Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


15 novembre 1759 (2) : D'Alembert rédige l'article « Lune » de l'Encyclopédie :
Il s'agit donc de trouver l'équation de la courbe, que la Lune décrit en vertu de ces forces, et son intégration approchée ; or c'est ce que M. Euler, M. Clairaut et moi, avons trouvé en 1747 par différentes méthodes, qui toutes s'accordent quant au résultat. Je donnerai au mot « Problème des trois corps » [ ! cf. 14 juin 1747 (1)], une idée de la mienne, qui me paraît la plus simple de toutes ; mais quelque jugement qu'on en porte, il est certain que les trois méthodes conduisent exactement aux mêmes conclusions. La seule difficulté est dans la longueur peut-être du calcul. On peut en voir la preuve dans les ouvrages que Messieurs Euler, Clairaut et moi, avons publiés sur ce sujet. Celui de M. Euler a pour titre Theoria motus lunae [(Euler 53)] ; celui de M. Clairaut est la pièce qui a remporté le prix à Pétersbourg en 1751 [C. 39], et le mien est intitulé Recherches sur différents points importants du système du monde [(Alembert 54-56)].
[…]
M. Clairaut et moi avons aussi publié des tables de la Lune suivant notre théorie ; celles de M. Clairaut [C. 41], qui sont moins exactes que celles de M. Mayer [(Mayer 52)], ont encore l'inconvénient de demander beaucoup plus de temps pour le calcul, parce qu'elles renferment un très grand nombre d'équations. On assure que M. Clairaut a depuis ce temps perfectionné et simplifié beaucoup ces mêmes tables [C. 392=C. 412], mais il n'a encore rien publié de son travail dans le moment où nous écrivons ceci (le 15 nov[embre] 1759). Pour moi je me suis presque borné à donner d'après ma théorie, des tables de correction pour celle des Institutions astronomiques [(Le Monnier 46a)] ; mais j'ai reconnu depuis par la comparaison avec les observations et avec les meilleures tables, que ces tables de correction pourraient être perfectionnées à plusieurs égards ; non seulement je les ai perfectionnées, mais j'ai plus fait, j'ai dressé des tables de la Lune entièrement nouvelles, dont le calcul est très expéditif, et qui, je crois, répondront assez exactement aux observations. Je n'en dirai pas davantage ici, parce que ces tables auront probablement vu le jour avant que cet article paraisse.
Ces nouvelles tables sont dressées en partie sur les calculs que j'ai faits par théorie, en partie sur la comparaison que j'ai faite de mes premières tables avec celles de Messieurs Le Monnier [(Le Monnier 46a)] et Mayer [(Mayer 52)], qui ont été comparées jusqu'ici à un plus grand nombre d'observations que les autres, et qui ont l'avantage de s'en écarter peu, et d'être d'ailleurs les plus expéditives pour le calcul, et les plus familières aux astronomes. La raison qui m'a déterminé à ne pas dresser mes tables uniquement d'après la théorie, c'est l'épreuve que j'ai faite par mes propres calculs, et par ceux des autres, de la plupart des coefficients des équations lunaires, dont on ne peut, ce me semble, assurer qu'aucun soit exact à une minute près, et peut-être davantage. Cet inconvénient vient 1° De ce que le nombre de petits termes et de petites quantités qui entrent dans chacun de ces coefficients est si grand, qu'on n'est jamais assuré de n'en avoir point omis qui puisse produire d'effet sensible. 2°. De ce que plusieurs des séries qui expriment les coefficients sont assez peu convergentes. 3°. Enfin de ce qu'il y a des termes qui étant très - petits dans la différentielle, peuvent devenir très grands, ou au moins beaucoup plus grands par l'intégration. On peut voir les preuves de tout cela dans mes Recherches sur le système du monde [(Alembert 54-56)], première et troisième parties, et dans un écrit inséré à la fin de la seconde édition de mon Traité de dynamique [(Alembert 43)], en réponse à quelques objections qui m'avoient été faites sur ce sujet.

Une des preuves les plus frappantes de ce que j'avance ici sur l'incertitude des coefficients des équations lunaires, c'est l'erreur où nous avons été longtemps Messieurs Euler, Clairaut et moi, sur le mouvement de l'apogée de la Lune. Nous nous étions bornés tous trois à calculer d'abord le premier terme de la série qui exprime ce mouvement, nous avons trouvé que ce terme ne donnait que la moitié du mouvement réel de l'apogée, parce que nous supposions tacitement que le reste de la série pourvoit se négliger par rapport au premier terme ; de là M. Clairaut avait conclu que la gravitation n'était pas la raison inverse du quarré des distances, mais qu'elle suivait quelque autre loi ; en quoi il faut avouer que sa conclusion a été trop précipitée, puisque quand même le mouvement de l'apogée trouvé par la théorie ne serait que la moitié de ce qu'il est réellement, on pourrait sans changer la loi d'attraction et y substituer une loi bizarre, attribuer cet effet comme je l'avais imaginé, à quelque cause particulière différente de la gravitation, comme à la force magnétique, dont M. Newton fait mention expressément. On peut voir dans les Mém[oires], de l'Acad[émie] des sciences de 1745, la dispute de Messieurs Clairaut et de Buffon sur ce sujet [(Buffon 45a), C. 34, (Buffon 45b), C. 36, (Buffon 45c), C. 37, cf. 20 janvier 1748 (2)]. On peut aussi consulter l'article « Attraction », et mes Recherches sur le système du monde [(Alembert 54-56)], première partie, art. 173. Quoi qu'il en soit, M. Clairaut s'aperçut le premier de l'erreur commune à nos calculs, et me communiqua la remarque qu'il en avait faite ; on peut en voir le détail dans mes Recherches sur le système du monde, art. 107 et suivants. Il m'apprit qu'ayant voulu calculer le second terme de la série du mouvement de l'apogée, pour connaître à très peu près ce que le fond de la gravitation donnait pour le mouvement, il lui était venu un second terme qui n'était pas fort différent du premier, ce qui rendait à la gravitation tout son effet pour produire le mouvement entier de l'apogée. Cette remarque, il faut l'avouer, était très forte en faveur de la gravitation ; cependant il est évident qu'elle ne suffit pas encore pour décider la question ; car puisque les deux premiers termes de la série étaient presque égaux, le troisième pouvait l'être encore aux deux premiers ; et en ce cas, selon le signe de ce troisième terme, on aurait trouvé le mouvement de l'apogée beaucoup plus grand ou beaucoup plus court qu'il ne fallait pour la théorie de la gravitation. Il était donc absolument nécessaire de calculer ce troisième terme, et même quelques-uns des suivants, pour s'assurer si la théorie de la gravitation répondait en effet aux phénomènes ; car jusque là, je le répète, il n'y avait encore rien de décidé. J'entrepris donc ce calcul, que jusqu'ici aucun autre géomètre n'a fait encore. J'en ai donné le résultat dans mes Recherches sur le système du monde [(Alembert 54-56)], au chap. xx. de la première partie, et il en résulte que le mouvement de l'apogée trouvé par la théorie, est tel que les observations le donnent. Voilà ce que l'Astronomie doit à M. Clairaut et à moi sur cette importante matière.
Une autre remarque qui m'est entièrement due, et que je communiquai à M. Clairaut au mois de juin 1748 [cf. Juin 1748 (1)], c'est le calcul des termes, qui dans l'équation de l'orbite lunaire ont pour argument la distance du Soleil à l'apogée de la Lune. M. Clairaut croyait alors, faute d'avoir calculé tous les termes essentiels qui entrent dans cette équation, qu'elle montait à environ 35 ou 40 minutes ; ce qui, comme M. Clairaut le croyait alors, renversait entièrement la théorie et le système newtonien ; je lui fis voir que cette équation était beaucoup moindre, et de deux à trois minutes seulement ; ce qui rétablissait la théorie dans tous ses droits.
Je ne dois pas oublier d'ajouter 1°. Que ma méthode pour déterminer le mouvement de l'apogée, est très élégante et très simple, n'ayant besoin d'aucune intégration, et ne demandant que la simple inspection des coefficient du second terme de l'équation différentielle. 2°. Que j'ai démontré le premier par une méthode rigoureuse, ce que personne n'avait encore fait, et n'a même fait jusqu'ici, que l'équation de l'orbite lunaire ne devait point contenir d'arcs de cercle ; si on ajoute à cela la manière simple et facile dont je parviens à l'équation différentielle de l'orbite lunaire, sans avoir besoin pour cela, comme d'autres géomètres, de transformations et d'intégrations multipliées ; et le détail que j'ai donné ci-dessus de mes travaux et de ceux des autres géomètres, on conviendra, ce me semble, que j'ai eu plus de part à la théorie de la lune que certains mathématiciens n'avoient voulu le faire croire. Je ne dois pas non plus passer sous silence la manière élégante dont M. Euler intègre l'équation de l'orbite lunaire ; méthode plus simple et plus facile que celle de M. Clairaut et que la mienne ; et cette observation jointe à ce que j'ai dit plus haut des travaux de ce grand géomètre, par rapport à la Lune, suffira pour faire voir qu'il a aussi travaillé très utilement à cette théorie, quoiqu'on ait aussi cherché à le mettre à l'écart autant qu'on l'a pu. L'encyclopédie faite pour transmettre à la postérité l'histoire des découvertes de notre siècle, doit par cette raison rendre justice à tout le monde ; et c'est ce que nous croyons avoir fait dans cet article. Comme ce manuscrit est prêt à sortir de nos mains pour n'y rentrer peut-être jamais, nous ajouterons par la suite dans les suppléments de l'Encyclopédie ce qui aura été ajouté à la théorie de la Lune, depuis le mois de novembre 1759, où nous écrivons cet article (Alembert 65b).
Cet article paraîtra longtemps après avoir été écrit, en 1765, l'année de la mort de Clairaut.

Parallèlement, la polémique avait gagné la comète après le retour de celle-ci (cf. 15 novembre 1758 (1)).
Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « 15 novembre 1759 (2) : D'Alembert rédige l'article « Lune » de l'Encyclopédie », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n15novembre1759po2pf.html [Notice publiée le 20 août 2011].