de Mouchy, gouverneur de Versailles et de Marly, et pour marraine Louise-Elisabeth de France, infante d'Espagne, duchesse de Parme et de Plaisance, représentée par sa dame d'honneur Anne-Marie de Croÿ, marquise de Lede » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 110) (Stein 93, pp. 133-134). Le 18 juin 1785, « Baptême de Martin-Jules et de Louis-Hyppolyte, fils de Messier Georges-François comte de Framond de la Framondie, écuyer, brigadier des armées navales, et de Louise-Elisabeth de Bragelogne » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 146) (Stein 93, pp. 144-145). Le comte de Bragelongne meurt au château de Montargis, vers le 18 mars 1772, date à laquelle sa veuve et sa fille, domiciliées au château de Peyrusse près d'Auch, donnent procuration pour procéder à la levée de scellés apposés après son décès (AN, MC, XCI, 1101, 23 mai 1772 ; AN, Y 5328, 27 août 1772).
Abréviations
AN : Archives nationales.
MC : Minutier central.
NDA : Note de l'auteur.
NDM : Note de moi, Olivier Courcelle.
Références
Bragelongne (Jean-Baptiste de), Pasquier (), Laune (), Brousse (), Mémoire pour le comte de Bragelongne contre le sieur de Pelletot, Paris, 1762.
La Chesnaye-Desbois (François Alexandre Aubert de), Dictionnaire de la noblesse de la France, Paris, 1980, vol. 2, « Bragelongne ».,.
Moréri (Louis), « Bragelongne », Le Grand Dictionnaire historique, 10 vol., Paris, 1759, vol. 2, pp. 223-226.
Stein (Henri), « Inventaire sommaire des archives de la ville de Montargis », Documents publiés par la Société Historique et Archéologique du Gâtinais, vol. 4, Orléans, 1893.
Courcelle (Olivier), « [Décembre] 1762 (2) : Les sœurs Planström : factum Bragelongne », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncoDecembrecf1762po2pf.html [Notice publiée le 21 décembre 2012].
Bragelongne, famille considérable dans l'épée et dans la robe, tire son origine à ce que quelques-uns prétendent, de Gelongne, seigneur de Brai, auteur du nom et de la famille, et fondateur de la terre de Bragelongne, que l'on croit être fils puiné de Landri, comte de Nevers et d'Auxerre, et de Mathilde de Bourgogne-Comté. [...] Thomas de Bragelongne, seigneur d'Engenville, Issi, Pourpri, petit Tignonville, et de la Magdelène, près Chartres, fut reçu conseiller au parlement en 1637, puis président au parlement de Metz en 1674, et chef de la chambre royale établie en conséquence du traité de paix de Nimègue, et mourut le 4 mars 1680, âgé de soixante-sept ans. Son corps fut inhumé en la cathédrale de Metz, et son cœur fut apporté à S[ain]t Paul à Paris, où est le tombeau de la famille. Il avait épousé le 5 février 1642 Marie Hector de Marle, fille de Christophe Hector de Marle, seigneur de Vertigni, président en la chambre des comptes, et de Marie Colbert de Saint-Pouange, morte le 24 octobre 1705, âgée de quatre-vingt cinq ans, dont il eut [...] Pierre de Bragelongne, seigneur de Launai, colonel d'un régiment d'infanterie de son nom, qui a épousé Marie-Geneviève Boucher, fille de Jean-Baptiste Boucher, président à mortier au parlement de Metz, et de Magdelène Helissant, dont il a eu un fils [le comte de Bragelongne] et une fille (Moréri 59). Selon le Dictionnaire de la noblesse de Chesnaye-Desbois, Pierre aurait eu en fait deux fils, et la sœur [Marie-Madelaine] du comte de Bragelongne aurait été mariée au sieur [Antoine Philippe de Guelley de] de Rumigny en Picardie (La Chesnaye-Desbois 80 [et geneanet]). Le 2 août 1771, inhumation à Montargis « de Messire Jean-Baptiste comte de Bragelongne, né au Tremblay, près Versailles, décédé au château, à l'âge de 52 ans » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 132) (Stein 93, p. 140). Le 15 mai 1747, « Baptême d'une fille de messire Jean-Baptiste, comte de Bragelongne, et de Catherine-Pierrette de Cuigy » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 108) (Stein 93, pp. 132-133). Le 6 octobre 1749, « Baptême par Mgr Languet de Gergy, archvêque de Sens, de Louise-Stanislas-Elisabeth, fille de Messire Jean-Baptiste comte de Bragelongne, ayant pour parrain Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, représenté par Philippe, comte de Noailles, duc de Mouchy, gouverneur de Versailles et de Marly, et pour marraine Louise-Elisabeth de France, infante d'Espagne, duchesse de Parme et de Plaisance, représentée par sa dame d'honneur Anne-Marie de Croÿ, marquise de Lede » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 110) (Stein 93, pp. 133-134). Le 18 juin 1785, « Baptême de Martin-Jules et de Louis-Hyppolyte, fils de Messier Georges-François comte de Framond de la Framondie, écuyer, brigadier des armées navales, et de Louise-Elisabeth de Bragelogne » (Archives municipales de Montargis, Ms GG 146) (Stein 93, pp. 144-145). Le comte de Bragelongne meurt au château de Montargis, vers le 18 mars 1772, date à laquelle sa veuve et sa fille, domiciliées au château de Peyrusse près d'Auch, donnent procuration pour procéder à la levée de scellés apposés après son décès (AN, MC, XCI, 1101, 23 mai 1772 ; AN, Y 5328, 27 août 1772).