5 juillet 1762 (1) : D'Alembert (Paris) écrit au Journal encyclopédique :
Dernière réponse de M. d'Alembert à M. Clairaut, ou réflexions sur l'écrit de ce dernier géomètre, inséré dans le Journal des sçavans de juin 1762 [cf. [c. juin] 1762 (1)]. J'avais déclaré que je ne répondrais plus à M. Clairaut que dans le 3e volume de mes Opuscules mathématiques [(Alembert 61-80)] [cf. 18 janvier 1762 (1)], mais j'ai cru, par le conseil de mes amis, devoir publier à présent cette dernière réplique. 1°. Pour ne pas prolonger une contestation qu'il est temps de finir. 2°. Pour écarter de mes ouvrages des discussions dont la plus grande partie n'intéresse, comme l'observe ce savant académicien, que le petit domaine de nos amours-propres. D'ailleurs M. Clairaut par son dernier écrit me donne, ce me semble, tant d'avantage, que je succombe encore à la tentation d'en profiter. Mais je le répète, et je tiendrai parole, ce sera pour la dernière fois. Le public, dit M. de Fontenelle, se lasse bientôt du spectacle des querelles littéraires ; après avoir vu un ou deux joutes, il laisse les deux champions se battre sur l'arène sans témoins. Je répondrai à tous les articles du mémoire de M. Clairaut [Journal des sçavans de juin 1762 NDA [cf. [c. juin] 1762 (1)] NDM], mais en suivant un ordre un peu différent ; le plan de ma défense m'oblige d'en user ainsi. § 1. Si jamais j'ai regretté de ne pouvoir pas avoir tous les lecteurs pour juges, c'est dans ce que j'ai dit pour démontrer [Voyez le commencement du douzième mémoire de mes Opuscules [(Alembert 61-80, cf. 18 novembre 1761 (2)NDM] et le Journal encyclopédique du 15 février 1762 [cf. 18 janvier 1762 (1)NDM] NDA] (contre la prétention de M. Clairaut ) que ma solution du problème des trois corps était aussi applicable que la sienne à la théorie des comètes. M. Clairaut ne parle pas sérieusement, quand il prétend que j'aurais dû le citer à cette occasion en 1754 ; cela serait équitable, si pour changer ma formule dans la sienne, il fallait autre chose qu'une substitution très simple et très connue, que j'avais d'ailleurs dès 1747 énoncée et prescrite en termes formels (article que M. Clairaut dissimule, parce qu'il répond à tout) et que le plus mince écolier peut faire en un instant. Cet écolier, selon M. Clairaut, aurait besoin pour cela d'être conduit par un maître. Oui, si l'écolier ne savait pas faire une multiplication algébrique très courte, dont on lui donne (comme je l'ai fait expressément) le multiplicande et le multiplicateur. M. Clairaut dans ses Éléments d'algèbre [C. 31] même, quoique faits pour des écoliers, a cru pouvoir supprimer des opérations plus difficiles que celle là [On se plaint assez généralement que M. Clairaut a souvent poussé cette suppression trop loin. Mais des Éléments d'algèbre sont destinés aux premiers commençants, pour qui la solution du problème des trois corps n'est pas faite. Si M. Clairaut a voulu dire (car ses expressions ne sont pas claires) qu'un écolier aurait besoin d'être conduit par un maitre, pour appliquer à ma formule le calcul arithmétique ; cet inconvénient (qui n'en est pas un) aurait également lieu dans sa solution NDA]. En vérité j'ai honte de répondre à de pareilles objections. II est vrai qu'elles ne devraient pas me surprendre ; car je n'ai pas prévu moi-même (selon cet habile géomètre) qu'une substitution très simple, faite dans une formule très simple, donnerait un résultat très simple. II pouvait, je crois, me faire l'honneur de supposer le contraire. La comparaison que M. Clairaut fait à ce sujet entre lui et les inventeurs du calcul différentiel, est si singulière, pour ne rien dire de plus, qu'il nous avertit lui-même prudemment de ne pas prendre cette comparaison à la rigueur. Celle qu'il fait ensuite de moi avec un arithméticien qui, pour extraire une racine quarrée, aurait employé la considération des fractions, sans donner le moyen de les faire disparaître, n'est pas plus juste que la précédente, 1°. Parce que si j'ai employé les exposants imaginaires dans ma solution, ce n'est pas faute d'avoir su m'en passer, comme je l'ai prouvé dans mes Opuscules [(Alembert 61-80)] ( t[ome] 2. p. 248 ), mais par des raisons particulières que j'ai détaillées au même endroit. 2°. Parce qu'en employant ces exposants, j'ai expressément enseigné comment on pouvait les faire disparaître dans le cas ou cela est nécessaire, comme celui des comètes, auquel personne ne pensait alors. Pourquoi ne pas avouer les choses comme elles sont ? M. Clairaut, lorsqu'il a prétendu que ma solution n'était pas applicable aux comètes, n'avait fait aucune attention (je crois le bien savoir) à ce que j'avais dit dans mon mémoire de 1747 [(Alembert 45a)], lu à l'Académie avant le sien [cf. 14 juin 1747 (1)], pour répondre d'avance à cette chicane, comme si je l'avois prévue. Aujourd'hui, malgré l'évidençe la plus frappante, il persiste dans son injustice ; qu'y faire ? M'en rapporter, encore une fois, à tel juge qu'il voudra choisir. § 2. S'il y a de l'arbitraire, comme M. Clairaut le dit aujourd'hui, dans l'estimation de son erreur sur le retour de la comète de 1759, pourquoi donc a-t-il persisté à soutenir, jusqu'au moment où j'ai rendu le contraire palpable, que cette erreur, appréciée par le véritable examen de la question, devait être comparée à la somme de deux révolutions qui est de 151 ans, et non à la différence qui n'est que d'une année et demie ? Pourquoi a-t-il opposé constamment cette réponse aux objections qu'on lui a faites sur la grandeur de l'erreur d'un mois qu'il avait commise dans ce calcul ? II était bien éloigné alors de penser qu'il ne fallut avoir égard (comme il le dit maintenant) qu'à l'erreur absolue ; et en effet, il saute aux yeux que l'erreur relative, c'est-à-dire, le rapport de l'erreur avec la quantité qu'on cherche, est ici la seule chose à considérer ; puisque c'est par cela seul qu'on peut juger si M. Clairaut s'est trompé peu ou beaucoup dans le calcul du retour de la comète ; autrement il faudrait dire qu'une erreur d'un mois sur un espace de 1000 ans, par exemple, serait aussi grande qu'une erreur d'un mois sur une année. Au reste j'ai démontré, contre l'assertion dans laquelle il se retranche aujourd'hui, qu'il n'y a point en effet d'arbitraire dans la question ; que l'erreur de M. Clairaut, même en l'appréciant de la manière la plus favorable, est au moins d'un mois sur 18 ; mais qu'en faisant la répartition la plus vraisemblable et la plus naturelle des erreurs commises dans les différentes parties du calcul, l'erreur du dernier résultat est d'un mois sur cinq ; cela est net, précis, et ne laisse point ici d'arbitraire, à moins que M. Clairaut n'entende par ce mot, la liberté que je laisse aux géomètres d'apprécier son erreur fort au-dessus de 1/18 ; mais jamais au-dessous. Aussi M. Clairaut, dans l'impossibilité de répondre à la preuve analytique que j'en ai donnée, se contente de me faire des compliments sur la subtilité que j'ai employée pour y parvenir. II regrette seulement que je n'en aie pas fait usage pour un objet plus intéressant : mais il ne peut être, quoiqu'il en dise, ni odieux, ni malsonnant, ni même fâcheux pour moi, d'avoir été forcé par le peu de justice qu'il a rendu à mon travail, à discuter l'exactitude du sien avec une précision qui rembarrasse. D'ailleurs, les considérations subtiles qu'il prétend que j'ai employées dans cette occasion, peuvent être utiles aux géomètres pour examiner d'autres questions délicates de la nature de celle-là ; et c'est principalement ce motif, comme je l'ai dit, qui ma déterminé à les mettre au jour. Quoiqu'il en soit, ces considérations subtiles que M. Clairaut évite de discuter, prouvent qu'il fallait, ce me semble, être plus exercé en géométrie, que ne le sont ses défenseurs, pour discuter cette question. Je ne m'oppose point cependant aux compliments qu'il leur fait ; mais je sais de lui-même, et bien d'autres le savent comme moi, ce qu'il pense des connaissances géométriques de celui des trois [Lalande !] qui l'a aidé dans ses calculs ; à l'égard des deux autres [Le Roy, [Dionis du Séjour]], ils ont depuis très longtemps renoncé à la géométrie, sur laquelle ils n'ont d'ailleurs jamais fait aucune preuve publique. Ils peuvent avoir, à d'autres égards, un mérite dont je ne juge point ; mais il faut que chacun se mêle de son métier. § 3. M. Clairaut prétend que c'est par pur oubli qu'il n'a pas averti que son second calcul de la période de 1607, quoiqu'il dût être naturellement plus exact que le premier calcul, l'était cependant beaucoup moins. Je crois, puisqu'il le dit, que c'est un oubli ; mais il me semble qu'avant cette déclaration, il était naturel d'attribuer sa réticence à un autre motif : en effet voici ce que M. Clairaut aurait dû dire, s'il ne l'avait pas oublié : j'ai calculé la différence des périodes de 1531 et 1607, en n'ayant égard qu'à l'action de Jupiter ; je n'ai trouvé par un premier calcul que 27 jours d'erreur ; et par un second calcul plus exact, 16 jours seulement, mais en ayant égard de plus (ce qui est absolument nécessaire) à l'action de Saturne, j'ai trouvé en tout 33 jours d'erreur ; c'est-à-dire, qu'en faisant entrer dans la solution du problème une considération essentielle et indispensable, l'erreur, qui aurait dû être diminuée, a été augmentée de 17 jours. Il me semble qu'il pouvait résulter de cet aveu des conséquences fâcheuses contre les calculs de M. Clairaut, de quelque cause que vienne leur imperfection ; mais puisqu'il a oublié de le remarquer, je n'ai point de reproche à lui faire, comme il n'en a point à me faire de son côté d'avoir suppléé à cette omission. Notre habile géomètre se plaint de ce que je n'ai pas distingué son travail de celui de Mr Halley. Cette plainte n'est pas juste ; j'ai reconnu expressément (et j'avais intérêt à le reconnaître) que la méthode de M. Clairaut pour déterminer le retour de la comète, méthode fondée sur la solution du problème des trois corps était plus exacte que celle de l'Astronome anglais ; mais je n'ai pu dissimuler aussi que, quant au résultat, l'annonce de Mr Halley était à peu près aussi exacte que celle de M. Clairaut ; en effet, Mr Halley avait annoncé le retour de la comète pour la fin de 1758, ou le commencement de 1759 ; et par l'annonce de M. Clairaut, les astronomes devaient chercher la comète depuis la fin de 1758, jusqu'en juin 1759. Laquelle des deux annonces doit-on préférer ? M. Clairaut a sans doute rendu par son calcul un nouveau service au système newtonien ; mais quand ce calcul n'aurait jamais été fait, les murmures que le retard de la comète avait excités, selon M. Clairaut, n'étaient que les murmures de l'ignorance, puisque Mr Halley avait prévu que la comète pouvait être retardée jusqu'en 1759 ; et cela suffisait aux astronomes pour l'attendre et la chercher paisiblement. § 4. Je n'ai point prétendu queM. Clairaut eût tiré aucun secours de moi pour sa théorie des comètes ; j'ai seulement prouvé que je n'en avais tiré aucun de lui pour la mienne. C'est ce qu'il ne me conteste pas, du moins quant à présent ; et j'attends avec tranquillité l'examen qu'il semble me promettre à ce sujet. À l'égard des simplifications qui m'appartiennent en propre, et que j'ai détaillées dans ma première réponse (Journal encyclopédique du 15 février [cf. 18 janvier 1762 (1)]) M. Clairaut cherche en vain à en affaiblir l'avantage. Le calcul que je fais dans la partie inférieure de l'orbite, renferme, il est vrai, 90 degrés, et le sien n'en contient que 14 ; mais (indépendamment de plusieurs autres réflexions que je pourrais faire à ce sujet) ma méthode enseigne à calculer en une seule fois, et par une seule opération, l'altération qui convient à ces 90 degrés, au lieu que celle de M. Clairaut suppose, non pas seulement 7 opérations, comme il le dit (ce qui serait déjà à mon avantage) mais un beaucoup plus grand nombre ; car il a besoin 1°. de chercher les lieux de la planète et de la comète dans ces 7 positions différentes 2°. de calculer les forces perturbatrices de tous ces points ; 3°. de quadratures réitérées les unes sur les autres pour connaître l'effet des forces perturbatrices. Or ma méthode évite toutes ces opérations. Quant aux quadratures que je propose de substituer aux siennes après les 90 degrés d'anomalie, je ne vois pas qu'elles soient plus compliquées de signes et de termes que celles qu'il a employées ; ni qu'elles demandent plus d'attention de la part du calculateur. II est évident d'ailleurs que le calcul en est beaucoup plus court, parce que d'une part je n'ai point recours comme lui à des quadratures qui renferment un double signe d'intégration, et que de l'autre on peut abréger encore beaucoup mes quadratures par des tables toutes dressées qui serviront pour toutes les comètes. C'est ce que j'ai détaillé dans mon douzième mémoire, p. 186 et 187. Pour ce qui regarde le calcul de M. Clairaut dans les parties supérieures de l'orbite, il est illusoire et fautif : 1°. parce que les forces perturbatrices dont il calcule alors l'effet, sont détruites en très grande partie (comme je l'ai fait voir) par d'autres forces qu'il néglige ; 2°. parce que la position de la planète perturbatrice dans cette partie du cours de la comète étant très incertaine, le résultat que trouve M. Clairaut peut être très différent de ce qu'il devrait être, et même d'un signe contraire ; 3°. parce que ce résultat si incertain peut produire un effet très sensible sur la partie subséquente des deux périodes, et par conséquent sur l'altération totale. Après ce que je viens de dire dans cet article et dans les précédents, M. Clairaut ne doit plus être surpris que j'aie osé publier après lui une théorie des comètes, 1°. pour mettre les mathématiciens à portée de me rendre la justice qu'il me refuse sur la solution du problème des trois corps ; 2°. pour rendre la théorie des perturbations des comètes plus exacte & beaucoup plus simple qu'il ne l'a fait [M. Clairaut prétend que dans un endroit de ma théorie, j''ai pris les années de la révolution du Soleil au lieu de celles du calendrier. Je n'entends rien à cette objection ; et je ne comprends pas sur quoi elle est fondée NDA] ; 3°. pour montrer enfin, ce qu'il aurait du avouer, qu'en cette matière on doit toujours s'attendre à très peu d'exactitude dans le résultat des calculs. § 5 .Voici encore un article (le plus essentiel de notre contestation) sur lequel je regrette infiniment de n'avoir pas tous les lecteurs pour juges. La réponse péremptoire que j'ai faite aux compliments de M. Euler à M. Clairaut [N. B. Que je pourrais imprimer aussi les compliments que de très grands mathématiciens, et M. Euler lui-même ont bien voulu m'écrire, si je ne savais qu'il ne faut jamais prendre des compliments à la lettre NDA] semble avoir obligé ce dernier géomètre à renoncer à la preuve qu'il en tirait contre moi ; ainsi je ne reviens point là-dessus, non plus que sur les autres articles que M. Clairaut paraît m'accorder; comme la simplicité de la méthode par laquelle je parviens à l'équation différentielle du problème des trois corps. Mais je suis étonné au-delà de tout et que je puis dire, du moyen singulier que M. Clairaut emploie dans son dernier écrit pour faire disparaître les arcs de cercle de sa solution, et pour parvenir directement à la forme précaire et hypothétique qu'il donnait au rayon vecteur. Comment ne voit-il pas que cet antidote qu'il croit si salubre, n'est bon tout au plus que pour cinq à six révolutions, et non pour tant de révolutions qu'on voudra ? Comment ne voit-il pas combien un pareil moyen est illusoire, puisqu'on pourrait s'en servir pour faire disparaître les arcs de cercle dans les cas même où l'expression du rayon devrait en contenir réellement [Un très grand géomètre (M. Fontaine ) pense comme moi et comme plusieurs autres sur l'imperfection de la solution de M. Clairaut ; et il s'en faut bien que la réponse que M. Clairaut lui a faite dans le Journal des sçavans de mai 1762 [C. 54, cf. [c. mai] 1762], soit satisfaisante, surtout pour ceux qui auront lu mes Opuscules [(Alembert 61-80)], tom[e] 2, pag[es] 250, jusqu'à 259 NDA] ? J'ai objecté à M. Clairaut que sa solution serait fautive dans le cas de l'immobilité de l'apogée du soleil ; cas qui se résout aisément par la solution de M. Euler et par la mienne. II me répond que ce cas n'existe point. Qu'importe ? Si sa solution était aussi supérieure aux deux autres qu'il le prétend, elle devrait, comme les deux autres, résoudre ce cas-là. Je lui ai objecté que dans le cas même de la nature, où l'apogée du Soleil est mobile, il y a une équation essentielle, qu'il ne saurait, de son propre aveu, déterminer par sa théorie, ou plutôt que sa théorie lui donne très grande, quoiqu'une théorie plus exacte que la sienne, et les observations la donnent en effet très petite. M. Clairaut ne répond rien à cette objection pressante ; il se contente de prétendre que l'équation de 18 secondes que je trouve par ma théorie, et que celle de M. Euler ferait trouver de même, est encore plus grande que les observations ne la donnent. À cela je réponds 1°. que plus cette équation sera petite, plus la théorie de M. Clairaut sera en défaut, puisque cette théorie lui donne une équation très grande, et de son propre aveu, impossible à déterminer ; 2°. que si la parallaxe du Soleil, au lieu d'être de 15 secondes, comme je l'ai supposée avec M. Le Monnier, n'est que de 10 secondes, ou même au-dessous, comme on le veut aujourd'hui, depuis le passage de Vénus ; mon équation de 18 secondes, déjà très petite, se réduira à 12 ; équation dont il est encore plus difficile de montrer le peu d'accord avec les observations ; 3°. qu'une équation peut être très réelle, quoique comparée à quelques observations, elle paraisse donner le lieu de la Lune un peu moins exactement que si on la négligeait ; par la raison que les autres équations et l'observation même ne sont jamais parfaitement exactes [Supposons le lieu parfaitement observé, et l'erreur de toutes les équations (excepté celle de 18 secondes ) de 6 secondes en moins. Celle de 18 secondes pourra donner à la vérité 12 secondes d'erreur en plus. Mais si les autres équations qui ne sont point rigoureuses, avaient dû réellement donner 12 secondes en moins, alors l'équation de 18 secondes ne donnerait réellement que 6 secondes d'erreur en plus. Cette remarque aura encore plus de force, si l'observation n'est pas rigoureusement exacte NDA] ; 4°. enfin que la méthode empirique des observations est un moyen très insuffisant d'attaquer une équation, lorsque la théorie géométrique la donne nécessairement, et lorsque d'ailleurs cette équation par sa petitesse est très difficile à rapprocher des observations. § 6. À l'égard de mes tables de la Lune [(Alembert 61-80, vol. 2, pp. 281-306) ; (Alembert 61d)], qu'elles soient exactes ou non, ce que je me propose de discuter à loisir, c'est en vain que M. Clairaut voudrait en rendre ma théorie responsable ; puisque je ne les ai pas dressées uniquement sur cette théorie, mais (pour m'épargner des calculs rebutants) moitié d'après cette théorie, moitié en prenant un milieu entre les meilleures tables connues. Mes premières tables, quoiqu'en dise M. Clairaut, n'étaient, ainsi que celles de M. Euler, qu'un essai que j'invitais les astronomes à vérifier ; et quoi qu'il en dise encore, le reproche qu'il me fait à ce sujet, tombe également sur M. Euler, non dans l'intention de M. Clairaut qui ne veut attaquer que moi, mais dans le fait, puisque les premières tables de ce grand géomètre étaient encore plus imparfaites que les miennes. Je n'ai point prétendu que M. Clairaut eût tiré aucun secours de M. Mayer pour ses premières tables ; j'ai seulement dit, et cela est vrai, que celles de M. Mayer [(Mayer 52)] étaient publiques deux ans plus tôt, et qu'elles étaient beaucoup plus exactes, et infiniment plus commodes, quoique M. Clairaut eût employés 7 ans aux siennes. Cette dernière circonstance prouve, sans entrer dans un plus grand détail, que la théorie de la Lune (dont M. Clairaut, après des calcul immenses, n'a donné que des tables peu exactes) lui a fait éprouver plus de difficultés que la théorie des perturbations des comètes à laquelle il n'a mis que 18 mois. Après cela il ne doit pas me reprocher qu'un premier calcul, fait uniquement pour être soumis à l'épreuve des astronomes, et pour être corrigé par les observations, ait produit 9 minutes d'erreur dans mes premières tables. Je lui avais fait observer que 60 degrés et plus d'erreur que donnait son calcul de la comète, étaient bien plus forts que ces neuf minutes. Il me répond que la vitesse de la Terre et celle de la comète augmentent l'erreur dans ce cas. Je n'entends rien à cette réponse, d'autant que la vitesse de la Terre et celle de la comète sont connues, et que par conséquent l'erreur ne vient point de cette source. Voudrait-il dire que l'erreur de 60 degrés est une illusion optique ? II sait bien que cela n'est pas, et que c'est une erreur très physique et très réelle. Quant à mes nouvelles tables [(Alembert 61-80, vol. 2, pp. 281-306) ; (Alembert 61d)], je me propose de les perfectionner, si elles me paraissent en avoir besoin, par un moyen que je crois très simple et très sûr. Mais, je le répète, qu'elles soient plus ou moins exactes quant à présent, il n'en résulte rien ni contre ma solution analytique, ni en faveur de celle de M. Clairaut ; et les vrais géomètres, nos seuls juges en cette matière, ne prendront point le change là-dessus. § 7. Je conviens sans peine que la méthode que j'avais imaginée en 1747, pour trouver les lieux de la Lune, était peu commode pour les tables astronomiques dont je n'avais point alors suffisamment étudié la construction. M'étant mis au fait depuis, j'ai supprimé ma première méthode, pour suivre, non pas celle de M. Clairaut, que je trouvais beaucoup trop longue, mais celle des Institutions astronomiques [Le Monnier 46a], qui me paraissait plus simple. Les conversations que j'ai eues avec M. Clairaut n'ont pu m'être utiles, comme il le prétend, pour représenter l'orbite par une équation qui convienne à toutes les révolutions ; puisque j'ai prouvé que dès 1747 1 j'avais pour cela une méthode directe, et que celle de M. Clairaut pour arriver au même but, est encore aujourd'hui incertaine, précaire et hypothétique. La seule chose sur laquelle M. Clairaut m'ait véritablement éclairé, et dont je n'ai pas manqué de lui faire honneur, c'est l'erreur où nous étions tombés l'un et l'autre, ainsi que M. Euler, au sujet du mouvement de l'apogée ; il est vrai que je n'avais pas imité M. Clairaut dans les conséquences précipitées qu'il avait cru devoir tirer de là contre l'attraction newtonienne, et qu'il annonça en 1747 [cf. 15 novembre 1747 (1)] avec un éclat dont il s'est bien repenti depuis. À l'égard de l'avis que je lui ai donné en 1748 sur l'erreur de 30 minutes, où il était par rapport à une des équations de la Lune [cf. Juin 1748 (1)], cet avis était beaucoup plus important qu'il ne voudrait le persuader, 1°. parce qu'en conséquence de cette erreur, M. Clairaut croyait alors la théorie tout à fait en défaut, et l'attraction newtonienne insoutenable. 20. parce qu'il ne s'agissait pas seulement, comme il le dit, de faire entrer dans les formules des forces perturbatrices le quarré de l'excentricité, au lieu de l'excentricité simple ; mais d'une considération délicate et importante, que M. Clairaut n'avait point faite jusqu'alors sur l'augmentation prodigieuse que certains termes qu'il avait négligés, recevaient par l'intégration [Je pourrais ajouter que quand même je n'eusse eu d'autre mérite dans cette occasion que d'avoir égard au quarré de l'excentricité, l'importance de la conclusion que j'en tirais en faveur de la théorie newtonienne, méritait que M. Clairaut me citât. C'est par cette raison que j'ai rendu justice à sa remarque sur le mouvement de l'apogée, quoique cette remarque ne fût fondée sur aucune considération délicate, mais simplement sur une nouvelle approximation dont le résultat s'est trouvé, sans qu'il s'y attendit, beaucoup plus grand que le premier. Aussi -ai-je prouvé que ce nouveau résultat, quoique très important, n'était pas décisif, et demandait une approximation, encore plus pénible, par laquelle je l'ai confirmé NDA]. Aussi cet avis qu'il affecte de dédaigner aujourd'hui, lui parut alors si important, qu'il prit le parti de faire, sans m'en avertir, un changement essentiel à son mémoire de 1747 [C. 33]. Ce changement consistait à substituer dans l'imprimé le coefficient de l'équation en question, à peu près tel qu'il devait être, à la place de la valeur très fautive qu'il y avait donnée dans son manuscrit. Le changement, il est vrai, n'est pas difficile à apercevoir ; car il est en contradiction avec la valeur du rayon vecteur qui se trouve deux lignes plus haut, et dans laquelle ne se trouve point le terme essentiellement nécessaire pour donner au coefficient en question sa vraie valeur. C'est de quoi tout géomètre pourra facilement s'assurer [Le coefficient que donne la valeur imparfaite du rayon vecteur, est a peu près 0,0097585, tel qu'il se trouvait dans le manuscrit ; à ce coefficient très fautif, M. Clairaut a substitué dans l'imprimé le coefficient 0,0008333, qui est à peu près le véritable, mais qui ne résulte point du tout de la valeur précédente du rayon vecteur. Ce changement prouve, ce me semble, que M. Clairaut avait trouvé mon avis très important, et qu'il ne jugeait pas à propos de m'en faire honneur NDA]. II n'en est point que je ne sois prêt à prendre là-dessus pour juge, ainsi, je le répète, que sur les autres points qui nous divisent M. Clairaut et moi. § 8. II ne me reste plus qu'un article purement personnel à discuter. M. Claíraut, pour prouver qu'il n'a pas été l'agresseur, prétend que dans le Journal des sçavans, de juin 1757, où il a fait, selon moi, le premier acte d'hostilité, il ne m'a attaqué qu'en se défendant [cf. Juin 1757 (1)] ; il est aisé de lui répondre 1°. qu'il m'a attaqué sur plusieurs points, où il ne pouvait se croire directement ni indirectement lésé ; par exemple sur la méthode que j'ai donnée pour construire les tables par les seules observations, sur celle de donner la correction du lieu moyen, sur celle de construire les tables du mouvement horaire de la lune. 2°. M. Clairaut n'était pas même attaqué sur les points où il a cru l'être. En effet, je me proposais de montrer ce que M. Euler avait déjà remarqué avant moi, l'incertitude des méthodes d'approximation qu'on est forcé d'employer dans le calcul des lieux de la Lune ; et entre autres preuves que je donnais de cette incertitude, je rapportais la différence des résultats que ces méthodes avoient fournis à M. Clairaut lui-même, malgré le soin, le temps et la patience qu'il avait mis dans ses calculs. Ce n'était pas là, ni dans le fait, ni dans l'intention, attaquer M. Clairaut, mais seulement les méthodes d'approximation, en faisant connaître qu'un aussi habile géomètre que lui en aurait tiré un meilleur parti, s'il eût été possible. II n'y a (pour employer les expressions de M. Clairaut) qu'une sensibilité beaucoup trop grande qui ait pu lui faire prendre le change là-dessus. D'ailleurs mon illustre adversaire, dans le Journal des sçavans de décembre 1761 [cf. [c. décembre] 1761], m'a rendu lui-même ce témoignage, que jusqu'en 1759 j'avais évité soigneusement à son égard tout ce qui avait l'air d'attaque, même lorsque je différais d'avec lui. Pourquoi change-t-il aujourd'hui de langage, et veut-il que je l'aie attaqué en 1756 ? M. Clairaut fait entendre qu'en sa qualité de journaliste [cf. 19 novembre 1755 (1)], étant obligé de parler de mon livre, il a du dire ce qu'il en pensait. Mais sa qualité de journaliste ne l'obligeait à rien, puisque depuis 1757, il n'a encore parlé que de la plus petite partie de mon ouvrage, de celle qu'il était le plus intéressé à déprimer. Au reste, je ne me plains point, et je ne ne suis jamais plaint de sa critique, à laquelle j'ai répondu dans le temps [cf. [c. septembre] 1757] ; mais j'avais cru qu'il ne me serait pas un crime de l'imiter quelques années après. Il y a plus. Des différents mémoires que M. Clairaut a fait composer (pour me servir encore de ses termes ) à son honneur et gloire, à l'occasion de la comète de 1759, deux au moins [Celui qui est daté du 7 avril dans l'Année littéraire [7 avril 1759 (1)], et celui du Mercure de mai 1759 [cf. [c. mai] 1759 (1)NDA] avaient paru avant le premier des écrits qu'il m'impute. Dans ces mémoires composés sous ses yeux, M. Clairaut manifestait déjà assez ouvertement la prétention qu'il appuyait alors par ses discours, et qu'il a depuis si clairement énoncée dans ses ouvrages, qu'aucun géomètre, excepté lui, n'avait encore trouvé de méthode pour calculer les perturbations des comètes. II me semble qu'il m'était permis après cela de prendre quelque part à des écrits où l'on rendait également justice à M. Clairaut et à moi ; je dis de prendre quelque part ; car des deux extraits que M. Clairaut m'attribue, le 1er est de l'auteur de l'Observateur littéraire [Cet extrait n'a paru qu'a la fin de mai 1759 NDA] [cf. [c. mai] 1759 (2)NDM] qui ne l'a composé, comme il le dit lui-même, qu'après avoir consulté plusieurs mathématiciens, qui pensaient alors, et qui pensent encore aujourd'hui comme moi sur les points contestés. II est vrai que j'étais du nombre de ceux qu'il consulta, j'avais quelque droit d'en être, mais je n'étais pas le seul. À l'égard du second extrait qui a paru dans le Journal encyclopédique du 15 juillet 1759 [cf. [c. 15 juillet] 1759], il est (comme les journalistes le disent) de différentes mains, et je ne me défends pas d'y avoir concouru, surtout pour l'article qui me regarde ; ce qui était, ce me semble, assez juste dans ma propre cause. Au reste, on ne trouvera dans ces deux écrits, ni le ton d'aigreur et de personnalité que M. Clairaut a mis dans la réponse qu'il y a faite [C. 49, cf. 11 août 1759 (1)], ni les injures à la vérité très méprisables qui m'ont été dites par des écrivains ignorants et décriés [Fréron, cf. [c. 11 août] 1759, [c. mars] 1762], que M. Clairaut n'a pas dédaigné d'intéresser dans la querelle. Je ne défendrai jamais ma cause, et je ne souffrirai jamais qu'on la défende avec de pareilles armes. C'est par cette déclaration que je mets fin à notre dispute, dont le public doit être fatigué, et qui, si M. Clairaut la prolonge, ne fera plus rien à personne, pas même à moi. À Paris, ce 5 juillet 1762 (Journal encyclopédique, 15 août 1762, pp. 73-97).
Un manuscrit de cette lettre de d'Alembert est conservé à la Bibliothèque de l'Institut, Ms 1792, f. 391 (Irène Passeron, CP, 16 octobre 2009). Clairaut laissera cette lettre de d'Alembert sans réponse (cf. 5 décembre 1762 (1)), ce dernier poursuivant la polémique, après la mort de Clairaut, dans le 4e volume de ses Opuscules (cf. 1768 (4)).
C. 49 : Clairaut (Alexis-Claude), Réponse de M. Clairaut à quelques pièces la plupart anonymes dans lesquelles on a attaqué le mémoire sur la comète de 1682 lu à l'assemblée publique de l'Académie des sciences du 14 [sic] novembre 1758, Paris, impr. M. Lambert, 1759, 22 p [11 août 1759 (1)] [29 juillet 1739 (2)] [6 décembre 1750 (1)] [Plus].
Alembert (Jean Le Rond, dit d'), « Méthode générale pour déterminer les orbites et les mouvements de toutes les planètes en ayant égard à leur action mutuelle », HARS 1745, Mém., pp. 365-380 [Télécharger] [14 juin 1747 (1)] [15 novembre 1747 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 5 juillet 1762 (1) : D'Alembert (Paris) écrit au Journal encyclopédique », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n5juillet1762po1pf.html [Notice publiée le 22 novembre 2012].