Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


1 juin 1761 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Daniel Bernoulli :
M. Haller [le fils, cf. Haller] qui vous remettra cette lettre, mon cher ami, porte un nom qui se recommande de soi-même, c'est donc bien moins pour vous le recommander que j'obéis à sa prière, que pour me recommander moi-même à vous deux dans les conversations que vous aurez pendant son séjour à Bâle. Après le plaisir de voir soi-même son ami, le plus vif est celui de le savoir s'occuper de vous avec un tiers qui vous connaît et qui lui rend immédiatement tout ce que vous pensez de lui. C'est une manière d'étendre son existence au loin qui me paraît avoir autant de charmes que bien des sensations d'objets présents. Si elle a quelque chose de trop idéal, n'est-ce pas une chimère préférable à l'attachement que la postérité aura de nous, qui flatte cependant tant d'hommes [comme d'Alembert NDM]. Mais pour quitter cette métaphysique, je vous dirai que ma compagne [Mlle Gouilly, cf. [c. juin] 1757 (2)] est fort sensible à l'amitié que vous lui témoignez et qu'elle me parle toujours de vous avec plaisir, et souvent. Il faudra bien que quelque jour nous nous voyions tous les trois. M. Haller vous dira combien nous le désirons. Il y a longtemps que je me serai satisfait à cet égard si le peu de fortune dont je jouis me laissait aussi indépendant que le pourrait faire de simples rentes.

L'abbé de La Caille, à qui j'ai lu l'article de votre lettre [perdue NDM] qui le regardait, me dit que la boussole dont il s'est servi n'est plus dans ses mains. Il l'a fait retoucher sur de forts barreaux aimantés et l'a donné à M. Le Gentil pour faire des observations pendant son voyage.

Il lui a recommandé de lui faire [f]aire le tour de l'horizon dans les pays méridionaux voisins de la ligne. L'abbé de La Caille n'a point observé le temps d'un certain nombre de balancements, mais quelle que soit la cause de l'inégalité des inclinaisons méridionales et septentrionales, il ne peut l'attribuer à l'inégalité de la force magnétique dans les différents temps des observations, puisque du jour au lendemain où l'inclinaison a changé de sens, l'inégalité a été frappante, qu'elle s'est soutenue pendant deux ans dans les différents endroits où il a observé, et qu'il a été fort attentif à voir ce qui arriverait le jour que l'inclinaison redeviendrait septentrionale, que ce jour là même les différences ont cessé. Il ne voit guère autre chose à dire là-dessus sinon qu'il faudrait essayer avec plusieurs boussoles si ce phénomène y parait constamment.

Les expériences dont le c[om]te Teleky [Joseph Teleki, cf. 5 novembre 1760 (1)] vous a parlé sont relatives au télescope de M. Dollond, opticien anglais qui est parti lui-même dans des recherches que M. Euler avait faites pour corriger les réfrangibilités par l'emploi de deux matières différemment réfringentes comme le verre et l'eau. Le mémoire de M. Euler que vous pouvez voir dans l'Acad[émie] de Berlin an[née] 1747 [(Euler 47b)], aurait suffi pour la construction des nouveaux télescopes, s'il n'avait pas été (ainsi que l'est souvent l'autre géomètre dont nous parlons quelquefois [d'Alembert NDM]) trop adonné au calcul et aux conjectures lorsque l'observation est le véritable instrument. Il s'agissait de connaître la différence de la réfraction du rouge au violet dans l'eau, et au lieu de la déterminer par des expériences comme Newton a fait celle qui a lieu dans le verre, il a cru qu'il devait y avoir une relation nécessaire et constante entre toutes les variations de réfrangibilité, et que cette relation était celle des puissances, c'est à dire que si m exprime la proportion du sinus d'incid. au sinus de refr. pour le rouge en général, m élevé à un nombre constant devait avoir la prop. de refr. pour le violet, quelle que soit la matière réfringente. Sans cette mauvaise considération, M. Euler aurait tiré parti d'une très belle idée. M. Dollond en a profité, lui, en observant, et ce qu'il a eu d'heureux, c'est qu'au lieu d'employer du verre et de l'eau, il a trouvé deux sortes de verres qui, sans différer considérablement pour la réfraction moyenne, donne une très grande différence de réfrangibilité du rouge au violet. Il compose donc ses objectifs de ces deux verres, le plus fort de réfraction est employé pour une lentille concave qu'on applique contre une lentille convexe faite de l'autre espèce de verre. L'ensemble forme un objectif d'un foyer plus long dans lequel les rayons de toutes les couleurs sont réunis comme se le proposait M. Euler, et comme il l'aurait certainement fait s'il avait voulu recourir à l'expérience.

Cette matière m'a beaucoup intéressé parce qu'elle ne parait pas poussé à la perfection, que la recherche des observations causées par la sphéricité de quatre surfaces offre des combinaisons qui peuvent être très heureuses, qu'enfin M. Dollond, qui parle de ce problème comme l'ayant résolu, ne dit rien qui puisse ni servir à le résoudre, ni prouver qu'il l'a véritablement résolu. Le problème, vous entendez bien que c'est la destruction ou la diminution très sensible des observations dues à la sphéricité, destructions que l'on doit produire en même temps que celle des aberrations causées par la différence de réfrangibilité. Après avoir formé cette théorie [C. 57], comme elle m'a paru ne pouvoir être employée qu'en connaissant très exactement les réfringences des deux matières tant pour les rayons moyens que pour ceux des couleurs extrêmes, je n'ai pu résister à l'envie de les observer moi-même. Et cela m'a bien fait regretter de ne m'être pas aussi exercé à la physique que vous. Mais en voilà bien long sur cette matière, et pour cette feuille de papier dans laquelle je ne puis plus mettre que les assurances de mon sincère et tendre attachement.

Je joins ici une lettre pour le comte Teleky [Teleki] dont je ne sais pas l'adresse [cf. [c. 1 juin 1761]] (Boncompagni 94b).
Clairaut répond à une lettre perdue de Daniel Bernoulli.

Daniel Bernoulli avait écrit à Clairaut le 14 juillet 1760 (cf. 14 juillet 1760 (1)).

Clairaut n'a pas reçu de réponse à cette lettre au 28 août, date à laquelle il réécrit à Daniel Bernoulli (cf. 28 août 1761 (1)).
Abréviations
  • C. 57 : Clairaut (Alexis-Claude), « Mémoire sur les moyens de perfectionner les lunettes d'approche, par l'usage d'objectifs composés de plusieurs matières différemment réfringentes », HARS 1756 (1762), Mém., pp. 380-437 [Télécharger] [1 avril 1761 (2)] [24 juillet 1739 (1)] [9 janvier 1750 (1)] [Plus].
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
  • Mém. : Partie Mémoires de HARS 17..
  • NDM : Note de moi, Olivier Courcelle.
Références
Courcelle (Olivier), « 1 juin 1761 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Daniel Bernoulli », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n1juin1761po1pf.html [Notice publiée le 5 février 2012].