18 septembre 1741 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin :
Monsieur, J'ai été fort affligé lorsque j'ai appris que la fièvre avait été la cause qui vous avait empêché de répondre plus tôt à ma dernière lettre [cf. 12 avril 1741 (2)]. Et je vois avec beau[coup] de peine que vous êtes sujet à cette maladie puisque vous en avez été incommodé longtemps en 1737. C'est un grand malheur pour les sciences quand les personnes dont le temps est aussi précieux que le vôtre, sont distraites par des maladies et des occupations comme celles que vous donnent votre Université. J'ai été extrêmement flatté de ce que vous avez été content de ma [secon]de pièce des Transactions philosophiques [C. 18], parce que comme j'y avance quelque chose de contraire à un article de Newton, il y avait à craindre que je ne me fusse trompé. Mr Murdoch, dont vous me parlez dans votre dernière, n'avait pas paru content du commencement de ce mémoire. Il n'avait pas pris le sens de mes paroles. Voici ce qu'il dit à ce sujet dans une lettre qu'il écrivait à M. de Buffon : « I was shewn a paper of Mr Clairaut in which he had most ingeniously executed a part of what I propose to the mathematicians as desiderata upon the subject of the Earth's figure. But I was surprised to find him of opinion, that Sir Isaac Newton might have assumed any other spheroid as well as that generated from the conical ellipsis, for the figure of e homogeneous earth, il was at first indeed in the like mistake myself that such a spheroid was only quamproxime geometrical; but upon a closer review could satisfy myself that is accurately such. It is easy to demonstrate that in a fluid homogeneous sphere wich is at rest, the weight of a column in a direction perpendicular to the axis (or which is equal to it, the weight of the corresponding column in the axis) will be as to the square of its height. As also that, in a given velocity of rotation the centrifugal forces in a column are in the same ratio. Suppose therefore such a sphere to begin to resolve (the fluid being supplyed at either pole) and that the fluid in the columns, or rather orbicular plates perpendicular to the axis, rises according to the ordinates of a conical ellipsis the forces which sustains these columns, that is the centrifugal forces added to the weights of the columns in the axis, will fall in the same ratio as they were in the sphere before it began resolve, consequently there will be an equilibrium of all the columns; and if there can be an equilibrium of the centrifugal and attraction forces in a geometrical spheroid, there cannot in any other figure. »Je souhaite fort de savoir si vous êtes du même avis que moi sur la démonstration de Mr Murdoch. Je crois qu'il est fort loin du vrai [Clairaut a raison selon (Todhunter 73) NDE]. Pendant que je suis encore à vous parler de ma pièce, je vous supplie de me dire si vous ne croyez pas comme moi que Mr Newton n'a pas raison lorsqu'il dit (Prop. XX, lib. III) « Et excessus longitudinis penduli parisiensis supra longitudines pendulorum isochronorum in his latidinibus observatas, sunt paulo majores quam pro tabula longitudinum penduli superius computata. Et propterea Terra aliquanto altior est sub aequatore, quam pro superiore calculo, et densior ad centrum quam in sodinis [sic] prope superficiem. » Faîtes-moi la grâce de me mander aussi si vous croyez qu'il sut que la Terre dans l'hypothèse d'une densité uniforme, était une ellipse au moins à très peu près. Si c'était au hasard qu'il choisissait cette figure, il pouvait craindre de ne pas trouver les vrais rapports des axes, et s'il savait que l'ellipse était la figure de la Terre, pourquoi ne l'affirmait-il pas ? Ce que je trouve de singulier, c'est que lorsqu'il a besoin dansla propos[ition] XXVII, liv[re] 3 de la courbe de l'orbite de la Lune, il dit, Quoniam figura orbis Lunaris ignoratur, hujus vice assumemus ellipsin etc. Au lieu que dans l'endroit où il parle de la figure de la Terre, il dit simplement, Unde si ABPQ figuram Terrae disignet jam non amplius Shaericam sed revolutione ellipseos etc. Quant à l'hypothèse que vous faites pour trouver un sphéroïde dont les axes diffèrent de 1/179½ pendant que pesanteur varie de 1/220. Je vous avouerai que y ayant voulu appliquer la théorie que j'ai donnée dans mon mémoire, qui doit être suffisante à cause que ce sphéroïde diffère peu d'une sphère, je n'ai pu cependant trouver vos nombres, soit que j'ai omis une circonstance, soit que je me sois trompé dans les calculs arithmétiques que je hais beaucoup. Il m'est toujours venu un nombre beaucoup plus petit que 1/179½ [Clairaut obtient 1/144 NDE] pour la différence des axes. Au reste, ainsi que vous, je ne suis pas beaucoup porté pour cette hypothèse parce qu'elle ne me parait pas naturelle. Je ne crois pas même qu'un sphéroïde pût être en équilibre dans vos suppositions, car qu'est-ce qui empêcherait les particules de fluide qui seraient le long de la surface intérieure abde de tomber vers la sphère lmnr puisqu'elles ne sont point attirées vers l'extérieur, et qu'elles le sont au contraire vers l'intérieur. Je serais charmé de savoir si ce sont les raisons qui pour lesquelles vous n'êtes pas attaché vous-même à cette hypothèse. Le théorème que vous m'avez envoyé, et sur lequel est fondé celui dont vous m'aviez parlé dans l'autre lettre, est fort beau. Je n'en ai point cherché de démonstration synthétique, mais il est aisé à prouver par l'algèbre, et même d'une manière qui semble indiquer ce qui vous l'a fait découvrir. Quant à l'usage que vous avez fait de ce théorème pour prouver les sphéroïdes qui ont les mêmes foyers ont des attractions qui sont comme leurs quantités de matière, il me semble que ce doit être ceci. [maths] J'ai vu avec beaucoup de satisfaction l'exposition que vous me donnez de votre ouvrage. Vos vues sont grandes, et toutes les matières que vous traitez intéressantes. Je suis étonné qu'un aussi grand ouvrage ait pu être composé depuis 1734. Je serai fort curieux de savoir ce que c'est que vos théorèmes sur le choc des corps et sur la conservation des forces vives Et ce que vous pensez de la dispute des forces vives. Il me semble que ce n'est purement qu'une question de mots pour tous ceux qui sont vraiment au fait. Vous avez plusieurs habiles gens de votre nation qui, en traitant cette matière, se sont laissé emporter par l'esprit de parti. Entre autres Mr Jurin me parait se tromper lorsqu'il apporte l'expérience d'une table qui se meut avec un ressort sur cette table etc. Vous aurez sans doute vu cette pièce. Je serais fort curieux de savoir ce que vous en pensez. À propos de la conservation des forces vives, et des problèmes qui la supposent, je vous dirai que M. Daniel Bernoulli me proposa l'année passée un problème de dynamique [C. 30], dont la solution que je trouvai me conduisit à un théorème fort général que je crois pouvoir être utile dans un grand nombre de cas. Voici quel était le problème. [maths] J'examine aussi les équations différentielles qui ont trois, quatre, etc. variables, lesquelles peuvent être employées utilement dans beaucoup d'occasions. Je trouve une chose que je crois neuve, c'est que dans beaucoup de cas les équations différentielles qui ont plus de deux variables, ne peuvent pas avoir jamais aucune intégrale, c'est à dire qu'elle n'exprime que des chimères [!]. Il n'en est pas ainsi des équations à deux variables qui expriment toujours quelque chose de réel. Je donne une formule qui apprend à distinguer ces sortes d'équations impossibles, et que je vous enverrai si elle vous peut faire quelque plaisir. Mais je ne veux point présentement entrer dans un plus grand détail car cette lettre commence déjà à être déjà furieusement longue. Je la finis donc en vous assurant que je suis de plus en plus charmé du commerce littéraire que vous voulez bien entretenir avec moi. Je souhaite avec la plus grande impatience de voir le bel ouvrage que vous m'avez promis, je vous en remercie très humblement d'avance, et, en attendant, tout ce que vous voudrez bien m'en communiquer me fera un plaisir infini. J'ai l'honneur d'être avec la plus grande estime et bien du respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris ce 18 septembre 1741. [PS] M. de Mairan est fort sensible à votre souvenir et vous fait beaucoup de compliments. Nous n'avons aucune nouvelle directe de nos camarades du Pérou, nous savons seulement d'un Espagnol qui les a vus il y a un an qu'ils se portaient bien alors (MacLaurin 82, pp. 359-363).
Murdoch n'avait pas paru content non plus de C. 17 (cf. (19) 8 juin 1741). La réponse de MacLaurin est perdue. Clairaut écrit encore à MacLaurin le 21 août 1742 (cf. 21 août 1742 (1)).
Abréviations
C. 17 : Clairaut (Alexis-Claude), « Investigationes aliquot, ex quibus probatur terrae figuram secundum Leges attractionis in ratione inversâ quadrati distantiarum maxime ad Ellipsin accedere debere », Philosophical Transactions, Vol. XL (1737-1738), London, 1741, n° 445 (Jan-June 1738), pp. 19-25 [Télécharger] [(3 mars 1737) 20 février 1736] [(2 mars 1737) 19 février 1736] [Plus].
C. 18 : Clairaut (Alexis-Claude), « An inquiry concerning the Figure of such Planets as resolve about an axis, supposing the density continually to vary, from the Centre towards the Surface », Philosophical Transactions, Vol. XL (1737-1738), Londres, 1741, n° 449 (Aug.-Sept. 1738), pp. 277-306 [Télécharger] [2 octobre 1738 (1)] [(3 mars 1737) 20 février 1736] [15 septembre 1737 (1)] [Plus].
Todhunter (Isaac), A History of the Mathematical Theories of Attraction and the Figure of the Earth, London, 1873.
Courcelle (Olivier), « 18 septembre 1741 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n18septembre1741po1pf.html [Notice publiée le 25 juillet 2009].