26 décembre 1740 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur, Je ne saurais vous exprimer avec quel plaisir, j'ai appris par votre obligeante lettre [cf. [c.] (28) 17 octobre 1740] que mon commerce vous serait agréable. Il y avait si longtemps que vos ouvrages m'avaient rempli d'estime pour vous, que je ne pouvais pas manquer de regarder votre correspondance comme un très grand avantage.J'ai été bien flatté de voir tant par votre lettre que par une de M. Bernoulli que vous aviez été content d'une pièce que j'ai donnée dans les Transactions philosophiques sur la figure de la Terre [C. 18]. Car je tremblais de m'y être trompé, tant parce que Newton avait dit le contraire de ce que j'avance, que parce que M. Bernoulli m'avait mandé que vous ne pensiez pas comme moi là-dessus [cf. (26) 15 septembre 1740]. Le seul mérite qu'il puisse y avoir dans cette pièce, c'est de savoir les quantités qu'il faut négliger par leur petitesse auprès des autres ; et c'est en quoi vous avez montré bien de l'art dans le mémoire [(Euler 41)] que vous aviez envoyée l'année passée à l'Académie sur le flux et le reflux [cf. 5 septembre 1739 (2)]. Cette pièce m'a fait grand plaisir. Il aurait été bien cruel en vérité qu'à cause qu'elle fut retardée en chemin, elle n'eût pas concouru avec les autres pour remporter le prix. Je suis fort curieux de savoir ce que vous penserez des autres pièces, sur le même sujet, ou pour mieux dire des deux des trois autres pièces, car je ne doute point de votre avis sur la 3e [(Cavalleri 41)]. Il me semble qu'aucun sujet proposé par l'Académie n'aurait fourni d'aussi belles méditations que celles dont sont remplies votre mémoire, celui de M. Bernoulli [(Bernoulli 41)] et celui de M. MacLaurin [(MacLaurin 41)]. Mais il est bien malheureux que les sujets, sur lesquels il n'était pas possible de rien faire de bon, comme la cause du ressort, de la pesanteur etc. aient eu un prix entier de 2 500 [#] tandis que les trois plus belles pièces qui aient paru dans le genre des prix de l'Académie n'ont eu chacune que 625 #. Dans la pièce de M. MacLaurin vous trouverez une belle démonstration [sur] ce que la Terre doit être une ellipse d'Apollonius, en supposant que toutes ses parties s'attirent les unes les autres, en raison inverse des carrés des distances, et que les axes diffèrent de telle quantité qu'on voudra. Au reste je vous ai beaucoup d'obligation, Monsieur, de la peine que vous avez prise de me mander ce qu'il y avait eu de fait sur les théorèmes de M. Fontaine et sur le mien [C. 25]. Je ne manquerai pas de citer ce que vous m'avez dit là-dessus, en assurant, comme la vérité l'exige, que je n'en avais rien vu [cf. 31 mai 1741 (1)]. Depuis le petit mémoire de calcul intégral que vous avez vu sur cette matière, j'ai ajouté [C. 28] plusieurs choses sur les équations différentielles à trois et plus de variables, dont je vous ferai part à la 1ere lettre que j'aurai l'honneur de vous écrire, pour peu que vous en soyez curieux. Ces remarques nouvelles roulent en général sur cela, que les équations différentielles à plusieurs variables n'ont d'intégrale, ou pour mieux dire ne sont possibles, que dans certaines conditions. Je donne ces conditions, et j'essaie d'intégrer ces équations lorsque elles sont possibles, à peu près par les mêmes moyens que celles à deux variables que vous avez vus [maths, C. 28]. Depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire, je me suis appliqué à plusieurs questions de dynamique que M. [Daniel] Bernoulli m'avait proposées. Entre autres j'ai résolu ce problème. Un corps quelconque étant suspendu à un fil de longueur donnée, trouver la nature de ses oscillations. La façon dont j'ai résolu ce problème, peut mener à beaucoup de problèmes du même genre. Car j'y suis parvenu par un théorème qui a l'air assez utile. C'est que si un corps donné se meut d'une façon quelconque, on peut substituer sans changer rien au mouvement deux simples poids à la place du corps figuré, pourvu que ces deux poids fassent à eux deux la même somme de masse que le corps donné, et que leurs centres tant de gravité que d'oscillation soient les mêmes [C. 30, cf. 23 décembre 1740 (1)]. M. Bernoulli m'a mandé qu'il avait trouvé la même chose de son côté, et que je le verrais quelque jour dans vos mémoires [(Bernoulli 32-33)]. Je vous avoue que leur lenteur me désole, car je vois que vous y traitez les questions les plus intéressantes et que vous avez toujours une date fort antérieure aux nôtres, ce qui pourrait nous faire passer ici pour des plagiaires. Je voudrais bien pour pouvoir remédier à cela qu'il y eut une correspondance entre nos Académies qui fit qu'on fut informé de bonne heure de ce qui se passe chez vous et réciproquement. Quoi qu'il en soit je regarde votre commerce pour moi comme aussi agréable que celui d'une académie entière. En attendant que je continue d'en jouir, j'ai l'honneur de vous assurer qu'on ne peut être avec plus d'estime, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris, ce 26 [décem]bre 1740. Oserais-je vous demander, Monsieur, si vous comptez d'aller en Prusse comme on le dit ici (O IVA, 5, pp. 78-80).
C. 18 : Clairaut (Alexis-Claude), « An inquiry concerning the Figure of such Planets as resolve about an axis, supposing the density continually to vary, from the Centre towards the Surface », Philosophical Transactions, Vol. XL (1737-1738), Londres, 1741, n° 449 (Aug.-Sept. 1738), pp. 277-306 [Télécharger] [2 octobre 1738 (1)] [(3 mars 1737) 20 février 1736] [15 septembre 1737 (1)] [Plus].
Bernoulli (Daniel), « Theoremata de oscillationibus corporum filo flexili connexorum et catenae verticaliter suspensae », Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae, 6 (1732-1733) 108-122.
Bernoulli (Daniel), « Traité sur le flux et le reflux de la mer », Pièces qui ont remporté le prix de l'Académie royale des sciences en M DCC XL sur le flux et reflux de la mer, Paris, 1741, pp. 53-191, 2 pl [Télécharger] [5 août 1739 (2)] [5 septembre 1739 (2)] [Plus].
Cavalleri (Antoine), « Dissertation sur la cause physique du flux et du reflux de la mer », Pièces qui ont remporté le prix de l'Académie royale des sciences en M DCC XL sur le flux et reflux de la mer, Paris, 1741, pp. 1-51, 1 pl [Télécharger] [5 septembre 1739 (2)] [27 avril 1740 (1)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Inquisitio physica in causam fluxus ac refluxus maris », Pièces qui ont remporté le prix de l'Académie royale des sciences en M DCC. XL. sur le flux et reflux de la mer, Paris, 1741, pp. 235-350, 4 pl [Télécharger] [5 septembre 1739 (2)] [27 avril 1740 (1)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
MacLaurin (Colin), « De causa physica fluxus et refluxus maris », Pièces qui ont remporté le prix de l'Académie royale des sciences en M DCC XL sur le flux et reflux de la mer, Paris, 1741, pp. 193-234, 2pl [Télécharger] [5 septembre 1739 (2)] [27 avril 1740 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 26 décembre 1740 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n26decembre1740po1pf.html [Notice publiée le 1 octobre 2009].