[10 août 1749] (1) : Diderot (Vincennes) écrit au chancelier d'Aguesseau :
Mme la marquise du Deffand, M. de Bombarde, M. l'abbé Sallier, MM. de Buffon, Clairaut, d'Aubenton, de Fontenelle, d'Alembert, etc. qu'il a l'honneur d'avoir pour protecteurs, pour connaissances, ou pour amis, attesteront à Votre Grandeur la bonté de son caractère, l'exactitude de sa probité, l'intégrité de ses mœurs, son amour pour le travail, et le besoin actuel que sa femme et ses enfants en ont (Diderot 70, vol. 1, p. 82).
Diderot est détenu au donjon du château de Vincennes et parle de lui à la troisième personne. Le même jour, Diderot écrit au lieutenant de police Berryer (cf. [10 août 1749] (2)). Diderot connaît effectivement Clairaut (cf. Diderot). Selon sa fille : M. de Réaumur avait chez lui un aveugle-né ; l’on fit à cet homme l’opération de la cataracte. Le premier appareil devait être levé devant des gens de l’art et quelques littérateurs ; mon père y avait été envoyé ; curieux d’examiner les premiers effets de la lumière sur un être à qui elle était inconnue, il espérait une expérience aussi intéressante que neuve. On leva l’appareil ; mais les discours de l’aveugle firent parfaitement connaître qu’il avait déjà vu. Les spectateurs étaient mécontents ; l’humeur des uns produisit l’indiscrétion des autres : quelqu’un avoua que la première expérience s’était faite devant Mme Dupré de Saint-Maur. Mon père sortit en disant que M. de Réaumur avait mieux aimé avoir pour témoins deux beaux yeux sans conséquence que des gens dignes de le juger. Ce propos déplut à Mme Dupré de Saint-Maur ; elle trouva la phrase injurieuse pour ses yeux et pour ses connaissances anatomiques ; elle avait une grande prétention de science. Elle paraissait aimable à M. d’Argenson [Ministre de la guerre NDE] ; elle l’irrita, et quelques jours après, le 24 juillet 1749, un commissaire, nommé Rochebrune, avec trois hommes de sa suite, vint à neuf heures du matin chez mon père, et après une visite très exacte de son cabinet et de ses papiers, le commissaire tira de sa poche un ordre de l’arrêter et de le conduire à Vincennes (Diderot 75-77, pp. XLIII-XLIV). Version comparable dans les Confessions de Rousseau : Les Pensées philosophiques lui avaient attiré quelques chagrins qui n'eurent point de suite. Il n'en fut pas de même de la Lettre sur les aveugles, qui n'avait rien de répréhensible que quelques traits personnels, dont Mme Dupré de Saint-Maur et M. de Réaumur furent choqués, et pour lesquels il fut mis au donjon de Vincennes (Rousseau 59-95, vol. 1, p. 348).La Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient avait été publiée, sans nom d'imprimeur, avec la mention : Londres, 1749. Une plaisanterie contenue dans l'ouvrage sur les beaux yeux de Mm Dupré de Saint-Maur, la femme d'un maître des comptes, fournit un prétexte à l'arrestation de Diderot. En réalité, on en voulait à un penseur hardi et à un ouvrage où cette pensée passait les bornes permises : Diderot y présentait le mathématicien anglais Saunderson qui, n'ayant jamais vu la lumière du jour, fermé au monde, ne pouvait admettre l'existence de Dieu. S'appuyant sur la physiologie, l'auteur y développait la thèse d'un sensualisme qui aboutissait au matérialisme. [...] Conduit au donjon de Vincennes le 24 juillet 1749, en vertu d'un ordre du Roi, Diderot ne fut remis en liberté que le 3 novembre, après 102 jours de captivité, le ministre de la police estimant que l'écrivain avait « suffisamment fait pénitence de ses intempérances d'esprit » (Rousseau 59-95, vol. 1, p. 1425). Mme Dupré de Saint-Maur est une amie de Clairaut (cf. 11 mai 1748 (1)).
Abréviation
NDE : Note de l'éditeur.
Références
Diderot (Denis), Correspondance, Ed. de Minuit, 16 vol., Paris, 1970 [[10 août 1749] (2)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « [10 août 1749] (1) : Diderot (Vincennes) écrit au chancelier d'Aguesseau », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nco10aout1749cfpo1pf.html [Notice publiée le 14 septembre 2012].
M. de Réaumur avait chez lui un aveugle-né ; l’on fit à cet homme l’opération de la cataracte. Le premier appareil devait être levé devant des gens de l’art et quelques littérateurs ; mon père y avait été envoyé ; curieux d’examiner les premiers effets de la lumière sur un être à qui elle était inconnue, il espérait une expérience aussi intéressante que neuve. On leva l’appareil ; mais les discours de l’aveugle firent parfaitement connaître qu’il avait déjà vu. Les spectateurs étaient mécontents ; l’humeur des uns produisit l’indiscrétion des autres : quelqu’un avoua que la première expérience s’était faite devant Mme Dupré de Saint-Maur. Mon père sortit en disant que M. de Réaumur avait mieux aimé avoir pour témoins deux beaux yeux sans conséquence que des gens dignes de le juger. Ce propos déplut à Mme Dupré de Saint-Maur ; elle trouva la phrase injurieuse pour ses yeux et pour ses connaissances anatomiques ; elle avait une grande prétention de science. Elle paraissait aimable à M. d’Argenson [Ministre de la guerre NDE] ; elle l’irrita, et quelques jours après, le 24 juillet 1749, un commissaire, nommé Rochebrune, avec trois hommes de sa suite, vint à neuf heures du matin chez mon père, et après une visite très exacte de son cabinet et de ses papiers, le commissaire tira de sa poche un ordre de l’arrêter et de le conduire à Vincennes (Diderot 75-77, pp. XLIII-XLIV). Version comparable dans les Confessions de Rousseau :
Les Pensées philosophiques lui avaient attiré quelques chagrins qui n'eurent point de suite. Il n'en fut pas de même de la Lettre sur les aveugles, qui n'avait rien de répréhensible que quelques traits personnels, dont Mme Dupré de Saint-Maur et M. de Réaumur furent choqués, et pour lesquels il fut mis au donjon de Vincennes (Rousseau 59-95, vol. 1, p. 348). La Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient avait été publiée, sans nom d'imprimeur, avec la mention : Londres, 1749. Une plaisanterie contenue dans l'ouvrage sur les beaux yeux de Mm Dupré de Saint-Maur, la femme d'un maître des comptes, fournit un prétexte à l'arrestation de Diderot. En réalité, on en voulait à un penseur hardi et à un ouvrage où cette pensée passait les bornes permises : Diderot y présentait le mathématicien anglais Saunderson qui, n'ayant jamais vu la lumière du jour, fermé au monde, ne pouvait admettre l'existence de Dieu. S'appuyant sur la physiologie, l'auteur y développait la thèse d'un sensualisme qui aboutissait au matérialisme. [...] Conduit au donjon de Vincennes le 24 juillet 1749, en vertu d'un ordre du Roi, Diderot ne fut remis en liberté que le 3 novembre, après 102 jours de captivité, le ministre de la police estimant que l'écrivain avait « suffisamment fait pénitence de ses intempérances d'esprit » (Rousseau 59-95, vol. 1, p. 1425). Mme Dupré de Saint-Maur est une amie de Clairaut (cf. 11 mai 1748 (1)).