Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


4 janvier 1742 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur,

J'ai été extrêmement flatté de ce que vous m'avez fait l'honneur de me dire [cf. 31 octobre 1741 (1)] au sujet de mon mémoire sur le calcul intégral [C. 28] et j'ai lu avec bien du plaisir toutes les belles recherches dont votre lettre est remplie. J'aurais eu l'honneur d'y répondre plus tôt si elle ne m'était arrivée dans un temps où j'étais extrêmement occupé à composer un petit ouvrage [C. 29] que des raisons particulières m'obligeaient de finir promptement. Aussitôt que j'en ai été quitte, je me suis mis à méditer sur tous les articles de votre lettre et je vous ferai part de ces méditations aussitôt que je vous aurai dit un mot du petit livre que j'ai fait, car vous devez savoir le besoin que les auteurs ont de parler de leurs ouvrages. Le titre que je lui donnerai sera Théorie de la Terre tirée des principes hydrostatiques. Quoiqu'on eut déjà beaucoup travaillé sur cette matière, il me semble qu'on ne l'avait pas examiné assez physiquement. Lorsqu'on cherche la figure que prend un amas de fluide dont les parties pèsent suivant une loi quelconque, on se contente pour l'ordinaire de ce principe que les colonnes soient en équilibre, ou bien de cet autre principe que les corps doivent tendre perpendiculairement à la surface. Et ce qu'on avait fait de plus, c'était de faire accorder ces deux lois [voyez un mémoire de M. Bouguer année 1734 NDA [(Bouguer 34)]] et d'exclure toutes les hypothèses qui ne donneraient pas le même sphéroïde en le calculant par ces deux lois. Or toute cette manière de traiter la question m'a paru insuffisante. J'ai voulu voir plus nettement ce qu'il fallait pour qu'un amas de fluide fut en équilibre. Voici à quoi je suis parvenu.

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Par ma théorie, j'ai reconnu que je m'étais trompé dans les Transactions philosophiques lorsque j'avais déterminé la figure de la Terre en supposant qu'elle était composée de couches elliptiques semblables de différentes densités [C. 18]. Ce qui m'avait induit en erreur, c'était le même mémoire de M. Bouguer dont je viens de vous parler, parce que je m'étais contenté de faire en sorte que les colonnes fussent en équilibre et que la tendance fut perpendiculaire à la surface. Ayant bien examiné ce problème, j'ai trouvé que les couches de la Terre ne pouvaient pas être semblables mais qu'elles étaient cependant toujours des ellipses dont les aplatissements sont toujours plus grands à mesure qu'elles s'éloignent du centre, à cause que les parties les plus denses sont toujours celles qui sont les plus voisines du centre.

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Je pourrais encore vous parler de plusieurs autres recherches que contiendra mon petit ouvrage mais ce serait abuser de votre patience. Je vais présentement vous parler de plusieurs autres recherches que j'ai faites sur votre curieuse lettre.

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À l'égard de votre solution de mon problème où il s'agit de trouver des courbes dont les parallélogrammes circonscrits soient constants, je n'ai pas pu voir ce qui vous avait mené à votre résultat qui m'a paru fort simple et beau. Vous me ferez donc la plaisir de me le mander et en même temps de me dire ce que vous pensez de la solution suivante.

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À propos de ces sortes de problèmes, vous m'obligeriez sensiblement si vous vouliez juger une dispute qui est entre M. Fontaine et moi depuis longtemps. Il faudrait pour cela lire une solution d'un problème que M. Fontaine a donnée dans les mémoires de 1734 [(Fontaine des Bertins 34b)], mes remarques dans la même année [C. 11], sa réponse [(Fontaine des Bertins 34c)] et ma réplique qui est en 1735 [C. 14]. Ce problème que je lui avais proposé est celui-ci : trouver une infinité de courbes qui soient toutes touchées par les côtés d'un angle constant dont le sommet glisse sur une ligne donnée [C. 10].

J'ai été fort flatté de voir que vous fissiez assez de cas d'un mémoire [(Clairaut 37)] qui portait mon nom pour le lire et pour y penser ; mais je ne suis point l'auteur de celui des journaux de Berlin dont vous parlez, c'est mon père aux leçons de qui je dois ce que je sais. La profession qu'il fait de montrer les Mathématiques [cf. Sans date (1)] le détourne trop pour s'exercer à résoudre des problèmes d'une certaine difficulté. Ainsi ne soyez pas étonné qu'il ait laissé sans construction cette pauvre équation de la tractoire Pour moi qui n'ai d'autres occupations que l'étude et mon plaisir je crois que je n'en serais pas resté là et que j'aurai trouvé facilement la solution suivante.

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Mais voici ma lettre qui devient assez longue, je la finis donc dans la crainte de vous ennuyer ; c'est en vous assurant de la parfaite estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Alexis Clairaut.

Paris 4 janv[ier] 1742

P.S. Comme l'estime que j'ai pour vous, Monsieur, entraîne nécessairement un intérêt de tout ce qui vous regarde, pardonnez la curiosité que j'ai de savoir comment vous vous trouvez à Berlin et quelles y sont vos occupations (O IVA, 5, pp. 102-109).
Euler répond à Clairaut vers février (cf. [3 février 1742]).

Un extrait de cette lettre est lu par Clairaut à l'Académie (cf. 23 août 1743 (2)).
Abréviations
Références
  • Bouguer (Pierre), « Comparaison des deux lois que la Terre et les autres planètes doivent observer dans la figure que la pesanteur leur fait prendre », HARS 1734, Mém., pp. 21-40, 1pl [Télécharger] [Bouguer] [2 octobre 1738 (1)] [Plus].
  • Clairaut (Jean-Baptiste), « De novam quadam Tractoriae Specie Problema », Miscellanea Berolinensia, vol. 5, 1737, pp. 33-35, 1 pl [Télécharger] [Sans date (1)] [1 mars 1736 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
  • Fontaine des Bertins (Alexis), « Problème. Une courbe étant donnée, trouver celle qui serait décrite par le sommet d'un angle dont les côtés toucheraient continuellement la courbe donnée ; et réciproquement la courbe qui doit être décrite par le sommet de l'angle, étant donnée, trouver celle qui sera touchée par les côtés », HARS 1734, Mém., pp. 527-530 [Télécharger] [21 janvier 1735 (1)] [Plus].
  • Fontaine des Bertins (Alexis), « Réponse aux remarques précédentes », HARS 1734, Mém., p. 538 [Télécharger] [26 janvier 1735 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 4 janvier 1742 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n4janvier1742po1pf.html [Notice publiée le 1 novembre 2011].