14 septembre 1761 (2) : Les sœurs Planström : interrogatoire Planström (II) :
Du lundi 14 [septem]bre 1761 Fait venir de la prison du Petit Chatelet Elizabeth Planstrom, f[emm]e d'Anne Poitier de Sevy, seigneur de Pelletot, agée de quarante deux ans, native de Stokolm, dem[euran]te a Paris, rüe de Limoges chez les s[ieu]r et dame de Bragelonne, après serment. Interrogé si en quittant ses pere et mere, il luy ont fait quelques dons, en quoy ils consistoient ? A dit que ses pere et mere lui ont donné de quoy faire le voyage Ce qu'elle a apporté en dot au s[ieu]r de Pelletot ? A dit cinquante mille livres. D'où lui provenoient lesd[ites] cinquante mille livres ? A dit des bienfaits du Roy, et de ses protecteurs. A elle representé qu'il n'est pas possible qu'elle ait apporté cette somme, puisqu'elle estoit domestique chez la d[am]e duchesse d'Aiguillon lorsque le s[ieu]r de Pelletot l'a recherchée en mariage, qu'il ne lui restoit de ses gages qu'environ 600 # qui furent destinées par la d[am]e duchesse d'Aiguillon pour secourir sa sœur, et qu'elle n'avoit du Roy qu'une pension de 300 # en qualité de nouvelle convertie ? A dit qu'elle n'a jamais esté domestique, quelle a apporté 50 000 # qui ont esté comptées en louis d'or en presence des notaires et Me Degenne avocat, et que le contrat de mariage en fait foy. Si ce n'est pas plustot par un effet de la complaisance et d'un avantage que son mary vouloit lui faire, qu'il a bien voulu reconnoitre avoir reçu d'elle lad[ite] somme de 50 000 # ? A dit qu'elle a réellement fourni cinquante mille livres qu'elle a tiré de sa commode en louis d'or. Si elle a eû des biens de patrimoine ? A dit qu'elle ne peut y pretendre, attendu qu'elle a changé de religion. Si ce n'est pas pour s'aproprier dès a present cette dot que son mary n'a pas reçu[e], quoy qu'il ait parû l'avoir reçue, qu'elle a suscité à son mary deux procès en séparation de corps ? A dit qu'elle n'a formé sa demande en separation d'avec son mary qu'une seule fois, a cause des persecutions et des mauvais traitemens qu'elle a reçus de son mary, et que sa vie a esté nombre de fois en danger. Si après avoir resté pendant trois années en bonne intelligence avec son mary, elle ne s'est pas retirée dans un couvent de l'abaye de Jarcy ? A dit que c'est son mary qui l'a menée lui meme au couvent de Jarcy, au bout de deux ans de mariage, en lui faisant acroire qu'il alloit continuer son service a l'armée. Si en partant de ce couvent, elle n'a pas esté amené à Argenton chez un s[ieu]r Vilene ? A dit que c'est après avoir demeuré deux ans et demi dans ce couvent, et après que son mary lui a eu enlevé tous ses effets et bijoux que son mary l'a d'abord mené chez le s[ieu]r Abbé à Versailles, et après a Argenton en Berry chez le s[ieu]r Vilene. Si son mary, outre sa pension, ne lui donnoit pas encore quatre cent livres par an pour ses menus plaisirs ? A dit que son mary la laissoit manquer de tout, et ne lui a donné que cent francs pendant tout le cours d'une année qu'elle a demeuré a Argenton, lesquels cent francs, elle n'a pas touché et sont restés entre les mains du juge d'Argenton. Pourquoi donc dans ce temps là elle ecrivoit a son mary des lettres extremement tendres et pleines de reconnoissance ? A dit que c'est parce qu'elle a toujours eû beaucoup de tendresse pour son mary, et qu'elle croyoit le ramener envers elle. Pourquoy tandis qu'elle ecrivoit d'un coté des lettres pleines de reconnoissance a son mary, a t'elle d'un autre coté rendu une plainte au bailly d'Argenton pour parvenir a une separation de corps ? A dit parce qu'elle voyoit que son mary ne faisoit que l'abandonner, estoit continuellement occupé de la tromper, et qu'elle avoit reçu de lui tous les mauvais traitements les plus inouis. Pourquoi après avoir succombé dans cette demande en separation, elle s'est desistée de l'appel qu'elle en avoit interjetté, et a t'elle fait une transaction avec son mary contenant une separation volontaire ? A dit que c'est le s[ieu]r de Pelletot qui l'a forcée à faire cette transaction, qu'elle n'a pû suivre son appel attendu l'exil du Parlement. Si ce n'est pas depuis ce moment qu'elle a mené la conduite la plus licentieuse, soit avec le s[ieu]r de Bragelonne, soit avec d'autres ? A dit qu'elle n'a jamais mené de mauvaise conduite. Si elle n'a pas fait des donations, des obligations et des transports au sieur de Bragelonne sur les reprises et conventions matrimoniales ? A dit que cela est vrai, et que c'est pour en jouïr apres son decez, qu'elle a toute les obligations du monde au s[ieu]r de Bragelonne, et que toute sa fortune retournera aud[it] s[ieu]r de Bragelonne en reconnoissance des services qu'il lui a rendus, et de toutes les avances qui ont esté faites pour elle, repondante. A quoy se montent toutes les avances que le s[ieu]r de Bragelongne a fait pour elle ? A dit a des sommes considerables que le sieur de Bragelonne a deboursé pour la suite de son proces. A qui apartiennent les meubles qu'elle a chez le s[ieu]r de Bragelonne et dont elle use ? A dit qu'ils appartiennent au s[ieu]r de Bragelonne et qu'elle n'a d'autres meubles à elle qu'un lit, quelques mauvaises chaises et une commode. Si des meubles qui garnissent les lieux occupés par elle et le s[ieu]r de Bragelonne ne font pas alternativement sous le nom de l'un et de l'autre pour tromper leurs creanciers ? A dit que cela est vrai à son egard, mais que le s[ieu]r de Bragelonne n'a pas de creanciers qui le poursuivent, et qu'elle n'a pas de connoissance que le s[ieu]r de Bragelonne ait mis ses meubles sous le nom d'elle, repond[an]te. Si lorsqu'elle demeuroit rüe de Grenelle avec le s[ieu]r de Bragelonne, celui cy n'a pas loüé une chambre chez le m[archan]d de vin au 1er etage dans laquelle il a fait mettre un lit sur lequel elle a eû commerce avec le s[ieu]r de Bragelonne [cf. 29 avril 1761 (1), 29 avril 1761 (2)] ? A dit que cela est faux. Si elle n'a pas conçu contre son mary une haine implacable au point qu'elle a toujours desiré sa mort, s'etant vantée que quand elle l'apprendroit, elle ferait mettre a la broche un bœuf gras qui auroit des cornes si hautes qu'il ne pourroit entrer dans la maison, et qui s'etendroient jusqu'a la porte S[ain]t Denis [cf. 27 mars 1761 (2)] ? A dit que cela est faux. Si elle n'a pas demandé à une f[emm]e un sort pour faire mourir son mary, si elle n'a pas fait donner à cette f[emm]e un ecu de 3 # pour cela, et si cette f[emm]e n'est pas la n[omm]ée [Biche, Hiche], f[emm]e d'un Suisse [cf. 26 mars 1761 (1)]? A dit que cela est faux, mais que cette femme disant qu'elle sçavoit tirer les cartes et la voyant penetrée de douleur et de chagrin, fit une espece de badinage en mettant le blanc d'un œuf dont elle avala le jaune dans un verre d'eau, qu'elle l'y laissa séjourner pendant 24 heures au bout duquel temps cette f[emm]e vint lui dire qu'elle auroit encore beaucoup de choses à souffrir, mais qu'enfin elle vaincroit son mary, qu'il est vray que sans ajouter foy aux discours de cette f[emm]e, elle lui a donné un ecu de 3 #. Si pour mieux accomplir le dessein qu'elle avoit de faire perir son mary, elle n'a pas eû recours a la magie, et si en consequence, elle ne s'est pas transportée avec une fille, il y a environ six a sept mois dans l'eglise de S[ain]t Sulpice à laquelle fille, elle a demandé après avoir entendu la messe, si elle connoissoit un fossoyeur, que l'ayant mené à un particulier boitteux donneur d'eau benite dans la meme eglise, ce particulier lui indiqua le n[omm]é Touzet, fossoyeur auquel elle demanda un morceau de cranne de mort, que ce fossoyeur lui apporta enveloppé dans un morceau de papier, et lui donna pourboire [cf. 3 avril 1761 (2)] ? A dit qu'une f[emm]e qui demeuroit rüe de Grenelle, dans le temps qu'elle demeuroit susd[ite] rüe, ayant un grand mal aux dents, quelqu'un lui dit qu'il falloit pour la guerir de son mal de dents avoir un cloux provenant d'une bierre où un mort auroit esté enseveli, qu'en consequence, voulant procurer la guerison de cette f[emm]e, elle fut un jour à S[ain]t Sulpice où, après avoir entendu la messe, elle demanda à un fossoyeur qu'une f[emm]e lui indiqua par le moyen du donneur d'eau benite un cloux d'un cercüeil pour faire un remede, que ce fossoyeur lui apporta deux cloux qu'il dit provenir d'une bierre où estoit un mort et qu'elle donna 12 s[ols] à ce fossoyeur, mais que jamais il n'a esté question dans tout cecy ny d'un cranne de mort, ny de son mary. Si elle ne fut pas sur le champ à la sacristie pour la retribution d'une messe pour le lendemain ? A dit qu'elle fust aussitost à la sacristie trouver le s[ieu]r Biscarolle, pretre confesseur de la d[am]e de Bragelonne qu'elle invita au diner pour le lendemain. Si elle ne conserve pas toujours une haine violente contre son mary ? A dit que sans la religion, elle ne pardonneroit jamais a son mary toutes les persecutions qu'il lui a fait souffrir. Si elle persiste toujours à nier qu'elle a eû commerce avec le s[ieu]r de Bragelonne, le fils cadet du s[ieu]r de Pelletot et d'autres [cf. 15 avril 1761 (4)] ? A dit qu'elle soutient toujours qu'elle n'a eû aucun commerce avec personne. A elle remontré cependant qu'on lui impute d'avoir epuisé de debauche le fils cadet de son mary et de luy avoir ainsy procuré la mort ? A dit que c'est une imposture, et que c'est son mary qui a plongé son fils dans les plus infames debauches qui lui ont causé des maladies honteuses et lui ont procuré la mort, et que son fils estant perdu de debauche, le s[ieu]r de Pelletot son mary vouloit sans doute que son fils communiquât a elle, repond[an]te, le mal honteux lorsqu'il a excité son fils à venir la trouver dans son lit, mais que jamais elle ne s'est prestée aux desirs et aux violences de cet enfant. Si elle n'a pas retiré chez elle la n[omm]ée Catin dont elle favorisoit le libertinage, et qui est devenu enceinte dans sa maison [cf. 15 avril 1761 (4), 2 avril 1761 (5)] ? A dit que cela est faux, et que c'est au contraire le fils naturel du s[ieu]r de Pelletot qui l'a debauchée et qui lui a fait l'enfant dont elle a esté enceinte, que lad[ite] Catin est accouchée de cet enfant chez elle, repondante, et dont elle, repond[an]te a bien voulu prendre soin du consentement de son mary. Si elle veut croire les temoins ? A dit que ouy s'ils disent la verité. Si elle n'a jamais esté en prison ? A dit que non ? Lecture a persisté et signé. Planström. Lenoir. [Taxé deux vacations] Soit montré au procureur du Roy. Fait ce 14 [septem]bre 1761. Lenoir (AN, Y 10237, dossier Planström, pièce 7).
L'interrogatoire de la dame de Pelletot avait commencé le 12 (cf. 12 septembre 1761 (1)). Vu son interrogatoire et celui du comte de Bragelongne (cf. 12 septembre 1761 (1)), le procureur du Roi, requerra un règlement à l'extraordinaire, conclusion suivie par le lieutenant criminel (cf. 15 septembre 1761 (1)). La dame de Pelletot sera à nouveau interrogée le 24 février 1762 (cf. 24 février 1762 (2)).
Abréviation
AN : Archives nationales.
Courcelle (Olivier), « 14 septembre 1761 (2) : Les sœurs Planström : interrogatoire Planström (II) », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n14septembre1761po2pf.html [Notice publiée le 4 mai 2009].