Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


26 mai 1764 (1) : Les prix :
M. le directeur a lu l'écrit suivant de M. d'Alembert après la lecture duquel il a été deliberé que l'addition transcritte ensuite dudit écrit et signée de MM. les commissaires auroit lieu et que je la ferois inserer dans les papiers publics

Reflexions sur le programme public au nom de l'Académie pour le prix de 1766. On demande

1°. Quelles sont les inégalités qui doivent s'observer dans les mouvemens des quatre satellites de Jupiter, à cause de leurs attractions mutuelles.

Je remarque d'abord que ces mots qui doivent s'observer, sont ici très impropres. En effet il est naturel de les expliquer par ceux-ci, qui doivent être appercus par les astronomes.

Or je dis que ces derniers mots sont très impropres, sous quelque point de vue qu'on les envisage.

1°. Ils sont très impropres en les rapportant a la theorie. Car comme on ne connoit pas la masse des satellites de Jupiter, on ne sauroit savoir par la theorie, si les inegalités qui resultent de leurs attractions mutuelles doivent être sensible. La theorie peut seulement faire connoître la loi de ces inegalités, et l'observation en fait ensuite connoître la quantité.

2°. Ils sont très impropres en les rapportant à l'observation. Car l'observation fait connoître si les inegalités dont il s'agit sont sensibles, et non pas si elles le doivent être.

3°. Ils sont enfin très impropres en les rapportant à la théorie joint avec l'observation. Car puisque l'observation seule [suivant le programme NDA] fait connoître que ces inegalités sont sensibles, il seroit ridicule de demander si ces inegalités doivent être sensibles en joignant l'observation à la théorie.

Si au lieu des mots qui doivent s'observer, on eut mis qui doivent avoir lieu, cette expression, quoi qu'elle ne soit pas encore trop bonne, auroit été un peu moins defectueuse en la rapportant à la theorie, parce qu'on peut dire à la rigueur que des inegalités ont lieu par la théorie, sans savoir encore si elles sont sensibles par l'observation. On dira peut être qu'il faut expliquer les mots doivent s'observer, par ceux ci, doivent avoir lieu. Mais ces mots, doivent s'observer, pourroient aussi tres bien s'entendre dans le sens dont j'ai parlé plus haut : c'est même celui qu'ils presentent le plus naturellement ; car quand on parlera des inégalités qui doivent s'observer dans le mouvement des sattellites, il est naturel d'entendre par la les inégalités que les astronomes doivent remarquer dans ce mouvement. Ce seroit même une assez mauvaise façon de parler que de dire les inégalités qui s'observent dans un mouvement, pour signifier les inégalités qui ont lieu dans ce mouvement ; parce que le mot s'observe, destiné naturellement a designer des loix constantes et uniformes, va mal avec le mot d'inégalité qui presente une idée contraire. Le sens que j'ai attaché plus haut aux mots doivent s'observer ; est donc le plus naturel. Or je viens de faire voir que les mots doivent s'observer pris dans ce dernier sens, seroient très impropres. Ainsi ces mots, suceptibles de deux sens differents dont le plus naturel est très louche, et dont le second ne vaut pas beaucoup mieux, sont déjà une première faute dans un programme de prix, qui doit être enoncé avec la clarté et la précision la plus rigoureuse.

Le programme continue, La loi et les périodes de ces inegalités, surtout au temps des éclipses.

Cette phrase est encore plus défecteuse que la précédente. En effet par la manière dont elle est tournée, et principalement par le mot surtout, on semble faire entendre que la loi et les périodes des inégalités causées par l'action mutuelle des satellites sont sujettes a quelque modification particuliere dans le temps des éclipses. Or cela n'est pas vrai. La loi et les périodes des inégalités dont il s'agit sont uniquement dépendantes du mouvement des satellites, et point du tout du mouvement de Jupiter autour du Soleil ; cela est clair pour tous ceux qui sont en état d'entendre les solutions du problème des trois corps. Or le temps des éclipes depend en partie du mouvement de Jupiter autour du Soleil ; donc la loi et les périodes des inégalités dont il s'agit n'ont aucun rapport avec le temps des eclipses, puisque le mouvement de Jupiter qui entre dans le calcul des eclipses n'entre point du tout dans le calcul des inegalités dont il s'agit. En un mot, quand Jupiter seroit en repos, quand son mouvement seroit tout autre qu'il n'est, quand on supposeroit même qu'il n'y eut point de Soleil, et par consequent point d'eclipse des satellites, la loi et les periodes des inegalités dont il s'agit demeuroient toujours les mêmes dans chacun de ces satellites. La phrase est dont très defectueuse par le sens qu'elle presente.

On a voulu dire apparamment qu'on désiroit surtout de savoir quel doit être l'effet des inégalités dont il s'agit pour avancer ou retarder le temps des eclipses. Mais on l'a exprimé très mal par les mots de loi et de periodes qui encore une fois n'ont rien de particulier dans le temps des eclipses pour les inegalités produites par l'attraction mutuelle des sattelites.

Le programme demande en 3e lieu la quantité de ces inégalités suivant les meilleurs observations.

Les mots ces inégalités font entendre que les inégalités connues par les observations dans les mouvemens des sattelites, sont celles dont a uniquement parlé dans le programme, et qui sont produittes par leurs attractions mutuelles. Or il est faux que les inégalités qu'on remarque dans le mouvement des sattelites ne viennent que de leur action mutuelle. Le seul mouvement de leurs noeuds en produit en partie par l'action du Soleil sur ces sattelites ; et il est necessaire d'en tenir compte dans de bonnes tables ; M. Newton a calculé que le mouvement des noeuds du 4eme sattelite doit être par la seule action du Soleil de plus de deux degrés etn vingt cinq ans, quantité beaucoup plus considérable que la précision des équinoxes. Il pourroit bien y avoir encore quelques autres inégalités sensibles produites par l'action du Soleil, principalement sur le 4eme sattelite. J'ai lieu de le croire d'après quelques calculs que j'ai faits à ce sujet, et je me propose d'examiner cette question plus à loisir ; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'aucun des geomètres qui ont résolu le probleme des trois corps n'a point encore examiné cette matière délicate avec assez d'attention pour assurer le contraire. Et quand après un mur examen, il ne se trouveroit point d'autres inégalités sensibles, produites par l'action du Soleil, qu'une partie du mouvement des noeuds, cette inégalité suffiroit pour qu'on ne la neglige pas dans le calcul du mouvement des sattelites, d'autant plus qu'elle influe nécessairement sur le teps des eclipses dont il est fait mention dans le programme.

Il resulte de ces observations que le prix de 1766 auroit besoin d'être refondu entierement, et je proposerois une idée à ce sujet, s'il étoit possible de publier un autre programme sans compromettre l'honneur de l'Academie ; car par mlaheur ce programme est publié sous son nom, quoi qu'il ne soit pas son ouvrage, et qu'il ne doive proprement être attribué qu'a un seul des commissaire du prix. Mais il me semble que pour obvier quoiqu'imprafaitement aux inconveniens qui peuvent resulter de la maniere dont ce programme est enoncé, l'Académie ne peut se dispense de déclarer qu'elle n'entend point exclure de la question proposée dans le programme, les inégalités par l'action du Soleil sur les satellites. Cette déclaration couvrira en partie les défauts dont ce programme fourmille. Il est à croire aussi que la compagnie prendra des mesures à l'avenir pour eviter de pareils inconvenients.

Addition au programme du prix de 1766.
L'Academie royale des sciences de Paris croit devoir avertir les scavants qui travailleront au sujet du prix qu'elle a proposé pour l'année 1766 qu'elle n'entend point exclure l'examen des inégalités que l'action du Soleil peut produire dans les mouvements des satellites de Jupiter. Signé Le Monnier, Clairaut, Camus et Bezout [Bézout] (PV 1764, f. 192v-196v).

Gallica

Ces réflexions de d'Alembert ont été publiées par Henry d'après un manuscrit conservé à la Bibliothèque de l'Institut (Henry 85).

Les commissaires en charge de la rédaction du sujet de 1766 avaient été nommés le 6 septembre 1763 (cf. 6 septembre 1763 (2)).

Ce sujet de 1766 avait été annoncé à l'assemblée publique du 2 mai 1764 (cf. 2 mai 1764 (1)).

Dès le 16 mai :
M. de la Lande a lu un écrit au sujet de l'addition que M. d'Alembert propose de faire au programme du prix de 1766. Il a été prié de reduire cet ecrit aux seules raisons qu'il oppose à cette addition et de me le remettre ensuite pour etre communiquer à M. d'Alembert (PV 1764, f. 167).

D'Alembert adresse ses réflexions à Clairaut (cf. 28 mai [1764]), ce qui entraîne une réponse de ce dernier (cf. 29 mai [1764]) et une autre du premier (cf. [c. 30 mai 1764]).

Le 8 juin, au comité de librairie :
[En marge : non imprimés] Écrits respectifs de MM. d'Alembert et Delalande au sujet de l'annonce du prix de 1766 (Registre du comité de librairie, 1749-1770, p. 135).

D'Alembert publiera l'essentiel de ses remarques dans le Journal encyclopédique, 15 août 1764, pp. 124-128, et le fera savoir à Lagrange (cf. 16 octobre 1764 (1)) ou Frisi (cf. 11 décembre [1764]).

L'addition est reportée dans la partie concernée volume académique (HARS 1766, hist., p. 165), avec le nom du vainqueur, qui se trouve être d'ailleurs Lagrange (9 avril 1766 (1)).
Abréviations
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
  • NDA : Note de l'auteur.
  • PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Référence
  • Henry (Charles), « Correspondance inédite de d'Alembert avec Cramer, Lesage, Clairaut, Turgot, Castillon, Beguelin etc. », Bullettino di bibliografia e di storia delle scienze matematiche e fisiche, 18 (1885) 507-570, 605-649 [28 février 1748 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 26 mai 1764 (1) : Les prix », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n26mai1764po1pf.html [Notice publiée le 8 mars 2013].