[c. 15 juillet] 1759 : [D'Alembert et al.] écrivent au Journal encyclopédique :
Sur la nouvelle comète Nous avons promis un second article [cf. Juin 1759 (1)] sur la comète qui a paru cette année, et nous allons remplir nos engagements. Nous avons tiré cet article de différentes lettres qui nous ont été écrites de plusieurs endroits de l'Europe. Au reste nous n'avons pas besoin d'avertir que nous faisons ici la fonction de rapporteurs, et non celle de juges. Voilà donc ce que ces lettres contiennent en substance, et que nous soumettons à l'examen des mathématiciens 1. Non seulement M. Halley a prédit le retour de la comète qu'on a vue en septembre 1682, il a prédit de plus que cette comète serait plus de 76 ans à revenir, et qu'on ne la reverrait que vers la fin de 1758, ou le commencement de 1759. Or la comète a été vue en Saxe le 14 décembre 1758, et à Paris dès les 10 de janvier : nous employons ici le vieux style, le seul qu'employait M. Halley. La prédiction de cet astronome a donc été accomplie avec la précision la plus surprenante. 2. Il est vrai que M. Halley en attribuant ce retard à l'action de Jupiter dit qu'il n'a pas fait le calcul à la rigueur. Mais peut-on disconvenir que son tâtonnement n'ait été très heureux, et qu'il n'ait annoncé le retour de la comète avec une exactitude qu'on n'aurait osé espérer ? Aussi les Anglais commencent-ils à se plaindre qu'on cherche à lui enlever cette gloire. 3. Comme le fameux problème, connu sous le nom de Problème des trois corps, n'était pas résolu du temps de M. Halley, même par approximation, ce grand astronome n'a pas pu calculer exactement l'action de Jupiter sur la comète. Mais les solutions que MM. Euler, d'Alembert et Clairaut ont données il y a quelques années du problème des trois corps, fournissent des moyens de calculer plus exactement cette action, ainsi que celle de Saturne. Il semble qu'on ait cherché à faire entendre dans quelques journaux [cf. 7 avril 1759 (1), [c. mai] 1759 (1), Juin 1759 (1)], sans néanmoins le dire expressément, que la méthode de M. Clairaut était la seule propre à résoudre le problème des comètes. Mais les méthodes de MM. Euler et d'Alembert sont également applicables à ce problème ; et certainement M. Clairaut n'en disconviendra pas. Ce que M. Clairaut a fait de plus qu'eux, consiste simplement à avoir appliqué le calcul arithmétique à ses formules, opération plus pénible que difficile, quoiqu'elle mérite toujours des éloges, au moins par le courage qu'il y a eu à l'entreprendre. On ne doute point que M. Clairaut n'ait trouvé différents moyens d'abréger ce calcul, et il doit naturellement s'en présenter plusieurs à celui qui entreprendra cette tâche ; mais cela n'empêche pas que les formules de MM. Euler et d'Alembert ne donnent, ainsi que celles de M. Clairaut, la solution du problème des comètes, autant qu'il est possible. 4. Nous disons autant qu'il est possible, car il y a nécessairement dans cette solution plusieurs causes d'erreur inévitables, dont une des principales vient de ce qu'on n'est jamais sûr de connaître à plusieurs degrés près (par exemple à 20 degrés ou même davantage) la position de Jupiter par rapport à la comète ; ce qui peut produire des mécomptes considérables, auxquels il paraît impossible de remédier. 5. En effet l'erreur de M. Clairaut paraît fort grande. Il fixe le périhélie vers le 15 avril et il est arrivé le 13 mars. Voilà donc plus d'un mois d'erreur. Aussi plusieurs astronomes prétendent-ils que le calcul de M. Clairaut n'a pu leur être d'aucun usage pour trouver la comète, parce que la comète, suivant ce calcul, devait être à 40 et 50 degrés de l'endroit où elle se trouvait réellement. 6. Une circonstance remarquable, c'est que les erreurs de M. Clairaut dans les deux périodes, sont l'une et l'autre dans le même sens, en sorte que si on s'en rapportait uniquement à son calcul, sans le rectifier par les observations, le périhélie de la comète aurait dû arriver près de trois mois plus tard. En voici la preuve. Selon le calcul de M. Clairaut, la période de 1607 à 1682 a dû être de 432 jours plus courte que celle de 1531 à 1607. Or cette dernière a été de 76 ans et 52 jours, savoir du 25 août 1531 au 16 octobre 1607 vieux style ; et celle de 1607 à 1682 a été de 75 ans moins 42 jours, savoir du 16 octobre 1607 au 4 septembre 1682, ou, suivant le nouveau style, du 26 octobre au 14 septembre ; ainsi la dernière période est de 459 jours plus courte que la précédente ; l'erreur de M. Clairaut est donc de 27 jours en excès [M. Clairaut a cru que son erreur était de 37 jours, mais en cela il s'est trompé à son désavantage n'ayant pas fait attention au retranchement de 10 jours, qui a été fait dans le nouveau style en 1582 NDA] ainsi le périhélie aurait dû arriver en 1682 suivant son calcul, non le 14 septembre, mais le 11 octobre ; enfin, suivant ce même calcul, la période de 1682 à 1759 a dû être de 618 jours plus longue que la précédente, et par conséquent, selon M. Clairaut, plus longue de 186 jours que la période de 1531 à 1607, c'est-à-dire de 76 ans et 238 jours. Or on vient de voir que, suivant le calcul de M. Clairaut, le périhélie en 1682 tombait le 11 octobre ; donc il aurait dû arriver 238 jours plus tard que le 11 octobre 1758, c'est-à-dire vers le 6 de juin 1759 ; au lieu qu'il est arrivé le 13 mars ; ce qui fait près de trois mois d'erreur. 7. Si on a égard au calcul rectifié par les observations, l'erreur de M. Clairaut paraîtra encore très considérable. En effet M. Clairaut a trouvé d'abord que la période de 1531 à 1607 devait être accélérée de 19 jours par l'action de Jupiter ; ainsi cette période est égale à une certaine période que nous déterminerons plus bas (et que pour abréger, nous appellerons, quoique assez improprement, période moyenne) moins 19 jours ; par le même calcul la période de 1607 à 1682 a dû être égale à la période moyenne moins 451 jours ; et en rectifiant le calcul par les observations, c'est-à-dire en retranchant encore 27 jours dont M. Clairaut s'est trompé, la période de 1531 à 1607 se trouvera être égale à la période moyenne moins 478 jours. Enfin, selon le calcul de M. Clairaut, la dernière période a dû être de 618 jours plus longue que la précédente, dont elle a dû être égale à la période moyenne, plus 140 jours. Cherchons maintenant quelle doit être cette période que nous avons appelée moyenne. Il est évident qu'elle doit être égale à la période de 1531 à 1607 augmentée de 19 jours, ainsi elle sera de 76 ans et 71 jours. On remarquera que l'erreur commise dans le calcul de cette période moyenne doit être supposée fort petite ; car cette erreur ne peut venir que de celle qu'on avait commise dans les 19 jours ; or si l'erreur dans ces 19 jours était seulement de 2 jours, elle serait environ un neuvième du total, ce qu'on ne doit pas naturellement supposer. Ainsi l'erreur commise par M. Clairaut dans le calcul de la période de 1682 à 1759 ne tombe point ou presque point sur la période de 76 ans et 71 jours, que nous appellerons ici moyenne ; elle ne tombe que sur les 140 jours ajoutés à cette période suivant le calcul de M Clairaut. Or l'erreur de M. Clairaut dans cette période, comme on l'a vu ci-dessus, est d'un peu plus d'un mois ; elle est donc d'environ un mois sur 140 jours, ou même d'un mois sur environ 110 jours. C'est-à-dire de plus d'un quart du total ; ce qui parait très considérable, et doit vraisemblablement être attribué en grande partie aux calculateurs que M. Clairaut a employés pour l'aider dans son travail (Journal encyclopédique, 15 juillet 1759, pp. 117-123).
Cette lettre reprend et détaille des critiques déjà formulées dans l'Observateur littéraire (cf. [c. mai] 1759 (2)) auxquelles répondent Lalande (cf. 10 juillet 1759 (1)) et Jean-Baptiste Le Roy (cf. 3 août 1759 (1)) dans l'Année littéraire. Clairaut répondra dans C. 49 (cf. 11 août 1759 (1)). Le 5 juillet 1762, d'Alembert avouera avoir participé à la rédaction de cet article (cf. 5 juillet 1762 (1)). Lalande : C'était des pièces que nous attribuâmes à d'Alembert, pleines de jalousie et d'injustice, insérées dans l'Observateur littéraire, t. II, p. 181, et dans le Journal encyclopédique, juillet, 3e volume (Lalande 03, p. 469).
Abréviations
C. 49 : Clairaut (Alexis-Claude), Réponse de M. Clairaut à quelques pièces la plupart anonymes dans lesquelles on a attaqué le mémoire sur la comète de 1682 lu à l'assemblée publique de l'Académie des sciences du 14 [sic] novembre 1758, Paris, impr. M. Lambert, 1759, 22 p [11 août 1759 (1)] [29 juillet 1739 (2)] [6 décembre 1750 (1)] [Plus].
NDA : Note de l'auteur.
Référence
Lalande (Joseph Jérôme Le François de), Bibliographie astronomique avec l'histoire de l'astronomie depuis 1781 jusqu'à 1802, Paris, 1803 [Télécharger] [29 avril 1733 (1)] [21 août 1737 (2)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « [c. 15 juillet] 1759 : [D'Alembert et al.] écrivent au Journal encyclopédique », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncoc15juilletcf1759.html [Notice publiée le 27 décembre 2010].
C'était des pièces que nous attribuâmes à d'Alembert, pleines de jalousie et d'injustice, insérées dans l'Observateur littéraire, t. II, p. 181, et dans le Journal encyclopédique, juillet, 3e volume (Lalande 03, p. 469).