Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


Mars 1744 (1) : Cramer écrit à Clairaut :
Mars 1744.

Je suis sensible comme je le dois aux marques d'amitié que vous me donnez dans votre lettre [cf. 10 février 1744 (1)], et comment ne le serais-je pas, ayant eu le bonheur de vous voir et l'avantage de connaître combien vous êtes aimable et estimable. Je vous assure que je ne souhaiterais rien avec plus d'ardeur que de pouvoir vous donner des marques des sentiments que j'ai pour vous. Vous en seriez sûrement content, et vous les trouveriez tels que vous les méritez. C'est tout dire. J'envie le bonheur du P. Jacquier qui jouit de votre présence et de votre conversation. Je crois qu'il aura bien de la peine à s'en arracher et que nous ne le reverrons pas de sitôt, à moins que le devoir de l'obéissance ne le renvoie en Italie. Car je m'assure que s'il en est le maître, il préférera le séjour de Paris à celui de Rome. Quoiqu'il en soit, assurez le, je vous prie, de mes respects. Dans le peu de moments que j'ai eu le bien de le voir ici, j'ai acquis la même idée que vous. Un caractère aimable assortit d'autant mieux un grand savoir, que cet assemblage est assez rare. On ne saurait assez chérir ceux qui, comme vous et lui, savent réunir ces deux bonnes qualités.

Je m'imagine que ce que vous avez fait sur la théorie de la Lune [C. 32] est pour l'Académie et que nous le verrons dans les Mémoires, mais que le terme sera long avant que nous puissions en jouir. C'est le morceau brillant de la philosophie de Newton, mais il faut convenir, que dans ce grand auteur, c'est une lumière qui brille à travers bien de l'obscurité. M. Machin de la Soc[iété] roy[ale] de Londres avait promis sur cette théorie tous les éclaircissements nécessaires [(Newton 29)]. Je l'ai ouï dépeindre comme un fort habile homme véritablement, mais indolent et paresseux. De sorte qu'on ne nous fait pas espérer son ouvrage de longtemps et vous le préviendrez. M. Daniel Bernoulli a fait aussi quelque chose là-dessus et on trouve quelque chose dans l'ouvrage de M. MacLaurin [(MacLaurin 42)]. Je crois me rappeler qu'en lisant M. Newton, ce qui me parut le plus difficile c'était le calcul du mouvement de l'apogée, qui ne s'accorde pas bien aux observations, si je ne me trompe. Il est vrai que ce mouvement là est difficile à bien déterminer soit par le calcul soit par les observations. Mais je ne doute pas que vous n'avez développé tout cela à votre ordinaire, c'est-à-dire à merveille. Je ne sais si la supposition d'une ellipse mobile qui est celle de M. Newton et, je crois, celle de la plupart des astronomes, ne jette pas dans cette théorie plus d'embarras qu'il ne faut, et s'il n'y aurait point d'autre tour à prendre qui rendrait la chose plus facile. Car enfin cela n'est qu'une hypothèse astronomique et elle me parait prodigieusement compliquée de mouvements et de variations. Il me semble que les astronomes ont peine à se déprendre de leurs hypothèses. Dans le mouvement des planètes ils ont gardé les cercles tant qu'ils ont pu jusqu'à Kepler. Ils aimaient mieux les épicycles que d'admettre les courbes moins simples que le cercle. Dans le mouvement de la Lune ils ne sauraient renoncer à l'ellipse, ils aimeraient mieux un cercle mobile et variable qu'une courbe plus composée sans doute, mais dont la considération serait néanmoins plus simple que celle d'une ellipse si compliquée.

Je ne suis guère en état de satisfaire la curiosité que vous marquez avoir sur mes occupations. Elles ne méritent pas votre attention. Des bagatelles qui se suivent sans interruption m'empêchent toujours de m'attacher à rien de bon ; et quand elles m'en laisseraient le loisir, il faudrait des talents bien supérieurs aux miens pour produire quelque chose digne de vous. Vous ne serez guère content de moi quand je vous dirai que j'ai travaillé en dernier lieu à démontrer un principe généralement admis, mais sans démonstration que je sache. C'est que deux courbes algébriques, l'une de l'ordre m, l'autre de l'ordre n ne peuvent se rencontrer en plus de mn points [cf. (Cramer 50, Appendice II) et Théorème de Bezout]. Cela ne laisse pas de faire un assez long mémoire parce qu'il a fallu remonter plus haut, et chemin faisant, il s'est présenté quelques considérations, qui ne sont pas inutiles dans l'algèbre commune [Cramer vient de trouver sa règle des déterminants pour la résolution d'un système d'équations linéaires à plusieurs inconnues NDE, cf. Mai 1744 (1)]. Mais cela vaut-il la peine de vous entretenir. Non, sans doute. Mais si je puis valoir quelque chose ce sera par votre commerce (Speziali 55).
Clairaut répond à Cramer le 13 avril (cf. 13 avril 1744 (1)).
Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « Mars 1744 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nMars1744po1pf.html [Notice publiée le 14 mars 2010, mise à jour le 18 janvier 2017].