28 avril 1751 (2) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur, Je ne puis vous exprimer le plaisir que m'ont fait vos deux dernières lettres [cf. 16 mars 1751 (1) et 10 avril 1751 (1)] que j'ai reçues à la fois de M. d'Osembray. Outre que j'étais fort inquiet de ce que pouvait être devenue ma pièce sur la théorie de la Lune [C. 39], je mourais d'envie de savoir ce que vous en penseriez, n'ayant que vous dans le monde avec qui je puisse m'entretenir sur cette matière [d'Alembert !]. Les choses obligeantes que vous dites sur mon mémoire m'ont certainement beaucoup plus flatté que ne pourra le faire le gain du prix, s'il m'arrive comme vous me donnez lieu de l'espérer. Et je vous assure que je me trouve payé des peines infinies et de tous les dégoûts que m'a donné ce rude et délicat travail, par le plaisir de le voir satisfaire un homme aussi supérieur que vous. Quoi qu'il ne me reste que peu de jours pour envoyer quelques suppléments à Pétersbourg, je ne sais pas encore si je m'y déterminerai [Il ne le fera qu'après avoir gagné le prix, le 2 janvier 1752 (cf. 2 janvier 1752 (1))]. Je suis devenu tellement paresseux sur cette matière que je ne puis presque me résoudre à mettre au net quelques calculs et quelques recherches qui n'avaient pas encore été achevées lorsque j'ai envoyé ma pièce, ou dont je n'avais pas eu alors le temps de rendre compte. D'ailleurs ce que vous me dites sur mon ouvrage et sur les pièces qui concourent me font regarder comme assez indifférent d'envoyer ce reste ou non. Au reste quel que soit le parti que je prenne sur cette addition, j'aurai également l'honneur de vous la communiquer comme une recherche séparée que j'ai intention d'imprimer à la suite de la première. Le tout consiste 1° à quelques petites corrections que j'ai faites aux équations dépendant de l'anomalie moyenne du Soleil, 2° à celle qui demandent la considération de la parallaxe, 3° à une théorie du mouvement du Soleil avec l'examen de la correction presque insensible qui en résulte pour la théorie de la Lune, 4° à une transformation des arguments employés dans les tables anglaises, et dans les vôtres, en arguments de même nature que les miens, afin de faire plus commodément la comparaison de toutes ces tables. Quant à l'observation dont vous me parlez [cf. 10 avril 1751 (1)] du 6 janvier 1744, j'ai trouvé sans la liste des lieux de la [Lune] que m'a communiquée M. l'abbé de La Caille, qu'elle était telle que vous l'avez trouvée dans votre copie, et pour la plus grande sûreté, je vous envoie tous les éléments de cette observation tels qu'ils sont marqués sur le mémoire de cet astronome afin de les faire vérifier si vous le jugez à propos [Bien que Clairaut en l'indique pas, il rectifie de 30' la valeur de la longitude vraie qu'Euler avait lue sur la copie à sa disposition, cf. 29 juin 1751 (1)] [maths]. Pour revenir aux changements dont je viens de vous parler au sujet de mes équations, je vous dirais dès à présent que les principaux consistent diminuer l'excentricité d'environ 1/171, a augmenter d'environ une minute l'équation dont l'argument est l'anomalie moyenne, à rendre d'environ 3' 40'' l'équation proportionnelle au sinus de t, et de supprimer presque entièrement l'équation t=y. Ces deux derniers changements me sont venus principalement en employant [maths]. Au reste le nouveau calcul par lequel j'ai fait ces dernières corrections a été fait si rapidement que j'y aurais peu de confiance sans la confirmation que les observations m'ont paru y donner. La correction de l'équation proportionnelle au sinus de Z ne me vient pas d'un nouveau calcul mais d'une ancienne détermination de l'orbite dont les parties qui influent le plus sur cette équation m'ont paru, après y avoir repensé, aussi exactes que dans celui que j'ai employé dans mon mémoire et plus conformes aux observations. C'est un inconvénient de la théorie de la Lune bien difficile selon moi à éviter que celui d'avoir certaines équations dépendant de diviseurs si petits que les plus petites quantités ne doivent pas y être négligées. Les équations qui donnent le mouvement des nœuds et l'inclinaison de l'orbite dépendent de calculs bien plus commodes. Mais quoi que je me sois bien plus satisfait sur cette partie que sur la première, je me propose cependant quand le courage me reviendra de recommencer aussi cette partie, soit en introduisant quelques petites termes que j'ai négligés, soit en corrigeant les valeurs de [maths]. Je dois encore vous observer par rapport à cette partie qu'il y a une erreur commune à tous les lieux calculés par mes tables, c'est que l'équation [maths] a été totalement oubliée en construisant les tables. En sorte que pour voir les vraies différences dont mes tables s'écartent de la nature, il faut faire une petite correction à tous les lieux calculés, telle que cette équation peut la donner. Mais on vient bien qu'elle ne peut influer que légèrement sur la latitude comme de 10 à 12'' au plus. Vous me demandez, Monsieur, dans votre avant dernière [cf. 16 mars 1751 (1)] des nouvelles d'une pièce dont la devise est Assiliunt fluxus etc. Les commissaires qui étaient chargés de l'examen de cette question [cf. 5 septembre 1750 (1)] ont pensé que la théorie en était fort belle, et ils n'étaient pas possible qu'ils puissent penser différemment, mais ils n'ont pas cru que la partie pratique pût répondre à la question proposée. Ils n'ont donné que le premier accessit à cette pièce [cf. 21 avril 1751 (1)] et l'imprimeront au cas que l'auteur le permette. Nous aurons à la fin de l'année des pièces pour un prix bien plus important où je m'attends à voir de belles choses de vous et l'entier dénouement de la question de Saturne. Je l'attends pour reprendre du goût à toute cette matière. Et je m'amuserai en attendant d'études fort légères, celle de la langue anglaise par exemple, à cause que je me propose d'aller faire un tour en Angleterre avant peu [cf. 18 novembre 1752 (1)]. N'avez-vous point quelque envie de voir ce pays-là, et le nôtre, ou êtes-vous résolu à passer votre vie à Berlin ? Je voudrais bien que quelque affaire ou curiosité vous rapprochât un peu, et je vous assure que je ferai beaucoup de chemin pour avoir le plaisir de vous voir et connaître personnellement un homme dont les ouvrages et les lettres m'ont donné la plus haute idée. C'est dans ce sentiment que j'ai l'honneur de vous assurer de la vénération avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. Paris, 28 avril 1751 (O IVA, 5, pp. 208-210).
C. 39 : Clairaut (Alexis-Claude), Théorie de la Lune déduite du seul principe de l'attraction réciproquement proportionelle (sic) aux quarrés des distances... Pièce qui a remporté le prix de l'Académie impériale des sciences de Saint Pétersbourg en 1750..., Saint-Pétersbourg, 1752, in-4°, 92 p [Télécharger] [6 décembre 1750 (1)] [Sans date (1)] [(7 novembre) 27 octobre 1737 (1)] [Plus].
Référence
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 28 avril 1751 (2) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n28avril1751po2pf.html [Notice publiée le 20 octobre 2010].