13 octobre 1763 (1) : Clairaut écrit à Daniel Bernoulli :
Votre neveu [Jean III Bernoulli], mon cher ami a eu raison de vous mander que nous lui avions montré de l'amitié, ma petite compagne [Mlle Gouilly, cf. [c. juin] 1757 (2)] et moi, car nous l'avons vu avec le plus grand plaisir du monde. Premièrement parce qu'il vous appartient, ensuite parce qu'il est très aimable. Il a de l'esprit et de l'agrément, et il réussira sûrement partout comme il a fait ici. Je souhaite surtout qu'il plaise au roi de Prusse qui a promis à M. votre frère de le placer, et il me paraît très propre à s'insinuer dans l'esprit de ce prince pour peu qu'il ait occasion de s'entretenir avec lui. Et le petit Descartes a-t-il un tour d'esprit à plaire ? Ne m'avez-vous pas dit que je le verrais ici dans quelque temps. J'aurai encore plus de plaisir à le voir par la relation plus immédiate qu'il a avec vous. Quel nom porte-t-il et quel est son état. J'oubliais de vous dire à propos du premier, que la thèse sur la falcidie [(Bernoulli 63)] m'a paru ingénieuse et que j'en ferai paraître un extrait dans le Journal des sçavans [janvier 1764, pp. 26-30]. Je suis fâché que le cornet de M. de La Condamine n'ait pas mieux réussi avec votre sourd [cf. 28 juillet 1763 (1)], mais il n'y a pas mieux à faire jusqu'à présent. Au reste c'est une petit ridicule que celui de le porter, et M. de La Condamine ne se serait point fait moquer de lui s'il n'avait eu trop de curiosité dans les rues. Il faut faire des questions dans des maisons particulières et non dans des lieux publics. Je ne sais où il est maintenant ce terrible homme-là, et s'il suit l'affaire de l'inoculation, non plus que ce qu'est devenu le mémoire du comte Teleky [Joseph (cf. 27 août 1763 (1)) Teleki] qu'il arrangeait. Il parait ici un petit ouvrage d'un provincial appelé Massé de la Radelière [(Massé de la Rudelière 63)], dans lequel d'Alembert est réfuté tant sur l'inoculation que sur le mémoire des probabilités. Je crois que l'auteur entend bien sa matière mais je n'ai que peu lu ce qu'il a fait. Sa conversation m'a paru d'un homme d'esprit et de savoir. Vous abandonnez votre mémoire de griefs contre M. d'Alembert [cf. 5 décembre 1762 (1)]. Il n'y a pas grand mal à cela, quoique je ne croie pas qu'il mérite cette modération. Mais on gagne toujours du repos à être de cette sagesse, et c'est une si bonne chose que le repos. Je n'ai pas bien saisi le sens de vos réflexions sur les iris des foyers des lentilles composées. L'épaisseur ne nuit pas autant que vous l'imaginez en cette occasion. L'objectif à 3 lentilles n'en est que plus dénué de couleurs quoique plus épais que les autres à 2 lentilles. S'il était aussi clair, et que l'on était aussi sûr de le bien centrer, il vaudrait mieux probablement] que l'objectif auquel nous nous en sommes tenus M. de L'Estang [de Létang, cf. Létang] et moi. Mais la difficulté d'exécuter exactement 6 surfaces, doit faire abandonner cette méthode. J'ai reçu [ ! cf. 18 octobre 1763 (1)] une lettre de M. Euler où il paraît extrêmement engoué de ce qu'il a fait sur la nouvelle branche d'optique que ces lunettes ont produit, ou plutôt sur l'optique en général, car il ne parait pas du tout adopter les objectifs de deux matières différentes. Ses idées qui sont répandues dans les Mém[oires] de Berlin auxquelles il me renvoie sont si peu claires que je ne puis me résoudre à les suivre. Mais par les doutes qu'il a sur l'effet du cristal d'Angleterre et par l'espérance qu'il a de s'en passer, je le crois bien loin du but. Premièrement il s'imagine que c'est du verre verdâtre (ou brown glass [crown-glass]) qu'est dû tout le succès de Dollond, et en cela il est bien dans l'erreur car nous n'en employons point ici et nos lunettes sont excellentes. Il s'imagine que ce crown-glass est si vert qu'il ne laisse passer qu'une sorte de rayons et qu'on n'a par conséquent qu'un foyer qui est celui des rayons verts. Cela est faux à tous les égards, car ce verre est très peu coloré, ce n'est qu'avec une épaisseur considérable qu'il paraît vert, mais coloré ou non il donne un spectre composé de toutes les couleurs comme tous les verres du monde. Tout ce qu'il y a, c'est que M. Dollond prétend que les réfrangibilités y sont un peu moins étendues que dans le verre ordinaire. J'en doute, ou du moins ce n'est que de si peu de choses que ce n'est pas la peine d'en parler. C'est la grande hauteur du spectre donné par le cristal d'Angleterre ou flint-glass qui fait tout ce mystère, et il est certain que celui là est de moitié en sus plus grand que le spectre ordinaire. Dans le strass il est double. Lorsque M. de l'Estang [de Létang] sera un peu plus libre qu'il n'est, je l'engagerai à décrire les précautions que demandent les nouvelles lunettes. En général, c'est de bien atteindre aux dimensions données, de bien centrer les deux verres, et de mettre entre eux un petit anneau de papier mince pour empêcher les anneaux colorés qui viendraient du contact immédiat. La Connaissance des temps de 1764 a paru depuis du temps. Je demanderai à M. de Mairan pourquoi il ne l'a pas envoyé chez M. Savoye, et je lui dirai d'ailleurs tout ce que vous me chargez de lui dire de votre part. Voilà mon cher ami tout ce que j'ai à vous dire pour le présent sur les articles dont vous me parlez. Je pourrais m'étendre davantage une autre fois sur ce qui peut-être utile à votre ami de Mulhausen. En attendant, je vous embrasse de tout mon cœur aussi que ma petite compagne [Mlle Gouilly, cf. [c. juin] 1757 (2)]. Mille choses, je vous supplie, à M. votre frère. J'ai son portrait ainsi que le vôtre fait par un de vos compatriotes qui ne sait pas dessiner, mais qui a un talent singulier pour les ressemblances. J'ai été charmé d'avoir votre portrait. [Adresse] Suisse / À Monsieur / Monsieur Daniel Bernoulli / des académies des sciences de France, d'Angleterre, / de Russie et de Prusse etc / À Basle (Boncompagni 94b).
Clairaut répond à une lettre perdue de Daniel Bernoulli. Il lui avait déjà écrit le 28 juillet (cf. 28 juillet 1763 (1)). La réponse de Daniel Bernoulli est perdue. Clairaut réécrit à Daniel Bernoulli le 27 décembre (cf. 27 décembre 1763 (1)).
Références
Bernoulli (Jean III), Specimen inaugurale de legis falcidiæ beneficio, Basileensis, 1763 [19 novembre 1755 (1)] [Plus].
Boncompagni (prince Baldassarre de), « Lettere di Alessio Claudio Clairaut », Atti dell'Accademia Pontifica dei Nuovi Lincei, 45 (1894) 233-291 [12 août 1732 (1)] [1 octobre 1732 (1)] [Plus].
Massé de la Rudelière (), Défense de la doctrine des combinaisons, et réfutation du dixième mémoire des Opuscules de M. d'Alembert, Paris, 1763 [19 novembre 1755 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 13 octobre 1763 (1) : Clairaut écrit à Daniel Bernoulli », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n13octobre1763po1pf.html [Notice publiée le 4 février 2012].