[c. mai] 1759 (1) : [Achille-Pierre Dionis du Séjour ?] écrit au Mercure de France :
Lettre à M. ***, à Angoulême, sur la comète. Je vois, Monsieur, par votre lettre, que vous avez lu les différents journaux où il est parlé du retour de cette fameuse comète [cf. [c. 7] avril 1759 (1), [c. 7] avril 1759 (2), 7 avril 1759 (1)], prédit depuis si longtemps par M. Halley, et calculé depuis avec plus d'exactitude par M. Clairaut, de l'Académie des sciences. Vous êtes surpris avec raison des progrès de l'astronomie sur cette matière, et vous me demandez de vous marquer exactement ce qui a été fait par chacun de ces savants, en vous expliquant les termes d'astronomie auxquels vous n'êtes point accoutumé. […] [Halley] dit que ces altérations [dues à Jupiter] ne pouvaient être déterminées que par la résolution d'un problème qu'il reconnaissait lui-même surpasser les forces de la plus sublime géométrie […]. Ce problème connu parmi tous les savants sous le nom de problème des trois corps, n'avait jamais été résolu. En 1746, MM. Clairaut, d'Alembert et Euler en donnèrent tous trois en même temps chacun une solution par approximation. M. Clairaut fit une fort belle application de cette solution à la théorie de la Lune attirée en même temps par le Soleil et la Terre, qu'il lut à l'assemblée publique de l'Académie des sciences de Paris en 1746 [1747 !, C. 33, cf. 15 novembre 1747 (1)], et ayant ensuite réformé lui-même une petite erreur qui s'était glissée dans son calcul [cf. 17 mai 1749 (2)], il expliqua par la seule force de la gravitation toutes les inégalités qu'on avait remarquées dans le mouvement de la Lune, ce qui était une très belle confirmation du système de Newton. Il remporta le prix qui avait été proposé sur ce sujet par l'Académie de Pétersbourg [C. 39], et fut en état de faire de nouvelles tables de la Lune beaucoup plus exactes que celles qu'on en avait faites jusqu'alors, et qu'il a publié en 1754 [C. 41]. Ce problème a exercé tous les géomètres pour le résoudre par une méthode applicable à tous les cas et sans approximation ; et M. le comte de Lauraguais, connu par son zèle pour l'avancement des sciences, a proposé un prix pour celui qui donnerait cette solution rigoureuse [cf. 2 décembre 1758 (1)]. Vous voyez, Monsieur, que M. Clairaut était plus à portée que personne de déterminer la perturbation de la comète par Jupiter, que M. Halley avait annoncée ; il ne s'agissait pour cela que d'une application à ce cas de sa solution du problème des trois corps, qu'il avait déjà si heureusement appliquée à la théorie de la Lune : aussi se livra-t-il dès 1757, et sans que personne entreprît de le faire par concurrence avec lui, au travail immense que devait nécessairement entraîner ce calcul. Il compara les deux premières révolutions de cette comète, et trouva, à 36 jours près, la cause de leur inégalité. S'étant aperçu dans le cours de son ouvrage que Saturne, dont M. Halley n'avait pas parlé, parce qu'il ne croyait pas que son action pût faire aucun effet sensible, avait approché assez près de la comète pour augmenter sa perturbation, il calcula cette nouvelle cause ; il trouva qu'elle n'avait dû faire dans les deux premières périodes qu'un effet presque insensible ; mais que dans celle-ci elle faisait une différence d'environ 100 jours, qui, comme on voit, ne peut être négligée sans occasionner une erreur considérable. C'est d'après ces grandes et pénibles opérations, que M. Clairaut prédit que la comète devait passer à son périhélie, c'est-à-dire au point de son orbite le plus proche du Soleil, vers le milieu d'avril 1759. Si vous avez, Monsieur, jeté les yeux sur le mémoire [C. 48] que M. Clairaut lut à l'assemblée publique de l'Académie à la Saint-Martin dernière [cf. 15 novembre 1758 (1)], et imprimé dans le Journal des sçavans du mois de janvier, vous avez dû voir avec quelle circonspection cet académicien établit le résultat de son calcul ; il dit lui-même qu'il ne peut guère se flatter d'avoir déterminé le retour de la comète qu'à un mois près, parce qu'il n'avait pas approché d'avantage de la détermination des deux révolutions précédentes. Cet astre vient enfin d'apporter la confirmation du système de Newton et la vérification de la prophétie de Halley, et des calculs de M. Clairaut. Par les observations des astronomes, on estime qu'il a passé à son périhélie vers le 14 de mars, ce qui, comme M. Clairaut l'avait prévu, fait une différence d'environ un mois sur l'annonce qu'il en avait faite : mais il faut observer que M. Clairaut a toujours considéré deux périodes ensemble, et qu'ainsi cette légère erreur doit être répartie sur ces deux périodes, qui forment un espace d'environ 152 ans ; ce qui n'est pas tout à fait 1/1 800. Je ne doute pas que vous trouviez ces approximations très frappantes, surtout si vous voulez faire attention que les observations faites en 1531 et 1607, dont il a été obligé de se servir, n'ont pas toute l'exactitude qu'on pourrait y désirer, et qu'on trouve dans les observations astronomiques faites de nos jours. Voilà, Monsieur, ce que vous avez exigé de moi. Vous voyez que le retour de la comète est pour les sciences et l'astronomie un des événements les plus important qu'on ait vus depuis plusieurs siècles. Vous n'êtes pas de ces hommes envieux, qui ne connaissant d'autres mérites que celui qui est à leur portée, regardent le calcul uniquement comme le fruit de la patience et d'un travail plus assidu qu'éclairé, vous serez certainement porté à rendre à M. Clairaut toute la justice qu'il mérite. Vous sentez qu'il n'aurait jamais achevé son entreprise s'il n'avait porté dans son calcul cette sagacité qui caractérise le grand géomètre, et qui tient plus au génie et à l'invention qu'à l'exercice. Quelques auteurs que je ne connais point [cf. [c. 7] avril 1759 (1)], en annonçant l'arrivée de la comète, n'ont parlé que de la prédiction de M. Halley, et ont entièrement passé sous silence le mémoire lu publiquement à l'assemblée de l'Académie des sciences. J'imagine que c'est parce qu'ils sont plus instruits des manœuvres ordinaires de l'astronomie pratique, que des principes de la sublime géométrie, à moins que ce ne soit des anglais qui par une suite du zèle patriotique de cette nation, aient préféré la gloire d'un de leurs compatriotes aux progrès de l'astronomie et de la vérité (Mercure de France, mai 1759, pp. 147-156).
Selon Clairaut (cf. 11 août 1759 (1)), cette lettre a été écrite par un « un jeune et respectable magistrat qui a cultivé avec succès les mathématiques avant de se livrer à des occupations plus importantes pour l'Etat ». Du Séjour avait été nommé au parlement le 21 avril 1758 (cf. Dionis du Séjour). La lettre, amputée de sa fin, et à laquelle a été ajoutée les vers de Mme du Boccage (cf. Mai 1759 (1)), sera rééditée dans le Journal helvétique, juin 1759, pp. 649-658.
C. 39 : Clairaut (Alexis-Claude), Théorie de la Lune déduite du seul principe de l'attraction réciproquement proportionelle (sic) aux quarrés des distances... Pièce qui a remporté le prix de l'Académie impériale des sciences de Saint Pétersbourg en 1750..., Saint-Pétersbourg, 1752, in-4°, 92 p [Télécharger] [6 décembre 1750 (1)] [Sans date (1)] [(7 novembre) 27 octobre 1737 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « [c. mai] 1759 (1) : [Achille-Pierre Dionis du Séjour ?] écrit au Mercure de France », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncocmaicf1759po1pf.html [Notice publiée le 16 juin 2011].