10 avril 1741 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin :
Monsieur, J'ai reçu votre réponse [perdue NDE] avec un plaisir infini. Et je compte bien à l'avenir profiter d'un commerce aussi agréable et aussi utile que le vôtre. Quand Édimbourg serait comme vous le dîtes, un des coins les plus reculés du monde, vous le rapprocheriez par la quantité de belles découvertes que vous en faites parti[r]. J'espère qu'à présent vous aurez vu ma seconde pièce sur la figure de la Terre [C. 18], et je vous avouerai que je souhaite extrêmement d'en savoir votre sentiment, non seulement parce que je ne connais personne qui soit en état d'en juger souverai[ne]ment comme vous, mais parce que les personnes qui entendent la matière de l'attraction sont très rares ici. Si vous êtes content de ce petit ouvrage et que vous en daigniez parler dans la préface de votre Traité des fluxions [(MacLaurin 42)], vous me ferez sûrement beaucoup de plaisir car cela ne contribuera pas peu à donner bonne opinion de mon mémoire. Je suis extrê[me]ment curieux de savoir le plan de ce traité et quand on peut espérer de le voir. J'en attends les plus belles choses par ce que j'ai déjà vu de vous. Je vous serai infiniment obligé, lorsque vous me ferez l'honneur de m'écrire, d'entrer dans quelque petit détail sur cet ouvrage si cela ne vous incommode point, et de me mander en même tems comment je pou[r]rais l'avoir des premiers. S'il était à Londres je pourrais le faire venir par la poste sous le couvert de M. d'Onsembray qui a le port franc et qui me fait le plaisir quelquefois de se charger de mes lettres. Lorsque j'aurai quelque pièce à vous communiquer qui passera la grosseur d'une lettre ordinaire, je me servirai de cette voie afin de diminuer le port de Paris jusqu'à Londres. J'ai trouvé votre proposition sur les attractions des sphéroïdes qui ont les mêmes foyers extrêmement belle et très utile pour calculer les axes des planètes qui ont différentes densités dans l'intérieur. Je serais bien curieux d'en voir la démonstration qui ne peut manquer d'être très difficile lorsque le corpuscule est dans le diamètre. Je m'imagine qu'elle doit répondre à la démonstration que vous avez donnée pour le sphéroïde homogène dans votre belle pièce du flux et reflux [(MacLaurin 41)]. Cela doit faire un chef-d'œuvre de synthèse. Quant à moi, j'ai pris une route tout à fait différente de la vôtre, et toute analytique. Elle est assez simple, mais elle n'est bonne que lorsque le sphéroïde diffère peu d'une sphère, ainsi que la Terre. Quoique ma pièce fût plus complète si j'avais traité les cas où l'ellipsoïde diffère sensiblement d'une sphère, cependant je ne regrette pas, à beaucoup près, tant de ne pas l'avoir fait dans mon second mémoire [C. 18], que dans le premier [C. 17], parce que lorsque la densité n'est pas uniforme, il n'est pas vrai en général que la planète soit elliptique, ce qu'il est aisé de voir en supposant toute la densité au centre. Je suis très curieux de savoir, si dans le cas où vous faites la densité comme LK (CK) ainsi que vous faites dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écri[r]e, la planète est une ellipse, soit que les axes diffèrent peu, soit qu'ils diffèrent sensiblement. Je souhaiterais pareillement de savoir qu'elle est l'hypothèse qui vous a donné les axes comme 179 ½ à 178 ½ et les différences de pesanteur comme 1/220. Si toutes ces choses cous donnaient trop de peine, à me mander, ou que votre livre dût paraître bientôt, j'attendrais à les y voir. Mais si vous pouviez me faire l'honneur de me communiquer ces belles remarques, j'en retirerais une grande satisfaction. Ce que vous me mandez sur l'accord de la proportion des axes de Jupiter que donne votre théorie avec les observations m'a fait plaisir, et donne de la supériorité à votre pièce sur la mienne, puisque cette planète étant assez sensiblement aplatie, ma méthode n'y serait pas fort exacte. Comme vous y appliquez la vôtre, il semble que par là vous vous êtes assuré que dans votre hypothèse de variation de densité, la planète pouvait rester en équilibre ayant l[a] forme elliptique. C'est ce que je vous prie de me mander encore, si vous n'êtes pas excédé de toucher mes demandes. Il me semble qu'il y a de l'importunité à moi d'en faire tant lorsque je n'ai encore que très peu l'honneur d'être connu de vous. Je vous prie d'être persuadé que ma hardiesse ne vient que de l'estime extrême que je fais de votre mérite. Vous me faites l'honneur de me demander quelque extrait des observations de nos Messieurs du Pérou. Je ne sais quand je pourrais vous satisfaire car nous n'avons pas de leurs nouvelles depuis plus de 18 mois. On nous manda, il y a quelque temps de S[ain]t Domingue, qu'on avait appris que les gens du pays où ils sont s'étaient révoltés contre eux et avaient tué leur chirurgien, que du reste leurs personnes et leurs instruments étaient en sûreté. On nous manda aussi qu'ils avaient eu fini au mois de février l'année passée, mais depuis ce temps là on n'en a pas entendu parler. Dans leurs dernières lettres, écrites il y a plus de deux ans [cf. 8 mars 1738 (1)], M. Bouguer faisait part à l'Académie d'une observation curieuse : Il avait cherché si l'attraction d'une grosse montagne ne pourrait pas changer sensiblement la direction d'un fil à plomb qui serait auprès de cette montagne. Et il avait trouvé avec son quart de cercle une déviation dans le fil, qui quoi qu'elle ne fût pas à beaucoup près aussi sensible que la théorie l'aurait donnée, était cependant trop considérable pour être attribuée aux erreurs de l'observation. Nous avons deux mémoires de l'Académie depuis 1736 que vous me mandés avoir vu. Dans le 1er [c'est-à-dire] dans l'année 1737. il n'y a que trois morceaux de mathématiques, l'un assez ample de M. de Mairan [(Mairan 37)] où il traite de l'analogie du son avec la lumière, je ne saurai vous en faire un précis. Le [seco]nd est de M. Nicole [(Nicole 37)] et regarde les courbes qui passent par les extrémités d'arc d'une infinité de courbes semblables pris de même longueur, il emploie les suites pour ce problème. Le 3e est de moi et il traite de l'aberration de la lumière des étoiles [C. 19]. J'y donne des règles pour l'aberration des étoiles en ascension droite que personne n'avait encore traitée, si ce n'est un anglais dont on ne m'a pas dit le nom qui y avait travaillé à peu près dans le même temps que moi. Dans le mémoire de 1738, il y a de mathématique encore un mémoire de M. de Mairan [(Mairan 38)] très ample sur la réfraction avec des comparaisons du son et de la lumière. Son sentime[nt] est toujours que la réfraction de la même lumière dépend des mêmes causes que celles des corps solides qui traversent les fluides. Le 2e mémoire est de M. Nicole et traite du cas irréductible des équations du 3e degré [(Nicole 38)]. Le 3e est de moi [C. 20] et traite du centre d'oscillation des corps qui se meuvent dans des milieux résistants. J'ai trouvé cela de singulier qu'il est le même que dans le vide si les corps sont homogènes. Mais voici une lettre qu'il est temps de finir je crains bien qu'elle ne vous ait déjà ennuyé, Pour moi je ne m'ennuierais jamais si je pouvais vous exprimer avec quelle estime j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris 10 avril 1741. [PS] J'oubliais de vous dire, Monsieur, que votre pièce du prix [(MacLaurin 41)] est imprimée il y a longtemps mais toutes les autres ne sont pas encore [achevées. Quand le seront] je ne manquerais pas de vous les envoyer (MacLaurin 82, pp. 347-350).
Clairaut avait écrit à MacLaurin le 10 février [1741]. Clairaut n'est pas cité dans la préface de (MacLaurin 41). La réponse de MacLaurin est perdue. Clairaut réécrit à MacLaurin le 18 septembre (cf. 18 septembre 1741 (1)).
Abréviations
C. 17 : Clairaut (Alexis-Claude), « Investigationes aliquot, ex quibus probatur terrae figuram secundum Leges attractionis in ratione inversâ quadrati distantiarum maxime ad Ellipsin accedere debere », Philosophical Transactions, Vol. XL (1737-1738), London, 1741, n° 445 (Jan-June 1738), pp. 19-25 [Télécharger] [(3 mars 1737) 20 février 1736] [(2 mars 1737) 19 février 1736] [Plus].
C. 18 : Clairaut (Alexis-Claude), « An inquiry concerning the Figure of such Planets as resolve about an axis, supposing the density continually to vary, from the Centre towards the Surface », Philosophical Transactions, Vol. XL (1737-1738), Londres, 1741, n° 449 (Aug.-Sept. 1738), pp. 277-306 [Télécharger] [2 octobre 1738 (1)] [(3 mars 1737) 20 février 1736] [15 septembre 1737 (1)] [Plus].
MacLaurin (Colin), « De causa physica fluxus et refluxus maris », Pièces qui ont remporté le prix de l'Académie royale des sciences en M DCC XL sur le flux et reflux de la mer, Paris, 1741, pp. 193-234, 2pl [Télécharger] [5 septembre 1739 (2)] [27 avril 1740 (1)] [Plus].
Mairan (Jean-Jacques Dortous de), « Discours sur la propagation du son dans les différents tons qui le modifient », HARS 1737, Mém., pp. 1-58bis, 1pl [Télécharger].
Mairan (Jean-Jacques Dortous de), « Troisième partie des recherches physico-mathématiques sur la réflexion des corps », HARS 1738, Mém., pp. 1-65, 3 pl [Télécharger] [24 juillet 1739 (1)].
Nicole (François), « Usage des suites pour la résolution de plusieurs problèmes de la méthode inverse des tangentes », HARS 1737, Mém., pp. 59bis-85, 3pl [Télécharger].
Nicole (François), « Sur le cas irréductible du troisième degré », HARS 1738, Mém., pp. 97-102 [Télécharger].
Courcelle (Olivier), « 10 avril 1741 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n10avril1741po1pf.html [Notice publiée le 24 juillet 2009].