Ça a été pour moi un grand sujet de chagrin que d'avoir été obligé de partir, sans avoir la satisfaction de prendre congé de vous, mon cher M. J'aurais voulu vous témoigner mes regrets de vous quitter, mes sentiments d'estime et d'attachement, ma reconnaissance pour toutes les marques d'amitié dont vous m'avez comblé, et les vœux sincères que je fais pour tout ce qui peut contribuer à votre prospérité et à vos plaisirs, et il me semble que je l'aurais mieux fait en vous embrassant tendrement que par tout ce que je pourrais jeter sur le papier. Votre séjour à la campagne m'a privé de cette douceur. Agréez que je m'en dédommage par cette lettre qu'une multitude incroyable de distractions m'a obligé à retarder jusqu'à présent. Je puis enfin vous demander de vos nouvelles et vous donner des miennes en vous priant de me conserver la faveur de votre amitié et votre correspondance. J'espère que votre santé est fort bonne et que le fer chaud est refroidi. Où en êtes-vous de vos belles recherches ? Continuez-vous à trouver que la loi newtonienne ne suffit pas pour l'explication des mouvements lunaires, donnerez-vous bientôt à l'Académie quelque mémoire sur ce sujet. Si vous m'en voulez communiquer quelque chose, vous pouvez compter parfaitement sur ma discrétion. Je ne dirai rien à qui que ce soit, qu'autant que vous le permettrez, ou même que vous le voudrez. J'aurais bien voulu vous voir pour vous demander vos bons avis sur le plan de mon ouvrage des courbes [(Cramer 50)]. Vous entendez ces matières mieux qu'aucun géomètre et vous êtes plus en état qu'aucun autre de me donner des conseils, et je les recevrai plus volontiers de vous, que de personne. Mais puisque je ne sais quelle fatalité ne m'a pas permis ce bonheur, je vais envoyer cet ouvrage à l'imprimeur, tel qu'il est. On me marque d'Angl[eterre] que les amis de feu Mr MacLaurin ont fait imprimer son algèbre [(MacLaurin 48b)], et qu'il y a à la fin un appendice sur les courbes. J'imagine qu'il y aura de bonnes choses, mais dans un genre fort différent du mien, car sa méthode était plus géométrique qu'algébrique et la mienne est toute par analyse. On dit aussi qu'on va faire imprimer ses pensées sur la phil[osophie] de N[ewton] et l'on débite pour cela des souscriptions. Adieu, mon cher Monsieur, faites-moi savoir des nouvelles de Paris et surtout de l'Académie. N'y a-t-il rien touchant à l'élection des membres étrangers. Je me recommande toujours à cet égard et tous autres à votre amitié. Vous devez bien être assuré de la mienne. Croyez que je m'intéresse inf[iniment] à ce qui vous regarde, faites de ma part mille compliments à M. votre père. Faites-moi la grâce d'offrir mes respects à M. le M[arquis] et à Mad[ame] la Marq[uise] d'Ance[zune] [Ancezune]. Oserais-je aussi vous demander de m'entretenir dans la faveur de M. [Daniel-Charles] Trudaine. Je ne connais personne pour qui j'aie plus d'estime, si j'osais le dire de tendresse. Je vous serais encore fort obligé de faire connaître à M. et à Mad[ame] du Pré de S[ain]t Maur [Dupré de Saint-Maur], combien j'ai pour eux de respect et de dévouement. N'oubliez pas non plus, je vous en prie, Mlle Ferrand et son aimable société. Les doux moments que j'ai passés chez elle ne sortiront pas de ma mémoire. Je fais pour sa santé les vœux les plus tendres et les plus ardents (Speziali 55).
Courcelle (Olivier), « 11 mai 1748 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n11mai1748po1pf.html [Notice publiée le 29 juin 2010].