24 février 1751 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur, J'ai enfin reçu l'exemplaire de votre traité de navigation [(Euler 49a)] dont vous voulez bien me faire présent [cf. 31 décembre 1750 (1)]. Je n'ai pu encore faire autre chose que de parcourir à la hâte les belles recherches dont il est rempli, et je n'y ai rien vu qui ne répondît à l'idée que j'ai de votre talent pour toutes les parties des mathématiques que vous entreprendrez de traiter. L'intérêt que je prends à vous m'a fait voir avec bien du plaisir que M. Bouguer, l'un de nos géomètres que je considère le plus et qui a traité la même matière que vous, parle de votre ouvrage avec éloge [(Bouguer 46a) NDE]. Ne concluez pas de que je vous le marque que j'aie besoin de le voir approuver de personne pour en connaître tout le prix. Mon but n'est que vous dire combien j'ai de plaisir lorsque je vois augmenter le nombre de gens qui vous veulent du bien dans notre corps. Afin d'y contribuer, j'ai saisi l'occasion que m'offrait votre livre de prévenir en votre faveur un homme de mes confrères qui a beaucoup d'amis tant dans l'Académie qu'auprès du ministre. C'est M. Duhamel (de l'Académie et inspecteur général de la marine) ; comme il travaille à un traité élémentaire sur la construction des navires [(Duhamel du Monceau 52), cf. 6 mars 1751 (1)], je lui ai prêté votre livre afin qu'il en tirât quelques secours pour son plan. Si vous en preniez quelque occasion de lui faire politesse, je crois entre nous que vous ne feriez pas mal. Il peut beaucoup contribuer à remplir le désir que j'ai de vous voir l'un de nos associés étrangers. Je vous remercie du petit avertissement que vous m'avez envoyé au sujet de l'Académie de Pétersbourg [informant que la date limite de réception du concours primitivement fixée au (12) 1er janvier 1751 était reportée au (12) 1er juin (Kopelevich 66) NDE], mais je suis bien fâché que ces Messieurs ne me l'aient pas envoyé plus tôt. Je ne comprends pas même pourquoi M. le C[om]te Rasumowsky [Razumovskij] à qui j'ai écrit [cf. [6 décembre 1750]] en envoyant ma pièce [C. 39] ne s'est pas donné la peine de me répondre [cf. 10 février 1751 (1)]. N'est-ce pas l'usage dans cette Académie comme dans les autres d'envoyer un récépissé des pièces ? Je me suis nommé dans cette lettre que je lui ai écrite non comme l'auteur de la pièce que je joignais (qui n'était pas de mon écriture) et je ne lui ai parlé que comme connaissant l'auteur sans lui montrer y prendre quelque intérêt. Cette précaution m'a paru d'autant plus suffisante pour répondre à l'esprit de leur programme qui défend de se nommer, que M. Rasumowsky n'est point des juges. Avec vous qui en serez un et peut être le seul, je dois faire plus de façons pour me cacher. Mais je les crois si inutiles que je ne me donne pas la peine d'y penser. Mandez-moi je vous supplie ce que je dois faire pour en avoir des nouvelles et s'il faut écrire à quelque autre personne que le président, donnez m'en je vous supplie le nom et l'adresse ; et dites moi s'il y a quelque formalité à observer. Je ne crois pas avoir fait de faute en n'affranchissant pas ma pièce. Il m'aurait paru même ridicule d'y penser. À dire le vrai je suis fâché de ce délai de l'Académie de Pétersbourg car il ne peut pas manquer de donner de l'avantage à ceux en faveur desquels il est fait [Si Clairaut pense à d'Alembert, Euler le rassurera le 16 mars, cf. 16 mars 1751 (1)]. Si je m'en étais douté lorsque j'ai fait partir ma pièce, j'aurais eu plusieurs mois de plus pour lui donner un meilleur ordre et pour en perfectionner encore les calculs qui en sont toujours susceptibles, travail que j'aurai fait plus volontiers dans le temps que j'y étais livré, qu'actuellement que j'ai quitté la matière pour penser à d'autres choses, et qu'il ne me reste plus que deux mois dont je ne pourrai presque pas disposer. Mais que j'aie le temps ou non de faire quelque addition à ma pièce, si elle est arrivée à bon port, je ne me croirais pas absolument malheureux. Car je me flatte que malgré les effets de la hâte que vous y apercevrez, vous y trouverez la réponse aux questions de l'Académie et à celle de votre dernière lettre. En attendant que vous la voyiez je vous dirai seulement 1° Que je n'ai point du tout négligé le terme [maths] et que j'ai eu égard à des quantités beaucoup plus négligeables en elles-mêmes. Que ce terme n'a produit qu'un léger changement dans la détermination du mouvement de l'apogée et que lorsque j'ai eu considéré à la fois l'inclinaison de l'orbite qu'entre bien pour 1/100 dans le mouvement cherché, l'excentricité de l'orbite du Soleil qui fait aussi quelque petite chose, j'ai trouvé pour l'arc décrit par l'apogée dans une révolution de la Lune un nombre qui ne diffère du vrai que de très peu de secondes, et comme je n'ai jamais pu éviter de petites fautes dans les calculs arithmétiques, et que le même calcul recommencé m'a donné ces mêmes erreurs tantôt d'un côté tantôt d'un autre, je ne doute point que l'on parvînt au vrai nombre soit en faisant les calculs plus exactement, soit en ne négligeant pas quelques autres petits termes que je néglige encore, et qui sont très négligeables pour toutes les autres parties de la théorie de la Lune. 2° Je ne comprend pas bien votre idée lorsque vous me dites que le simple angle v n'entre pas dans la formule [maths]. v qui exprime l'anomalie vraie de la Lune comptée d'un axe fixe ne doit pas entrer dans l'équation de l'orbite ; [...] on doit y trouver à sa place l'anomalie mv comptée depuis la position de l'apogée. Or le lemme que j'emploie pour donner la valeur de [maths] me sert à chasser tous les termes à simple v que contiendrait l'équation de l'orbite et à rendre l'équation choisie [maths] semblable à celle qui vient après la substitution de la valeur de [maths] dans l'équation [maths]. C'est là l'esprit de ma solution qui donnerait automatiquement la vraie équation si l'on avait sa forme, et qui en fera approcher autant que l'on voudra lorsqu'on aura bien de l'attention aux termes qui contiennent des cosinus de multiple de v dont les exposants seront peu différents de l'unité ou très petits en eux-mêmes. Quant à la comparaison de mon résultat avec le vôtre, il ne peut pas se faire au premier coup d'œil comme vous l'imaginez parce que nous n'avons pas les mêmes dénominations. Vous employez l'anomalie excentrique et moi son anomalie moyenne ainsi que celle du Soleil. Il faut donc pour la comparaison changer une des expressions et lui donner la même forme que l'autre. Je me souviens d'avoir réduit celle qui résulte de votre Almanach de Berlin et d'avoir trouvé quelque peu de minutes dont elle diffère de la mienne, mais je ne sais ce que j'ai fait de la formule tirée de la vôtre. Je la rechercherai et vous l'enverrai ainsi que sa comparaison avec la mienne. Autant qu'il m'en souvient, il y a quelques-uns des termes sur lesquels la théorie m'a toujours donné le même résultat qui s'écartent un peu des vôtres. Il y en a aussi sur lesquels dans les différentes fois que j'ai répété mon calcul, j'ai trouvé assez de variété pour ne pas pouvoir assurer que les miens appartiennent plus à la théorie que les vôtres. Mais les différences ne sont pas considérables dans ceux-là. De plus, j'ai quelques termes que vous n'avez pas dans lesquels entre la position des nœuds, et ils ne sont point du tout négligeables. Avec tout cela, je n'ai pas encore trouvé que je pusse répondre d'être plus près que 4' des observations. Mais je crois très possible qu'un plus grand soin dans les calculs m'en rapprochât d'avantage. Et quand cela n'arriverait pas, c'est assez tirer ce me semble de la théorie seule que d'arriver à une telle exactitude lorsque l'on voit les tables des Anglais qui sont le fruit des observations de Horoxx [Horrocks !], Flamsteed, Halley, etc. s'écarter du vrai de plus de 8'. J'ai vu avec plaisir la manière dont vous avez traité l'équation différentielle que vous m'avez envoyée. Je fais beaucoup de cas de ces sortes d'intégration et je désirerais beaucoup qu'un homme tel que vous qui en avez inventé un si grand nombre les rassemblât dans le plus petit volume possible pour servir dans l'occasion. J'ai l'honneur d'être avec toute l'estime et l'attachement possible, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris, 24 fév[rier] 1751 (O IVA, 5, pp. 200-202).
Clairaut répond à une lettre perdue d'Euler. La dernière lettre de Clairaut remontait à celle du 31 décembre 1750 (cf. 31 décembre 1750 (1)). Euler répond à Clairaut le 16 mars (cf. 16 mars 1751 (1)).
Abréviations
C. 39 : Clairaut (Alexis-Claude), Théorie de la Lune déduite du seul principe de l'attraction réciproquement proportionelle (sic) aux quarrés des distances... Pièce qui a remporté le prix de l'Académie impériale des sciences de Saint Pétersbourg en 1750..., Saint-Pétersbourg, 1752, in-4°, 92 p [Télécharger] [6 décembre 1750 (1)] [Sans date (1)] [(7 novembre) 27 octobre 1737 (1)] [Plus].
Duhamel du Monceau (Henri-Louis), Elémens de l'architecture navale, ou Traité pratique de la construction des vaisseaux, Paris, 1752 [Télécharger] [Bouguer] [Plus].
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Kopelevich (Y. K.), « The Petersbourg Astronomy contest in 1751 », Soviet Astronomy AJ, 9 (January-February 1966) 653-660 [15 juillet 1749 (1)].
Courcelle (Olivier), « 24 février 1751 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n24fevrier1751po1pf.html [Notice publiée le 7 octobre 2010].