[13 mai 1735] : la marquise du Châtelet écrit à Maupertuis :
Vous êtes donc allé au Mont Valérien pour oublier tous les gens qui vous aiment ; vous revenez à Paris sans que j'en sache rien. [...] Si vous revenez demain pour l'Académie, venez souper avec moi, mais mandez le moi de bonne heure. Je voudrais bien voir Clerau aussi mais je crois que c'est à vous qu'il faut le demander [ex. (D 831)] (Châtelet 18, p. 40).
Lorsque M. Clairaut revint de Bâle, il trouva l'Académie extrêmement occupée de la question de la figure de la Terre ; [...] il était impossible que M. Clairaut ne prit part à une question si intéressante ; et pour y réfléchir avec plus de tranquillité, M. de Maupertuis et lui allèrent se retirer au Mont Valérien. Ce fut là qu'acheva de se former le projet du voyage du Nord (Fouchy 65).Le Mont Valérien [...] est situé à deux lieues de Paris ; en haut d'une montagne entre Suresnes et Ruel [Rueil] ; il y a plusieurs siècles que des ermites se sont retirés dans ce lieu, où ils se maintinrent sous une règle très austère. [...] Comme cette montagne est fort raide, on y a pratiqué des marches en plusieurs endroits, pour en faciliter l'accès et parvenir aux différentes terrasses qui règnent jusqu'au sommet de la montagne. [...] La montagne est couverte de vignes, qui produisent d'assez bons vins (Mercure de France, novembre 1739, pp. 2591-2596).[La] retraite rustique [de Maupertuis] était le rendez-vous des quelques hommes voués à la science. Entre autres personnalités, on y voyait Clairaut, géomètre renommé et académicien à 22 ans, le spirituel abbé Franchini, ministre de la cour de Toscane, et le Suédois Celsius qui s'était arrêté à Paris avant de passer en Angleterre. Dans son laboratoire, on multipliait les expériences de physique, on parlait des derniers événements scientifiques, on discutait les théories et les doctrines de Newton, encore peu connues en France. Parfois, à ces réunions intimes, assistait un hôte infiniment plus illustre, Voltaire lui-même, dont les Lettres philosophiques avaient révélé Newton aux Français et qui voulait en approfondir davantage les découvertes, ce en quoi Maupertuis l'aida. Enfin, à certains jours, la belle Émilie de Breteuil accompagnait son ami pour étudier la géométrie sous la direction de Clairaut. Reçu comme un confrère dans ce cénacle, Algarotti sentit vite renaître en lui son enthousiasme d'antan pour la science. Il se remit à son Newtonianisme et ne tarda pas à annoncer son intention d'accompagner Clairaut et Maupertuis dans leur voyage aux régions septentrionales (Treat 13, pp. 48-49) (Guy Boistel, CP, 23 mars 1999).On trouvera une autre preuve de ses grandes connaissances [d'Algarotti] en astronomie dans les lettres de Messieurs Clairaut et de Maupertuis. Ces deux savants, en allant en Suède pour déterminer la figure de la Terre, souhaitaient de l'avoir avec eux. Il leur avait fait espérer ; et n'ayant pas exécuté son projet, ces Messieurs s'en plaignirent dans les lettres qu'ils lui écrivirent, ainsi qu'à Madame du Châtelet […] Voilà les germes de ce livre [le Newtonianisme pour les dames] si connu. L'auteur en conçut l'idée à Bologne, et il le composa à Rome et à Paris au Mont Valérien, où, n'ayant que 21 ans, il se retirait souvent, abandonnant les attraits de cette grande et charmante ville, et se dérobant au grand nombre d'amis qu'il avait dans cette aimable nation, pour aller philosopher avec Maupertuis, génie sublime qu'il aima jusqu'à la mort (Michelessi 72, pp. 14, 18-19). La correspondance de la marquise du Châtelet (cf. [Mai 1735], [? août 1735], 11 décembre [1737], 24 octobre 1738 (1)) donne l'impression que le séjour de Clairaut, plus ou moins continuel, au Mont Valérien dura jusqu'au départ en Laponie. Une lettre de Dubuisson montre que l'on passe parfois la nuit au Mont Valérien mais que l'on peut aussi facilement faire l'aller et retour jusqu'à Paris pour une soirée (cf. [c. 25 juin 1735]). L'Almanach royal (1734-1736) indique que Clairaut continue d'habiter comme son père rue de l'Université, et la correspondance voltairienne montre que Maupertuis reçoit toujours son courrier rue Sainte Anne. Clairaut manque souvent les séances de l'Académie durant cette période (cf. 5 février 1735 (1)). La présence de Clairaut au Mont Valérien est clairement attestée le 18 juillet 1735 (cf. 18 juillet 1735 (1)). Maupertuis fera des séjours au Mont Valérien au moins jusqu'en 1740, car le 21 mai de cette année, il écrira à Jean II Bernoulli qu'il est « au Mont Valerien à respirer quelques jours » (UB Basel, L I a 708, f. 46v). Le Mont Valérien est cité dans quelques lettres de la duchesse d'Aiguillon à Maupertuis (BnF, naf 10398). À part Maupertuis et Clairaut, les visiteurs recensés du Mont Valérien sont la marquise du Châtelet (cf. [c. 25 juin 1735]), Algarotti, l'abbé Franchini, Vencilo [Winslow ?] (cf. [? août 1735]), Celsius (Treat 13) (parti en Angleterre en juillet 1735 (Nordmann 66)), et Voltaire (Treat 13) (mais sa participation ne se trouve pourtant pas clairement exprimée dans sa correspondance (Voltaire 68-)). Algarotti publiera Il Neutonianismo per le dame (Napoli, 1737), Voltaire les Eléments de la philosophie de Newton (Amsterdam, 1738), et la marquise du Châtelet, après l'épisode Kœnig, les Institutions de Physique (Paris, 1740). Le Mont Valérien apparaît ainsi comme une sorte camp de base des Newtoniens, une école, un foyer intellectuel important pour la propagation des théories de Newton en France. Dans l'esprit du Mont Valérien : Pour venger Newton et lui-même, [Maupertuis] entreprit de faire, par une espèce d'artifice, une révolution que la raison seule aurait faite trop lentement. Les jours d'assemblée [de l'Académie des sciences] il donnait à dîner à quelques jeunes Newtoniens, qu'il menait au Louvre plein de gaieté, de présomption et de bons arguments. Il les lâchait contre la vieille Académie, qui désormais ne pouvait ouvrir la bouche sans être assaillie par ces enfants perdus, ardents défenseurs de l'attraction. L'un accablait d'épigrammes les cartésiens, l'autre de démonstrations. Celui-ci, prompt à saisir les ridicules, copiant d'après nature les gestes, les mines, les tons, répondait aux raisonnements des adversaires en les répétant. Celui-là, n'opposant qu'un rire moqueur aux changements qu'on faisait au système ancien, soutenait que le fond du système était atteint, et convaincu d'être vicieux (La Beaumelle 56, p. 33).
Abréviations
BnF : Bibliothèque nationale de France, Paris.
CP : Communication personnelle.
HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
UB Basel : Öffentliche Bibliothek der Universität Basel, Basel.
Références
Châtelet (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du), Correspondance d'Émilie Du Châtelet (à paraître), Ulla Kölving et André Magnan et al. éds, Centre international d'étude du XVIIIe siècle, 2018 [[24 mars 1734]] [Plus].
Michelessi (Dominique), Mémoires concernant la vie et les écrits du comte François Algarotti, Berlin, 1772.
Nordmann (Claude J.), « L'expédition de Maupertuis et Celsius en Laponie », Cahiers d'histoire mondiale, 10 (1966) 74-97 [[? août 1735]] [Plus].
Treat (Ida Frances), Un cosmopolite italien du XVIIIe siècle : Francesco Algarotti, Trévoux, 1913.
Voltaire (François Marie Arouet, dit), The Complete Works of Voltaire, 13? vol., Th. Besterman et al. Eds, Genève-Oxford, 1968- [Chronologie SA] [(1 juillet) 20 juin [1731]] [Plus].
Courcelle (Olivier), « [13 mai 1735] : la marquise du Châtelet écrit à Maupertuis », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nco13mai1735cf.html [Notice publiée le 19 mars 2018, mise à jour le 20 mars 2018].
Pour venger Newton et lui-même, [Maupertuis] entreprit de faire, par une espèce d'artifice, une révolution que la raison seule aurait faite trop lentement. Les jours d'assemblée [de l'Académie des sciences] il donnait à dîner à quelques jeunes Newtoniens, qu'il menait au Louvre plein de gaieté, de présomption et de bons arguments. Il les lâchait contre la vieille Académie, qui désormais ne pouvait ouvrir la bouche sans être assaillie par ces enfants perdus, ardents défenseurs de l'attraction. L'un accablait d'épigrammes les cartésiens, l'autre de démonstrations. Celui-ci, prompt à saisir les ridicules, copiant d'après nature les gestes, les mines, les tons, répondait aux raisonnements des adversaires en les répétant. Celui-là, n'opposant qu'un rire moqueur aux changements qu'on faisait au système ancien, soutenait que le fond du système était atteint, et convaincu d'être vicieux (La Beaumelle 56, p. 33).