Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


7 avril 1759 (1) : [Jean-Baptiste] Le Roy (Paris) écrit au comte de T[ressan] :
Lettre à M. le comte de T*** sur la comète de 1682, dont le retour a été annoncé par M. Halley et calculé par M. Clairaut.

Nous n'avons plus d'inquiétude, Monsieur, la comète que nous attendions avec tant d'impatience vient enfin de se montrer. M. Messier, astronome, élève de M. Delisle, est le premier qui l'ait aperçue ici, le dimanche premier avril. Depuis elle a été observée par tous nos astronomes. Elle avait été vue en Saxe dès le mois de janvier, lorsqu'elle allait vers le Soleil ; on prétend même que c'est un paysan, nommé Palitch, qui l'a découverte le premier à la vue simple ; enfin, il paraît que M. Messier l'avait aussi observée dès le même temps.

Bien des astronomes ont osé prédire le retour des comètes, sans que l'évènement ait justifié leurs prédictions. Tout le monde sait que l'illustre Jacques Bernoulli annonça le retour de celle de 1680 pour le 17 mai 1719. Aucun astronome ne se coucha cette nuit, mais la comète ne parut point. Celle qui nous occupe aujourd'hui est la première qui n'ait pas trompé l'attente des observateurs. Son retour forme une des plus brillantes époques de l'astronomie, et rend à jamais célèbres M. Halley qui l'avait annoncée, et M. Clairaut qui l'a calculée. [...] Le retour de cette comète confirme enfin de la manière la plus frappante le système de Newton. Plus les observations se sont multipliées, plus elles en ont établi la solidité, tandis qu'elles ont à chaque instant ébranlé celui de Descartes, et qu'elles ont fini par le renverser. On peut dire que, si les comètes ont été funestes, ce n'a jamais été qu'à son système.

Peu content d'une idée superficielle des choses, je sais que ce serait mal vous faire ma cour que de ne pas joindre à cette grande nouvelle astronomique les éclaircissements nécessaires. Je pourrais, à la vérité, m'en dispenser, en vous renvoyant au Journal des sçavans de janvier, où vous trouverez l'excellent mémoire [C. 48] que M. Clairaut lut sur cette comète dans l'Académie des sciences à la rentrée de la Saint-Martin [cf. 15 novembre 1758 (1)], et dans laquelle il annonce son retour. Mais, comme vous pourriez ne pas avoir ce journal, je vais tâcher d'y suppléer, en vous faisant en peu de mots l'histoire de cette comète, et de ce que feu M. Halley et mon illustre confrère ont fait pour prédire son retour.
[…]
M. Clairaut sentit de quelle importance il était pour le système newtonien de savoir enfin ce qu'on devait penser du retour de cette comète. Il entreprit donc de calculer et de déterminer ces altérations que les corps célestes pouvaient produire dans le temps de sa révolution, et que M. Halley avait avoué ne pouvoir être calculées par la géométrie de son temps.

La solution du fameux problème des trois corps que M. Clairaut avait trouvées par approximation, lui donnait des facilités pour ce travail. Cependant, lorsqu'il l'entreprit, il ne se doutait pas des difficultés qu'il rencontrerait à chaque pas. Il faut lire son mémoire [C. 48] pour en prendre une idée ; encore celle qu'il en donne est-elle très imparfaite ; Non seulement il fallait qu'il calculât les perturbations que Jupiter pouvait causer dans e mouvement de cette comète ; il se vit encore forcé de calculer celles qui pouvaient résulter de l'action de Saturne. Jugez de là, Monsieur, dans quelles mers de calculs il lui a fallu se jeter. Il a eu le courage de vaincre toutes les difficultés, et, après un travail de près d'un an, il est parvenu à connaître les altérations que les actions de Jupiter et de Saturne sur cette comète ont pu causer dans les temps de ses révolutions. [...] L'évènement est on ne peut pas plus glorieux pour lui, et montre la justesse de sa prédiction, puisque, sur une période de plus de 76 ans, il ne s'est trompé que d'un mois, si, en effet, comme quelques astronomes le prétendent, cette comète a passé à son périhélie vers le 15 mars.

L'envie, car elle est de tous les états, parce qu'elle tient à l'humanité, vous dira peut-être qu'une erreur de trente jours est beaucoup. Mais vous verrez, Monsieur, que ce n'est pas un neuf centième de la période entière. Combien a-t-il fallu de siècles pour que l'astronomie parvînt à déterminer avec précision le temps des révolutions des planètes ?

Par cet exposé, vous pouvez prononcer, Monsieur, entre M. Halley et M. Clairaut, et juger de l'espèce de gloire qu'ils ont acquis l'un et l'autre par le retour de cette fameuse comète
[…]
Ce qui relève encore de la gloire de M. Clairaut, c'est qu'il est le seul en Europe qui ait entrepris de calculer, de la manière que je vous l'ai dit, le mouvement de cette comète. Il n'appartient qu'au génie de tenter certaines difficultés. Ainsi, quand vous entendrez dire que des astronomes ont prédit son retour, soyez persuadé qu'il n'en est rien ; ils l'attendaient et voilà tout. M. Halley et lui sont les seuls qui se soient appliqués à e déterminer.
[…]
J'ai l'honneur d'être, etc., Le Roy, de l'Académie des sciences.

À Paris, ce 7 avril 1759.

[NDE] L'auteur de la lettre que vous venez de lire est encore un fils de l'illustre M. Julien Le Roy, le premier de son art et le plus heureux des pères. N'êtes-vous pas enchanté, Monsieur, de voir cet académicien rendre un hommage public à son confrère M. Clairaut, qui simple, modeste, sans ambition et sans cabale, n'a point cherché dans des travaux étrangers un éclat qui l'aurait fui ; il ne fait ni le littérateur, ni le bel esprit, ni le plaisant ; il sait trop quel intervalle immense sépare la géométrie et les belles-lettres ; que quiconque veut les rapprocher et les unir, est condamné à la médiocrité, pour le moins dans un des genres, quelquefois dans les deux ; qu'une science, un art, demande un homme tout entier, et que ce n'est qu'en le cultivant sans relâche et sans distraction qu'on se couvre, comme lui, d'une gloire immortelle (Année Littéraire, 1759, vol. 2, pp. 217-228).
Le jour même, Delisle avait officiellement informé l'Académie que Messier et lui observaient la comète depuis le 21 janvier (cf. 18 avril 1759 (1)).

Le Roy écrira une seconde lettre au comte de Tressan le 3 août (cf. 3 août 1759 (1)).
Abréviations
Courcelle (Olivier), « 7 avril 1759 (1) : [Jean-Baptiste] Le Roy (Paris) écrit au comte de T[ressan] », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n7avril1759po1pf.html [Notice publiée le 2 juin 2011].