Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


1 juin 1765 (1) : Portrait de Clairaut, par Diderot et Grimm :
Alexis-Claude Clairaut, pensionnaire de l'Académie royale des sciences, est mort le 17 du mois dernier, d'une fièvre putride, âgé seulement de cinquante-deux ans [cf. 17 mai 1765 (1)].

Clairaut était un très grand géomètre, presque sur la ligne des Euler, des Fontaine, des Bernoulli et des d'Alembert ; il avait moins de génie que Fontaine [!], plus de justesse et de sûreté ; et moins de pénétration que d'Alembert [!]. Ce dernier a perdu à sa mort un rival qui le tenait sans cesse en haleine, et c'est une grande perte.

Clairaut eut de la réputation de bonne heure ; il fut reçu à l'Académie presque au sortir du collège [cf. 14 juillet 1731 (1)]. Il avait été l'instituteur de la célèbre marquise du Châtelet [cf. Châtelet], et après sa mort, l'éditeur de ses Institutions de la philosophie de Newton [C. 50].

Il avait accompagné Maupertuis dans ce fameux et brillant et inutile voyage du Nord [cf. 3 septembre 1735 (1)]. Maupertuis lui montra l'espérance d'une pension considérable ; et Clairaut, qui faisait grand cas de l'aisance, lui céda toute la gloire de l'entreprise pour de l'argent que la cour paya. Clairaut fut riche, mais Maupertuis fut peint et gravé, la tête affublée d'un bonnet d'ours, et aplatissant le globe d'une main.

Clairaut avait reçu une physionomie très agréable, un air de finesse et de candeur, qu'on trouve rarement réunies, et qui vont si bien ensemble ; son profil, dessiné par M. de Carmontelle, a été gravé il y a deux ans [cf. 1763 (1)].

Il aimait éperdument le plaisir et les femmes ; il était fort gourmand, et il y a apparence que les indigestions qu'il entassait continuellement les unes sur les autres, n'ont pas peu contribué à abréger ses jours. Il avait aussi le cœur très inflammable. Une passion vive qu'il avait prise pour une femme aimable, mais déjà éloignée de la saison de l'amour [Madame de Fourqueux, note de Grimm], passion qui n'obtint en retour que de l'estime et de l'amitié, influa, si l'on en croit ses amis, sur le repos de ses dernières années.

Il jouissait de dix mille livres de rentes en pensions et en bienfaits du Roi [cf. 17 mai 1765 (3)]. La pension de mille livres qu'il tenait de l'Académie des sciences, passe suivant l'ordre du tableau à M. d'Alembert, mais elle ne lui est pas encore accordée [cf. 18 mai 1765 (1)]. M. le comte de Saint-Florentin a dit aux députés de l'Académie, qui la sollicitait pour lui, que la chose souffrirait de difficultés, parce que le Roi était mécontent des ouvrages de M. d'Alembert : je crois que celui-ci ne supporterait pas en silence un dégoût si marqué.

Clairaut était honnête homme, bon ami, et du commerce le plus sûr. Il aimait la musique. Il n'était pas sans ressources dans la société, et une étude des sciences abstraites commencées dès ses plus jeunes années et continuée avec opiniâtreté presque jusqu'à sa mort, ne lui avait pas ôté la sérénité ; il était vrai, il était gai, et il avait bien son mot à lui dans la conversation. Il jouissait doucement de sa fortune avec ses amis, et une petite gouvernante [Mlle Gouilly, cf. [c. juin] 1757 (2)] fort jolie qui avait soin de son ménage, à qui il avait appris assez de géométrie pour l'aider dans ses calculs, et que sa mort laisse dans le veuvage. Une maladie subite et violente l'ayant emporté au bout de quatre jours, il n'a pu prendre aucun arrangement en faveur de la compagne de ses travaux et de ses plaisirs : son sort occupe et intéresse en ce moment ci tous les gens de lettres.

Clairaut avait vu ce règne brillant de la géométrie où nos femmes titrées voulaient avoir un géomètre à leur suite. Il a cultivé particulièrement la science du calcul, et l'a appliqué à des problèmes de géométrie pure, de mécanique, de dynamique, et d'astronomie ; c'est la même carrière que celle de M. d'Alembert. Clairaut, qui pouvait le disputer en qualité de géomètre à d'Alembert, ne pouvait souffrir que celui-ci se distinguât encore parmi les gens de lettres. Il ne lui pardonnait pas d'entendre Tacite et Newton. Si l'on veut savoir pourquoi Clairaut et d'Alembert se haïssaient, et pourquoi mal entre eux, ils étaient l'un et l'autre bien avec Fontaine, c'est que Fontaine est tout entier à la perfection de l'instrument, et que d'Alembert et Clairaut se contentaient d'en user de leur mieux. Fontaine est un charron qui cherche à perfectionner la charrue, Clairaut et d'Alembert s'en tiennent à labourer avec la charrue comme elle est. Nous avons vu successivement diverses sciences régner et passer parmi nous. Les métaphysiciens et les poètes ont eu leur temps ; les physiciens systématiques leur ont succédé ; la physique systématique a fait place à la physique expérimentale ; la physique expérimentale à la géométrie, la géométrie à l'histoire naturelle et à la chimie qui sont en vogue actuellement, et qui partagent les esprits avec la politique, le commerce et les affaires du gouvernement ; sans qu'on puisse deviner quelles sont les sciences que notre légèreté se propose de mettre à la mode. Tout homme qui n'a qu'un seul mérite dans ce pays, y fut-il transcendant, s'expose, s'il vit longtemps, à voir sa considération passer et à tomber du plus grand éclat dans l'obscurité la plus profonde ; l'homme prudent étaye le mérite de son état, de plusieurs mérites accidentels et de côté qui le soutiennent en cas de révolution. C'est à quoi Clairaut n'avait pas pourvu. Tout à ces xx, il ne lui restait presque plus rien de sa première célébrité ; aujourd'hui qu'un géomètre a peine à trouver un libraire qui se charge de ses ouvrages et ne trouve presque pas un lecteur qui les ouvre (Diderot 81).
C'est un texte de Diderot qui a été légèrement complété et adapté par Grimm, la part de chacun pouvant être reconstituée (Diderot 81).

Sur Mme de Fourqueux :
Étant fort jeune, je résolvais des problèmes assez difficiles, sans avoir jamais lu aucun livre élémentaire qui pût m'aider. M. Clairaut, à qui on le raconta, en fut étonné, et c'était un bon juge (Fourqueux 17, vol. 1, p. 89).
Abréviation
  • C. 50 : Newton (Isaac), Principes mathématiques de la philosophie naturelle, par feue Madame la marquise du Châtelet, G.-É. du Châtelet trad. et éd., A. Clairaut éd., Paris, Lambert, 1759, 2 vol., in-4° (iv)-xviii(vi)-437 p., 9 pl. ; (iv)-180-299 p., 5 pl [20 décembre 1745 (1)] [(1 juillet) 20 juin [1731]] [[? juillet 1734]] [Plus].
Références
  • Diderot (Denis), « Notice sur Clairaut », Œuvres complètes, Herman, Paris, 1981, vol. 9, pp. 401-404.
  • Fourqueux (Madame de), Confessions de Madame ***. Principes de morale pour se conduire dans le monde, 2 vol. Paris, 1817.
Courcelle (Olivier), « 1 juin 1765 (1) : Portrait de Clairaut, par Diderot et Grimm », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n1juin1765po1pf.html [Notice publiée le 21 août 2011].