Mai 1744. J'ai lu, mon cher Monsieur, l'article de votre lettre [cf. 13 avril 1744 (1)] qui regarde la théorie de la Lune à M. Calandrin [Calandrini]. Sa modestie l'a fait d'abord se défendre de me rien remettre pour vous, disant que ce qu'il avait composé ne valait pas la peine de vous être envoyé. Enfin mes sollicitations lui ont arraché l'échantillon que vous trouverez ci-joint. Je souhaite que vous soyez content. Vous verrez par le petit préambule qu'il y a joint de quelle manière il en pense et j'ose vous assurer le connaissant aussi parfaitement que je le fais, que ce n'est point chez lui une fausse modestie, et que ses recherches s'accordent avec vos recherches, du moins à peu près puisqu'il s'est contenté d'une approximation, laquelle autant que je suis capable d'en juger suffit à son but, qui est de démontrer ce que Mr Newton a avancé sans en donner la démonstration, et que si ces sentiments sont véritablement ceux qu'il exprime, s'il pense de cette manière, comment ne dois-je pas penser, moi qui ai pour me défier de moi même mille raisons qu'il n'a pas. Je ne puis donc assez admirer mon imprudence de vous envoyer ce gros mémoire où je nomme ce que vous avez souhaité de voir sur le nombre des intersections de [deux] courbes algébriques. Je l'ai intitulé Évanouissement des gr[andeurs] inconnues, parce qu'en effet c'est là son principal objet, et le principe d'où découle la démonstration de ce théorème sur les inters[ections] des courbes. Je crois ce principe assez fécond, et il est certain qu'il y a beaucoup de choses dans l'algèbre, permettez moi cette expression, qui en dépendent. Mais j'aurai eu peur d'allonger une pièce déjà trop étendue et que je n'ai pas pu accourcir, quoique j'y ai taché autant qu'il m'a été possible. Je souhaite de tout mon cœur que vous la puissiez parcourir sans ennui. Pour ce qui est de la présenter à l'Académie, j'ai peine à croire qu'elle mérite cet honneur et il serait, je pense, assez difficile de lire un mémoire tel que celui-ci, chargé d'algèbre et de notations nouvelles. Car le tout consiste, comme vous le verrez, dans un nouvel usage des chiffres. M. de Leibniz avait déjà autrefois pensé à les employer pour désigner comme coefficients, mais cela n'a rien de commun avec l'emploi que j'en fais ici. Quoiqu'il en soit si, cet essai ne vous déplaît pas, faites-moi le plaisir de le communiquer à M. de Mairan, qui m'honore aussi de son amitié, et vous verrez ensemble s'il vaut la peine de le présenter à l'Académie. J'espère que depuis votre lettre votre santé se sera raffermie. Si mes vœux les plus ardents pouvaient quelque chose, personne assurément ne se porterait mieux que vous. Faites moi le plaisir de me donner de vos nouvelles et de croire que je suis toujours avec toute l'estime et toute l'amitié possible [blanc] (Speziali 55).
Le mémoire de Cramer, qui contient entre autres sa règle des déterminants, ou « règle de Cramer », formera, sous une forme abrégée, l'appendice I et II de (Cramer 50). Ainsi que l'expliquera longtemps après Cramer à Euler, Clairaut ne l’a pas lu à l'Académie des sciences en raison de la « singularité de la notation, difficile à exprimer en parlant » (cf. 27 novembre 1750 (1)). Cramer enverra un exemplaire de (Cramer 50) à sa parution (cf. 5 août 1750 (2)). Clairaut répond à Cramer le 12 juillet (cf. 12 juillet 1744 (1)).
Courcelle (Olivier), « Mai 1744 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nMai1744po1pf.html [Notice publiée le 29 mars 2010, mise à jour le 18 janvier 2017].