Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


7 décembre 1747 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur,

J'ai vu avec bien du plaisir par votre dernière [cf. 30 septembre 1747 (1)] que vous pensiez comme moi [C. 33] sur le mouvement de l'apogée de la Lune. Et je suis bien fâché d'avoir oublié, comme vous dites, à vous avertir de la signification de quelques-unes des lettres que j'emploie Si vous m'eussiez dit lesquelles j'avais négliger de désigner, j'aurai réparé mon omission, et j'aurais par ce moyen votre avis dont j'ai été bien fâché d'être privé. Cependant, par ce que vous me mandez, je ne doute pas que nous ne soyons d'accord dans le fond. Mais je vois que nous différons dans les conséquences. Je ne vois pas encore la nécessité d'employer les tourbillons pour remédier à la loi du quarré des distances. Il me semble que vous vous rapprochez assez des observations par votre addition à votre pièce sur Saturne [(Euler 49b)] pour croire que si vous aviez eu de meilleures observations, la théorie la théorie se trouverait tout à fait d'accord avec l'astronomie en ce point. Quant aux autres planètes, à Mercure, Vénus etc., il est certain qu'elles cadreront toutes fort bien avec ma loi d'attraction. Que le terme à ajouter à 1/dd soit par exemple ll/357dd (l étant la distance de la Lune à la Terre et d une distance quelconque) car à la distance de Mercure au Soleil, on trouverait un mouvement d'aphélie si petit qu'il ne serait sûrement pas démenti par les observations ; et à la distance des autres planètes, il serait encore moins sensible. Au reste je ne crois pas que ce terme l2/357d2 soit le vrai. Ce doit être quelque fonction et non une puissance. Car la loi d'attraction 1/d4 donnerait sur la Terre une attraction beaucoup trop considérable aux corps contigus ou simplement voisins. Je n'ai pas bien compris comment en comparant votre théorie de la Lune avec les observations de M. Bradley, vous ne différez que de 5'. Si vous convenez que le mouvement de l'apogée donné par l'attraction newtonienne n'est que la moitié du réel, il faut que les tables fondées sur cette loi diffèrent jusqu'à 14 degré du vrai. Apparemment donc que vous n'avez pris des observations que pour un petit intervalle de temps, comme une révolution de la Lune ou deux. Et si vous empruntez le secours des tourbillons pour remédier à la loi de Newton, vous pensez donc que leur effet n'est autre chose que de produire un mouvement d'abside, ce qui me paraît singulier. À propos de tourbillons ou de causes matérielles, il m'est tombé dans les mains ces jours ci vos opuscules où j'ai vu plusieurs morceaux très curieux, entre autres celui où vous traitez du relâchement des orbites produit par la résistance du milieu où sont les planètes [(Euler 46c)]. Vous montrez par exemple qu'ils ne donnent point de mouvement aux apsides, ce qui pourrait bien diminuer l'espérance que le mouvement d'apside qu'il faut ajouter à celui que doit avoir la Lune par la seule loi du quarré pourrait être attribué aux tourbillons. J'ai vu aussi dans le même ouvrage des tables que vous donnez pour la Lune [(Euler 46b)] auxquelles je n'ai rien compris à cause que vous n'en montrez pas trop l'usage et nullement la théorie. Si vous aviez admis la loi que je substitue à celle de Newton, j'imagine bien que vous pourriez avoir des tables qui s'accordassent avec les observations. Mais si vous n'avez pris que la loi du quarré, elles doivent différer étonnamment. Je serai charmé de voir ce qu'il en est.

Je ne vous dirai rien de plus que ce que je vous ai dit sur votre mémoire de Saturne [(Euler 49b)], parce que je ne l'ai encore fait que parcourir. Je compte le relire avec plus de soin quand les autres commissaires l'auront achevé. Je ne doute pas qu'ils n'en soient aussi contents que moi.

Si vous m'aviez destiné un exemplaire de ces Opuscules dont je viens de vous parler et que vous eussiez des facilités pour le faire arriver à Genève, je ne serais point embarrassé de l'avoir ensuite ici ainsi que vos autres ouvrages qui peuvent avoir paru depuis vos comètes [(Euler 44b)] et vos isopérimètres [(Euler 44a)]. On parle ici d'un traité de vous sur l'analyse des infiniment petits [(Euler 48d)] qui ne peut pas manquer d'exciter beaucoup ma curiosité. Il est peut-être hardi à moi de vous demander vos ouvrages, surtout après vous avoir donné les miens, il semblerait que je croirais les avoir payés, je ne pense point cela du tout. Je veux simplement vous montrer combien je serais flatté de les tenir de vous. J'ai l'honneur de vous assurer de l'estime infinie avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut.

Paris, 7 [décem]bre 1747.

J'ai été fort flatté des citations avantageuses que vous faites de moi dans votre 1er mémoires de vos Opuscules [(Euler 44a)].

Je remercie M. de Maupertuis de son souvenir et lui fais bien mes compliments. Son ami M. Le Monnier a eu la bonté de dire ici que je vous avais pillé dans le mémoire [C. 33a] que j'ai lu à notre rentrée [cf. 15 novembre 1747 (1)]. Il savait pourtant que j'avais lu à l'Académie avant le mois de septembre ma solution de l'orbite de la Lune [cf. 28 juin 1747 (1)]. et que, quant au résultat en nombres [C. 33c], lequel m'avait appris en quoi pêchait la loi de Newton, je l'avais remis au secrétaire dans un écrit cacheté [cf. 6 septembre 1747 (2)] avant de prendre aucune pièce des prix. Il a été confondu par l'ouverture de ce prix cacheté [cf. 2 décembre 1747 (1)] remis au secrétaire. Ceux qui me connaissent savent combien je suis éloigné de vouloir piller personne. Vous savez même que je vous avais prié de ne me rien mander avant que j'eusse les pièces en mains. Plus je vous estime, moins je voudrais vous rien dérober (O IVA, 5, pp. 177-179).
Euler répond à Clairaut le 6 janvier 1748 (cf. 6 janvier 1748 (1)).

En note de C. 33a, en plus de celle copiée au 6 septembre 1747 (cf. 6 septembre 1747 (2)) :
M. Euler a donné une belle solution du même problème des trois corps dans la pièce qu'il a envoyée en 1747 pour concourir au prix de l'Académie et qui l'a remporté [(Euler 49b)], mais cette pièce ne nous a été communiquée qu'après ma solution et tout ce que j'en ai tiré (C. 33, p. 335).
Abréviations
Références
  • Euler (Leonhard), Methodus inveniendi lineas curvas maximi minimive proprietate gaudentes, sive solutio problematis isoperimetrici lattissimo sensu accepti, Lausannæ-Genevæ, 1744 [12 avril 1741 (2)] [10 janvier 1744 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), Theoria motuum planetarum et cometarum, Berolini, 1744 [12 mai 1744 (2)] [19 janvier 1745 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Tabulæ astronomicæ Solis et Lunæ », Opuscula varii argumenti, 3 vol., Berlin, 1746-1751, vol. 1, 1746, pp. 137-168 [6 janvier 1748 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « De relaxione motus planetarum », Opuscula varii argumenti, 3 vol., Berlin, 1746-1751, vol. 1, 1746, pp. 245-276.
  • Euler (Leonhard), Introductio in analysin infinitorum, 2 vol., Lausannæ, 1748 [6 janvier 1748 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Recherches sur la question des inégalités du mouvement de Saturne et Jupiter », Pièce qui a remporté le prix de l'Académie royale des sciences en 1748, Paris, 1749 [Télécharger] [10 juin 1747 (1)] [3 septembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 7 décembre 1747 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n7decembre1747po1pf.html [Notice publiée le 3 juin 2010].