10 janvier 1744 C'est avec un grand regret que je me rappelle le temps où j'avais le bonheur de jouir quelquefois à Paris des agréments de votre conversation, et du charme de votre connaissance [cf. 30 mars 1729 (1)] et de celui où vos chères lettres diminuaient du moins le chagrin de ce premier avantage. Pourquoi faut-il que je n'aie plus cet agrément, qui m'était si sensible et dont je retirais tant de douceur et tant d'utilité ? Votre bon cœur m'est trop bien connu pour que je puisse croire que votre voyage en Laponie [cf. 3 septembre 1735 (1)] vous ait fait oublier un ami qui vous chérit si tendrement, et les assurances que M. de Champeaux m'a apportées il y a quelque temps de votre souvenir ne me permettent pas d'avoir le moindre doute sur cet article. C'est donc ma faute si j'ai perdu la douceur d'un commerce que j'ose vous supplier de vouloir bien renouveler, si les plaisirs que vous trouvez sans doute dans tant de découvertes ne vous transportent pas au point de vous faire oublier tout le monde. Je parle ainsi parce qu'en effet on vous voit mettre au jour tant de belles choses qu'il me semble que celui qui les trouve n'a pas besoin de chercher du plaisir hors de lui-même. Je mets bien dans ce rang votre théorie de la figure de la Terre [C. 29] qui m'a charmé, ravi, transporté. La première partie est tout ce que j'ai vu de plus élégant, de plus finement et de plus heureusement pensé. Et quoique la théorie de M. MacLaurin [(MacLaurin 42)] soit réellement quelque chose de très beau, ce que vous avez bâti là-dessus dans votre seconde partie est tellement supérieur, qu'il ne lui reste que la gloire d'avoir pensé le premier à ce tour là. M. Euler fait imprimer dans nos quartiers un ouvrage admirable sur le problème des isopérimètres, ou plutôt sur l'invention générale des courbes qui ont quelques max[imums] ou minimums [(Euler 44a)]. Vous aviez traité cette matière dans quelque vol[ume] de l'Académie [celui de 1733, avec C. 8] et, autant que je me le rappelle, avec ce bon goût qui caractérise vos ouvrages, d'une manière qui me semblait avoir toute la généralité possible. Je ne sais pourtant si M. Euler ne pousse pas à des questions encore plus générales. C'est une suite de la méthode qu'il a donnée dans quelque mémoire de Petersbourg. Je n'entre pas dans un plus grand détail parce que l'ouvrage doit paraître dans peu de mois, à ce que nous assure le libraire. Permettez que je vous prie d'agréer un exempl[aire] des Œuvres de M. J[ean I] B[ernoulli] [(Bernoulli 42a)] que j'ai fait imprimer. Je me flatte que le nom de ce grand homme vous fera accepter avec bonté ce faible hommage que je rends à vos admirables talents et à vos grandes lumières. Je n'ai point eu le bonheur de vous connaître particulièrement, M[onsieur], cependant je vous estime infiniment et je pense... D'une admiration sincère on passe aisément à des sentiments plus tendres, et si j'osais dès ce moment à vous prier de me donner quelque part votre amitié je n'hésiterais point. Mais il faut auparavant la mériter par quelque service. Daignez, Monsieur, m'en fournir quelque occasion. Je ne puis à présent que vous assurer de la haute estime et du parfait dévouement avec lequel [blanc]. J'ai été prévenu par M. Bernoulli dans l'envoi que j'avais dessein de vous faire d'un exempl[aire] de ses œuvres. Voici celles de feu M. son frère [(Bernoulli 44)], que je vous prie d'agréer, comme preuve bien légère de mon estime et de mon attachement (Speziali 55).
La dernière pièce connue de la correspondance entre Clairaut et Cramer remontait à celle du 7 mars 1732 (cf. 7 mars 1732 (1)). L'exemplaire de C. 29 appartenant à Cramer est conservé à la BGE sous la cote Kc 27. Le même jour, Cramer renoue sa correspondance avec Buffon en lui envoyant une lettre comparable, quoique plus courte, et en lui joignant aussi les œuvres de Jacques Bernoulli (Weil 61). Clairaut répond à Cramer le 10 février (cf. 10 février 1744 (1)).
Courcelle (Olivier), « 10 janvier 1744 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n10janvier1744po1pf.html [Notice publiée le 5 mars 2010].
