31 décembre 1750 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur, C'est avec un plaisir infini que j'ai vu par votre obligeante lettre [perdue NDM] que vous m'aviez destiné un exemplaire de votre théorie des vaisseaux [(Euler 49a)]. J'avais un véritable désir de la voir [cf. 12 avril 1741 (2)] parce que c'est l'ouvrage d'un grand homme. Mais mon envie en est encore augmentée par la reconnaissance, et ce sentiment m'est bien doux, joint à une estime telle que celle que vous inspirez. Le ballot que vous avez envoyé à Paris n'est point encore arrivé du moins à ce que l'on m'a dit chez le libraire car comme il est absent depuis quelque temps, je n'ai pu avoir de trop bonnes raisons de ses gens : ce qu'il y a de certain, c'est qu'aussitôt que votre livre me sera parvenu, je le lirai avec tout l'empressement que mérite ce qui sort de votre main. Vous ne me devez aucune reconnaissance pour les petits mouvements que je m'étais donné à votre sujet lorsqu'il était question de remplir la place de M. Crousaz [cf. Mars 1750 (1)], parce que le bien de la chose le demandait. Tout homme zélé pour sa compagnie ne manquera pas de désirer qu'elle soit décorée du nom de M. Euler. Mais indépendamment de l'intérêt académique, j'aurais été enchanté si j'avais pu en cette occasion, ainsi que je le désire en toute autre, vous donner une marque de mon estime et de mon attachement. J'avais vu dans la pièce sur Saturne [pour le prix de 1750, cf. 6 septembre 1749 (2)] dont vous me parlez la théorie de la Lune qui y est insérée, et j'y avais admiré beaucoup d'idées belles et singulières dont vos ouvrages sont toujours remplis. Mais je ne l'avais pas assez examinée pour trouver l'endroit des méthodes que vous suivez que je devrais attaquer ou par lequel je pourrais changer d'avis moi-même au sujet de la différence de nos résultats sur le mouvement de l'apogée de la Lune. Il est si difficile de suivre les idées d'un autre lorsqu'on n'a pas achevé de tirer des siennes, tout ce qu'elles peuvent donner, qu'avec toute la volonté du monde on n'y réussit pas. Actuellement que je suis libre je crois que je m'attacherais à votre méthode avec toute l'ardeur nécessaire si je l'avais sous les yeux, mais ne l'ayant plus je ne puis qu'attendre de vous-même la cause de notre discordance. Et je me flatte que quand vous aurez lu la pièce [C. 39] que j'ai fait partir pour Pétersbourg au commencement de ce mois, où vous penserez comme moi, où vous me ferez revenir à votre sentiment. En attendant je serai charmé de m'entretenir avec vous sur cette matière? Comme cette lettre sera plus tôt chez vous que ne pourra y être ma pièce, je vous supplierai de commencer par relier les feuilles de mon mémoire de 1745 [C. 33], et de faire attention à ce que j'y ai dit dans la pag[e] 352 sur la manière de déterminer [maths]. Quoique j'aie composé ma pièce avec beaucoup de précipitation, ayant commencé trop tard a arrangé mes idées, je me flatte que vis-à-vis d'un juge aussi éclairé et aussi équitable que vous, je serai dans le même cas que si j'avais exposé mes principes le plus à mon avantage. Comme il y a cependant beaucoup de détails de calculs que je n'ai pas eu le temps d'écrire, si vous en souhaitez quelques-uns, je me ferai un grand plaisir de vous les envoyer. Vous trouverez une démonstration de mon 1er lemme pour donner une forme finie à l'expression du temps et à l'équation de l'orbite, dont la simplicité m'a paru satisfaisante. Je passe ensuite à des manières de ne négliger dans le problème que le moins qu'il est possible, par le moyen desquelles il me semble que j'ai embrassé toutes les parties de la théorie de la Lune. Et je termine mon mémoire par la comparaison d'une centaine d'observations avec les lieux calculés par mes tables, qui n'emploient que la seule supposition de l'attraction newtonienne. Le temps ne m'a pas permis de rectifier les éléments astronomiques nécessaires tels que l'excentricité de l'orbite et la position des lieux moyens. Mais en prenant la première de 0.055 05 (que je crois trop forte) et le lieu de l'apogée comme M. Halley et qui doit être ce me semble reculé, je n'ai jamais eu 5 minutes d'erreur. Or avec la correction de ces éléments, j'ai vu depuis le départ de ma pièce que je pouvais approcher beaucoup davantage de la nature. De plus, il y a quelques petites équations que je n'avais pas vérifiées ou achevées et qui me promettent le plus grand accord de ma théorie avec les observations. Quoiqu'il en soit ma pièce, dans l'état où elle est, me paraît remplir entièrement le but proposé, et il ne manque à ma satisfaction que de vous voir changer d'avis sur l'article de l'apogée. Car M. d'Alembert dont le jugement me flatte le plus après le vôtre est entièrement revenu de son premier avis. Lorsque je me rétractai [cf. 17 mai 1749 (2)] il ne voulut pas d'abord croire que l'on pourrait trouver le vrai mouvement de l'apogée en n'employant que la seule attraction de Newton ; mais après lui avoir communiqué les réflexions dont je viens de vous parler sur la page 352 de mon mémoire (et sur quelques-uns des articles du sien qui pouvaient y avoir de rapport) il revint et se rétracta aussi. Il retira à la vérité quelques jours après sa rétractation. Mais un mûr examen l'a tout à fait rangé du même avis que moi à ce que j'ai appris. Je vous réitère donc l'envie que j'ai de vous voir examiner la question pour me confirmer dans ma découverte ou pour revenir de mon erreur si j'ai tort car je vous assure que malgré l'éclat que j'ai fait je me rendrais sans répugnance à vos raisons si vous persistiez après m'avoir mûrement examiné. En attendant j'ai l'honneur de vous assurer de la plus grande estime et du plus parfait attachement avec lesquels je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris, dernier [décem]bre 1751 (O IVA, 5, pp. 197-199).
Clairaut répond à une lettre perdue d'Euler. La dernière de Clairaut remontait à celle du 24 juillet (cf. 24 juillet 1750 (1)). La réponse d'Euler est perdue. Clairaut réécrit à Euler le 24 février 1751 (cf. 24 février 1751 (1)).
C. 39 : Clairaut (Alexis-Claude), Théorie de la Lune déduite du seul principe de l'attraction réciproquement proportionelle (sic) aux quarrés des distances... Pièce qui a remporté le prix de l'Académie impériale des sciences de Saint Pétersbourg en 1750..., Saint-Pétersbourg, 1752, in-4°, 92 p [Télécharger] [6 décembre 1750 (1)] [Sans date (1)] [(7 novembre) 27 octobre 1737 (1)] [Plus].
HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
Euler (Leonhard), Scientia Navalis, 2 vol., Petropoli, 1749 [12 avril 1741 (2)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 31 décembre 1750 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n31decembre1750po1pf.html [Notice publiée le 29 septembre 2010].