5 septembre 1741 (1) : Clairaut écrit à la marquise du Châtelet :
Comme vous me demandez de vous répondre promptement, Madame, je vais m'en acquitter du mieux qu'il me sera possible, article par article. 1° Vous oubliez de parler de l'art. 407 où vous dites que la gravité respective est comme l'angle d'inclinaison etc.. C'est comme le sinus de cet angle qu'elle est. Si vous entendiez par être comme l'angle, augmenter lorsque l'angle augmente et il diminue quand l'angle diminue, vous auriez raison, mais géométriquement être comme, ou être exactement proportionnel c'est la même chose. Je dirais donc être comme le sinus de l'angle. 2° Je suis d'avis d'ôter entièrement l'article 432 parce qu'il me paraît une pure répétition. Quant à l'article 447, je crois qu'il suffira de mettre la ligne horizontale perpendicul[aire] au plan des oscillations et passant par le point B. La figure n'y fera rien puisque cela peut très bien s'entendre sans figure et que celle qui y est ne peut nuire que dans le cas où l'on dit que c'est SBT qui est l'axe d'oscillation. Il me semble qu'il faut ôter entièrement les articles 453 et 454. Parce ce que ce n'est pas du physiquement au géométrique que cela pêche, c'est du tout au tout. Le temps par un arc infiniment petit diffère autant du temps par la petite corde que le diamètre de la circonférence. C'est un[e] erreur qui a été commise bien des fois. Le chevalier de Louville a fait un mémoire très long pour la réfuter [(Louville 22)]. Lorsque je vous conseillais de mettre quelque chose de vague à la place de 100, c'est sur les erreurs qu'on peut commettre en prenant les oscillations par de petits arcs de cercle pour celle[s] qui étaient absolument isochrones. Ainsi vous pourriez placer la réflexion que vous faisiez dans l'article 454 à l'article 473, ou 474. Il suffira bien, je crois, de mettre fil inflexible à l'endroit des pendules composés, d'autant plus qu'on pourrait faire la même objection au terme de ce que je vous conseillais de mettre, et qu'il aurait fallu encore ajouter le mot d'inflexible. Puisque vous êtes si délicate sur les termes, pourquoi avez-vous employé tant de fois le mot découle ? Ce que j'ai voulu dire dans l'art. 490, c'est qu'un point quelconque aussi bien que le centre de gravité peut être toujours conçu dans une ligne verticale. Vous sentez bien qu'il n'y a aucun point duquel je ne puisse imaginer qu'il ne pende un fil à plomb. Prenez une ligne oblique, chacun de ces points en particulier pourra être conçu dans une ligne à plomb. Il me semble donc que vous devriez ôter les 2 premières lignes de cet article et vous contenter de dire que le corps peut être suspendu par un point quelconque de la ligne verticale qui passe par le centre de gravité, aussi bien que par ce centre même. Et cela est bien clair sans explications. C'est comme si on disait qu'un corps peut être soutenu par un petit fil (fut-il même inflexible) aussi bien que par un long. Des deux livres que vous me chargiez de revoir, je n'ai pu avoir que celui des Actes de Leipzig [(Bernoulli 97a)] assez tôt pour ne pas vous retarder. Et il me semble que vous pouvez laisser votre citation de M. Bernoulli telle qu'elle est. C'est lui à qui je m'en prendrais si je voulais chicaner car il parait donner sa solution en conséquence de ce qu'on avait fait sur la dioptrique. Dans le fond, c'était assez mal à propos puisque pour savoir que cela se rapporte à la dioptrique, il fallait auparavant avoir résolu un problème de maximis et minimis qui est le même que celui du problème en question, mais ce sont ses affaires et non les vôtres. Quant à l'article des Transactions [(Derham 04-05)], je ne regrette pas beaucoup de n'avoir pas pu le lire, parce que je crois qu'on ne peut vous reprocher sur l'article dont je vous parle que presque rien. Votre citation seulement ne m'a pas paru assez circonstanciée mais vous désignez l'endroit de Derham et cela doit bien suffire pour ceux qui voudront l'entendre à fond. J'ai bien peur que ma lettre ne se sente furieusement de la précipitation que vous avez exigée de moi, mais j'ai mieux aimé vous obéir que d'attendre pour mieux tourner [ma] lettre. Si je regrette actuellement de ne pas bien m'exprimer, c'est pour vous dire à quel point je souhaite que vous effectuiez le voyage à Paris que vous annonciez dans votre dernière. J'espère que j'y aurai bien plus de plaisir que dans votre dernier. Car vous aviez encore quelque levain de mécontentement contre moi, et je m'imagine que vous ne verrez plus en moi que le plus sincère et le plus respectueux attachement. Je vous récrirai incessamment au sujet du reste du livre, et si vous me faites l'honneur de m'écrire bientôt, n'oubliez pas je vous supplie de parler de votre voyage à Paris. Mon livre [C. 21] est imprimé, si vous pouviez m'indiquer une occasion de vous l'envoyer, mandez-le moi (Boncompagni 94b ; Châtelet 18, pp. 544-546).
Le manuscrit de cette lettre a appartenu au comte Augusto Nomis di Cossilla qui l'a légué au Museo civico di Torino en 1876 (Boncompagni 94a). Il est aujourd'hui conservé à la Biblioteca civica Torino centro, Raccolta di autografi Luigi Nomis di Cossilla, Mazzo 9. La lettre à laquelle répond Clairaut est perdue. Il avait écrit à la marquise du Châtelet le [? mai 1741]. L'article 407 de (Châtelet 40) a été modifié dans (Châtelet 42) selon la suggestion de Clairaut (cf. 4 janvier [1741]). L'article 432 a été remplacé en empruntant à la fin du 431 (Châtelet 42, pp. 363-364). L'article 447 a été modifié selon la suggestion de Clairaut (Châtelet 42, pp. 381). Les articles 453 et 454 ont été supprimés selon la suggestion de Clairaut (Châtelet 42, pp. 383-383). La réflexion de l'article 454 a été supprimée, la marquise du Châtelet prenant sans doute conscience que cette réflexion (« Il suit de là qu’un pendule qui fait des oscillations dans des arcs de cercles très petits les faits dans des temps sensiblement égaux ») était réaffirmée en début d’article 458 (« Quoique les vibrations du même pendule dans de petits arcs de cercle inégaux s’achèvent dans des temps sensiblement égaux… ») (Châtelet 40, p. 359 et 361 ;Châtelet 42, p. 385). La marquise du Châtelet ajoutera deux fois « inflexible » après « fil » dans l’article 496 sur les pendules composés de sa nouvelle édition (Châtelet 42, p. 407). Clairaut relève une affection bien réelle de Mme Du Châtelet pour le verbe « découler », qu’elle utilise dans sa première édition par exemple p. 15, 16, 19, et parfois jusqu’à trois fois par page, comme p. 332. Toutes ces occurrences, et de nombreuses autres, seront supprimées ou remplacées par des synonymes (« dépendre », « naître », « suivre »…) dans la seconde édition (Châtelet 42, p. 16, 17, 20, 346-347). L'article 490 a été modifié selon la suggestion de Clairaut (Châtelet 42, p. 404). Le passage concernant Jean Bernoulli a été laissé inchangé à quelques détails près (Châtelet 42, p. 393). La réponse de la marquise du Châtelet est perdue. Clairaut lui réécrit (cf. [c. 15 septembre 1741]).
HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
Références
Bernoulli (Jean I), « Curvatura Radii in Diaphanis non uniformibus, Solutioque Problematis a se propositi, de invenienda Linea Brachystochrona », Acta Eruditorum, (mai 1697) 206-211 [Télécharger].
Boncompagni (prince Baldassarre de), « Intorno alle lettere edite ed inedite di Alessio Claudio Clairaut », Atti dell'Accademia Pontifica dei Nuovi Lincei, 45 (1894) 157-232 [9 juin 1740 (1)] [4 janvier [1741]] [Plus].
Boncompagni (prince Baldassarre de), « Lettere di Alessio Claudio Clairaut », Atti dell'Accademia Pontifica dei Nuovi Lincei, 45 (1894) 233-291 [12 août 1732 (1)] [1 octobre 1732 (1)] [Plus].
Châtelet (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du), Correspondance d'Émilie Du Châtelet (à paraître), Ulla Kölving et André Magnan et al. éds, Centre international d'étude du XVIIIe siècle, 2018 [[24 mars 1734]] [[13 mai 1735]] [Plus].
Châtelet (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du), Institutions de physique, Paris, Prault, 1740 [Télécharger] [Châtelet] [Koenig] [Plus].
Châtelet (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du), Institutions physiques de madame la marquise du Chastellet adressées à M. son fils. Nouvelle édition, corrigée et augmentée, considérablement par l'auteur, Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1742 [Télécharger] [Châtelet] [4 janvier [1741]] [Plus].
Derham (William), « Experiments about the motion of pendulums in vacuo », Philosophical transactions, XXIV (1704-1705) 1785-1789 [Télécharger].
Louville (Jacques-Eugène d’Allonville, chevalier de), « Éclaircissement sur une difficulté de statique proposée à l’Académie », HARS 1722, (1724) Mém., pp. 128-142, 1pl [Télécharger].
Courcelle (Olivier), « 5 septembre 1741 (1) : Clairaut écrit à la marquise du Châtelet », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n5septembre1741po1pf.html [Notice publiée le 20 novembre 2009, mise à jour le 20 mars 2018].