Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


5 août 1751 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur,

Je suis infiniment plus flatté que je ne puis vous l'exprimer de l'idée avantageuse que vous avez de ma théorie de la Lune [C. 39] et de la méthode que j'y ai suivie [cf. 29 juin 1751 (1)]. Je suis également charmé de voir que vous arriviez au même résultat que moi par d'autres chemins, et il ne manquerait à ma satisfaction que de causer plus amplement de toutes ces matières avec vous, et de joindre nos forces pour y donner encore un coup de collier, si j'avais le bonheur d'être quelque temps de suite dans le même lieu que vous. Ce que vous me dites de votre envie de voir la France me réjouit infiniment, et me fait même compter en quelque manière sur le plaisir de vous voir puisqu'il me parait comme impossible qu'un autre que vous puisse avoir le premier succès dans une recherche où vous avez tant d'avance. Le bruit qui s'est répandu de vos côtés que notre prochain prix était déjà destiné, est une absurdité. Ceux qui l'ont répandu ont manqué à l'Académie. Jamais on a jugé ainsi d'avance dans ce corps. Mais bien loin que rien ait pu donner lieu à un tel propos, le savant dont vous me parlez ne pense pas, que je sache, à travailler sur ce sujet.

Ce que vous me mandez au sujet de Pétersbourg, s'il ne me donne pas le plaisir de l'emporter sur des rivaux dangereux, me fait une autre sorte de plaisir en m'assurant d'avantage la victoire. Cependant il a dû y avoir d'autres pièces depuis l'extension du terme, dont il ne me parait pas que vous puissiez encore être informé. Quand vous le serez, vous me ferez grand plaisir de me mander s'il est survenu des combattants plus à craindre. Il y en a de tels dont je connais fort les armes ; et ce n'est que par la priorité de ma découverte et par la considération des secours que j'ai pu leur donner que je croirais devoir l'emporter sur eux [Il ne sait pas que d'Alembert à renoncer à concourir, cf. 10 septembre 1751 (2)].

Je n'ai point profité du délai que l'Académie de Pétersbourg a donné, pour faire une addition à ma pièce [il le fera après sa victoire au prix, cf. 2 janvier 1752 (1)]. Le dégoût du calcul s'est tellement accru chez moi que je n'ai pas pu penser à toutes ces matières depuis que je vous écrivis de l'incertitude où j'étais sur le parti que je prendrais, et il y avait déjà même longtemps que je m'y appliquais si mollement que cela ne valait pas la peine d'être considéré comme du travail. Je n'ai pas eu le courage par exemple de comparer votre dernière équation avec la mienne parce qu'il faudrait changer vos expressions n, r, s en quantités qui ne continssent que des mouvements moyens comme les miennes. Au reste je pense comme vous qu'il est très difficile, par rapport aux petites équations, de compter parfaitement sur le résultat donné par la théorie à cause de l'excessive attention qu'il faut dans les calculs. Je crois qu'il y a peu à corriger aux miens, mais je n'oserais pas prononcer qu'ils ne pussent devenir plus proches des observations en les recommençant encore avec un plus grand soin. Et je ne répondrais pas non plus que la théorie seules des forces centripètes quelque exactement qu'elle fût calculée pût arriver plus près que 4', ainsi que j'ai fait dans mes tables. Il me parait très possible qu'il y ait quelque autre cause inconnue qui empêche de parvenir à plus de justesse. Mais cette différence de 4' me parait si peu de chose dans le fond qu'il me semble que les théoriciens doivent être très satisfaits.

Je serai toujours infiniment charmé de m'entretenir sur ces matières avec l'homme dont je respecte le plus les lumières, et je vous communiquerai avec grand plaisir les nouvelles vues qui me viendront ou les détails que je ne vous ai pas encore envoyés, lorsque je me serai remis à ce travail. En attendant j'ai l'honneur de vous assurer qu'on ne peut pas être avec plus d'estime et plus d'attachement que moi, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut.

Paris, 5 août 1751 (O IVA, 5, pp. 213-214).
La réponse d'Euler est perdue.

Clairaut réécrit à Euler le 26 septembre (cf. 26 septembre 1751 (1)).
Abréviation
Référence
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 5 août 1751 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n5aout1751po1pf.html [Notice publiée le 1 novembre 2010].