7 mars 1732 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Cramer :
Monsieur, Je suis tout confus d'avoir été si longtemps sans répondre à l'obligeante lettre [perdue, cf. [c. 16 octobre 1731]] que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, mais quelques occupations que j'avais dans ce temps là, et une maladie que j'ai eue depuis, en ont été la cause. Je vous supplie de bien vouloir en agréer mes excuses et j'espère à l'avenir être beaucoup plus exact. Il y a trop à profiter pour moi dans votre correspondance pour ne pas l'entretenir soigneusement et je serais bien heureux que vous ne vouliez pas m'oublier. Je vous suis bien obligé de m'avoir communiqué le fragment de lettre de M. Bernoulli [du 1 septembre 1731 (1)]. On ne peut rien de plus flatteur et de plus capable de donner de l'émulation, mais je crains bien que ce ne soit plutôt la façon dont vous aurez paru penser sur mon compte que mon ouvrage qui m'aura attiré ces compliments car je sais trop bien que je ne les mérite pas. Je vous supplie de vouloir bien le remercier très humblement de ma part et de vouloir bien l'entretenir dans la bonne opinion qu'il a de moi [cf. 10 avril 1732 (1)]. Je suis bien charmé de ce que vous ayez passé quelque temps avec M. Le Clerc [futur Buffon]. Selon ce que j'en ai entendu dire, c'est une des personnes des plus aimables et estimables. Il me parait de plus avoir de la capacité. J'en ai jugé par une lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire, dans laquelle il m'envoya une méthode pour résoudre les centres de gravité fort ingénieuse. D'ailleurs c'est une personne de beaucoup d'esprit. Je me suis très souvent entretenu de lui avec un de nos grands amis communs qui est M. des Gemmeaux [Loppin de Gemeaux], aussi de Dijon, qui m'a mandé depuis peu que vous étiez en correspondance ensemble, dont j'ai été bien charmé puisque c'est un ami commun avec vous. Je voudrais en vérité, Monsieur, jouir comme M. Le Clerc du plaisir d'être avec vous et, si jamais je puis faire quelque voyage, je tacherai bien de vous aller trouver. J'ai vu avec beaucoup de plaisir vos nouvelles et générales propriétés sur les polygones. Elles sont tout à fait curieuses. Si vous le souhaitez je les lirai à l'Académie où je suis persuadé qu'elles seront très bien reçues comme tous les ouvrages qui viendront de vous. Il y a de la difficulté à ce qu'il me parait pour trouver comme vous les centres de gravité des courbes mécaniques, du moins quand on veut avoir la valeur analytique de la sous centrique. Si l'on voulait se contenter seulement d'une construction par les quadratures voici comme je m'y prendrais [maths, C. 2]. Si la méthode que vous avez imaginée n'est pas la même que celle-là, et que vous ayez par exemple cherché l'expression analytique, je vous serai bien obligé de me l'envoyer. M. de Maupertuis nous a lu à l'Académie plusieurs beaux mémoires. Il en a lu un l'été passé où il avait une méthode fort ingénieuse et très heureuse en beaucoup d'occasions pour intégrer ou séparer les différentielles des équations. Il a lu aussi une façon extrêmement courte et simple de trouver la balistique et tous les théorèmes et problèmes que l'on résout ordinairement à ce sujet, et cela dans une demie page. Il fait dans cette petite étendue tout ce qui est renfermé dans un grand mémoire de Guinée, dans l'Art de jeter les bombes etc. Il a lu encore plusieurs beaux mémoires aussi bien que quelques autres académiciens dont je vous rendrai compte à la première fois. Je me suis appliqué toutes ces vacances passées à un assez grand mémoire [C. 3] que je viens de rachever de lire à l'Académie [cf. 5 décembre 1731 (1)]. C'est un petit traité des courbes que l'on peut former en coupant une surface courbe quelconque par un plan donné de position. Le principal usage que j'en ai fait est d'expliquer un article de Newton dans l'art[icle] V intitulé Genesis curvarum per umbras où il dit sans aucune démonstration que les cinq paraboles divergentes donnent par leurs ombres sur un plan par le moyen d'un fixe lumineux toutes les courbes du 3e degré [maths, C. 3]. La difficulté du problème de l'art[icle] V consiste en ce qu'on y rencontre dans la plupart des solutions qu'on imagine, des équations très composées à résoudre absolument avant de les substituer dans d'autres, et qui quelquefois ne peuvent pas se résoudre. J'ai heureusement trouvé une méthode qui s'en passe et qui donne une construction générale. M. Nicole qui travaillait depuis du temps sur cette matière a donné aussi un mémoire là dessus, où il se proposait d'abord de trouver par l'ombre d'une seule courbe du 3e degré toutes les autres, mais il ne m'a pas paru qu'il ait réussi. Si cette matière vous fait plaisir je pourrai vous en entretenir d'avantage une autre fois car il me semble que j'ai déjà outré les bornes d'une lettre. Je finis donc dans la crainte de vous ennuyer et en vous assurant que je suis avec le plus sincère attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut le fils. À Paris, ce 7 mars 1732. Je vous supplie de vouloir vous charger d'un million de compliments pour M. votre frère. Mon père m'a chargé de vous faire bien ses compliments de même qu'à M. votre frère (Speziali 55).
Cramer évoque cette lettre à Jean I Bernoulli le 10 avril (cf. 10 avril 1732 (1)). La correspondance entre les deux hommes s'interrompt et reprend avec une lettre de Cramer du 10 janvier 1744 (cf. 10 janvier 1744 (1)).
C. 3 : Clairaut (Alexis-Claude), « Sur les courbes que l'on forme en coupant une surface courbe quelconque, par un plan donné de position », HARS 1731 (1733), Mém., pp. 483-493, 1 pl [Télécharger] [5 décembre 1731 (1)] [12 décembre 1731 (1)] [Plus].
HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
Courcelle (Olivier), « 7 mars 1732 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Cramer », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n7mars1732po1pf.html [Notice publiée le 5 juillet 2007].