Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


[c. mars] 1762 : Fréron écrit dans l'Année littéraire :
M. d'Alembert n'est point de ces auteurs platement modestes qui se défient de leurs lumières, et laissent le public arbitre de leurs travaux. Il est convaincu de toute l'étendue de son mérite, et cette noble assurance éclate avec fermeté dans l'Avertissement qui précède ses Opuscules mathématiques (Alembert 61-80, vol. 1-2, cf. 18 novembre 1761 (2)). Jaloux de tout ce qu'il a inventé ou cru avoir inventé, il le revendique hautement.
[…]
Les quatre mémoires suivants [du 12e au 16e] ont pour objet le fameux problème des trois corps que M. Clairaut et M. Euler avaient déjà résolu chacun à leur manière, et que M. d'Alembert prétend avoir résolu mieux que personne. Il s'agit dans ce problème de trouver les dérangements et les inégalités qu'une planète éprouve dans son cours par l'attraction d'une autre planète. C'est par la résolution algébrique de ce problème que M. Clairaut est parvenu à faire des tables de la Lune les plus parfaites qu'il y ait jamais eues, et parvint encore en 1759 çà prédire le retour de la célèbre comète de 1682, sans se tromper de plus d'un mois sur la période de 75 ans. Comme c'était là le plus sublime effort que la géométrie eût encore fait, vous n'êtes pas étonné, Monsieur, qu'il ait excité de la jalousie. On vit paraître plusieurs pièces anonymes [cf. [c. mai] 1759 (2), [c. 15 juillet] 1759] dans lesquelles on rabaissait avec une basse envie le mérite de ce travail. On était loin de penser alors que M. d'Alembert en pût être l'auteur, mais M. Clairaut nous l'apprend par les lettres qu'il a été obligé d'imprimer dans le Journal des sçavans pour repousser les traits de son adversaire [cf. [c. décembre] 1761]. Jusqu'ici, dit M. Clairaut, j'avais cru que la bonne intelligence avec un sçavant était préférable au droit de possession sur quelques artifices de calcul, mais lorsque j'ai vu qu'on voulait réduire mes recherches à une opération mécanique dédaignée par M. d'Alembert, je n'ai pu mettre la même indifférence à soutenir mes droits. M. Clairaut prouve ensuite par une lettre de M. Euler, le seul qui puisse juger un semblable différent, que sa théorie de la Lune renferme des découvertes auxquelles on avait en vain aspiré jusque alors. Une autre preuve décisive de la supériorité de cette théorie de M. Clairaut sur son rival, c'est l'exactitude étonnante des tables qui en sont le résultat. M. l'abbé de La Caille, célèbre astronome de l'Académie des sciences que nous venons de perdre, a soumis les unes et les autres à l'épreuve des observations astronomiques, et il a trouvé des erreurs de 6 à 7 minutes dans les dernières tables de M. d'Alembert [(Alembert 61-80, vol. 2, pp. 281-306) ; (Alembert 61d)] ; on en cite les dates, et on pourra les vérifier. C'est ainsi qu'on a forcé M. Clairaut, malgré toute sa modération, à déceler l'imperfection de ces tables ; elles auraient peut-être passé, sur la foi de leur auteur, pour les meilleures qu'il y ait ; elles se trouvent être les plus mauvaises.

M. Clairaut s'est justifié dans la même lettre sur une autre querelle de M. d'Alembert. La comète de 1759 avait devancé de près d'un mois la prédiction et les calculs de M. Clairaut. Comme ce calcul était fondé sur un examen de toutes les positions de la comète et de toutes les attractions qu'elle avait éprouvées depuis 151 ans, il est clair que l'erreur était d'un mois sur 151 ans, c'est-à-dire de 1 sur 1 812. M. d'Alembert a prétendu que l'erreur devait être réputée de 1 sur 15 [18 ! cf. [c. 15 mai] 1762], parce que la différence des deux périodes à laquelle on pouvait parvenir n'était que de 1 sur 15. Il affecte d'oublier que ces 15 mois sont le fruit des attractions de 151 ans. Cette injustice fut déjà relevée d'une manière palpable dans une lettre que j'insérai en ce temps-là dans mes feuilles [cf. 10 juillet 1759 (1)]. M. Clairaut y ajoute une réflexion qui la démontre de plus en plus : « Je suppose, dit-il, que par l'évènement des attractions que la comète avait éprouvées depuis 151 ans, et par le résultats des calculs que j'en avais faits, la période se fut trouvée égale à la précédente, à quoi M. d'Alembert comparerait-il l'erreur d'un mois ? Serait-ce à zéro ou à quelque autre nombre qu'il imaginerait ? » Vous jugez bien, Monsieur, qu'il trouverait le moyen d'embrouiller la question dans des formules algébriques, pour se tirer d'affaire au travers des ténèbres ; mais comme personne ne l'entendrait, personne ne le croirait. Pour moi, en voyant les académiciens les plus habiles se déclarer contre lui, je ne puis penser autre chose sinon qu'il est fâché d'avoir fait des mauvaises tables et de n'avoir pas su prédire le retour de la comète (Année littéraire, 1762, vol. 2, pp. 73-82).

Derrière la plume de Fréron, d'Alembert verra la main de Clairaut, ainsi qu'il l'exprime par sa réponse dans le Journal encyclopédique (cf. [c. 15 mai] 1762), entraînant une dénégation de Clairaut dans le même journal (cf. [c. juin] 1762 (2)).
Références
Courcelle (Olivier), « [c. mars] 1762 : Fréron écrit dans l'Année littéraire », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncocmarscf1762.html [Notice publiée le 15 septembre 2009].