Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


[c. 1 février] 1760 : Les sœurs Planström : factum Pelletot :
Mémoire pour Messire Anne Potier de Sévis, chevalier, seigneur de Pelletot, ancien mousquetaire de la garde du Roi, appelant et demandeur contre demoiselle Élisabeth Planstrom son épouse, intimée et défenderesse

Lorsqu'une femme a une fois rompu les nœuds de l'union conjugale, il n'est plus d'extrémité auxquelles elle ne se porte ; le temps, loin d'affaiblir sa vengeance, ne fait qu'en multiplier les objets : déjà vaincue, elle trouve de nouvelles armes encore ; nouveau Protée, elle se reproduit sous toutes les formes pour persécuter son mari.

C'est ainsi que la dame de Pelletot, après avoir allumé dans l'intérieur de sa maison les flambeaux de la discorde ; après s'être portée dans le public aux éclats les plus scandaleux ; après avoir succombé dans une demande de séparation d'habitation, s'est encore ménagé une dernière ressource dans un demande en séparation de biens.

Jusqu'ici le sieur de Pelletot, se respectant lui-même, après avoir étouffé ses plaintes, dévoré ses douleurs, et fait à son amour pour la paix et la concorde mille sacrifices différents ; mais c'est pour la troisième fois que sa femme le traduit devant les tribunaux : il se trahirait donc par un silence plus long, et il est temps qu'il développe toute la conduite qu'elle a tenue à son égard ; qu'il mette enfin les magistrats et le public en état de décider entre elle et lui.

Quoi que la sentence dont est appel, semble d'abord n'embrasser qu'une demande provisoire, puisqu'elle ne prononce rien sur la demande en séparations de biens, néanmoins le sieur de Pelletot a osé conclure à l'évocation du principal : il espère que la cour touchée de ses malheurs, voudra bien le sortir d'affaires par un seul et même jugement définitif, et lui rendre enfin cette tranquillité qu'il a toujours cherchée en vain depuis son mariage avec la demoiselle Planström.

La contestation d'entre les parties, envisagée sous ce point de vue, présente donc trois objets à juger : une demande en séparation de biens ; la nullité d'une séparation d'habitation volontaire ; enfin l'appel d'une sentence, qui ordonne l'exécution de cette séparation, quoique la nullité en ait été demandée par l'une des parties, et confirmée par l'autre.

La demande en séparation de biens est non recevable, car la dame de Pelletot, loin d'imputer à son mari des faits de dissipation, prétend au contraire que ses revenus se sont accrus de plus de moitié.

La nullité de la séparation volontaire est de droit ; elle est contraire à l'honnêteté et aux bonnes mœurs ; elle résiste à tous les principes.

Le mal jugé de la sentence est évident, puisqu'elle renverse l'ordre public, qu'elle conduit une femme audacieuse à l'indépendance, qu'elle ouvre enfin aux époux pour se désunir une route proscrite par les lois.

Ces idées vont être développées par le vu et par le récit des faits, et l'exposition des moyens.

Faits

La demoiselle Élisabeth Planström est née sur les confins du royaume de Suède vers la Laponie. Sa naissance n'est point connue du sieur de Pelletot ; l'éloignement des lieux ne lui a pas permis de vérifier les faits ; et il aime mieux l'en croire, que d'avilir lui-même ses liens, en portant trop loin sa curiosité.

Les sieurs Clairaut et Maupertuis, membres de l'Académie des sciences, ayant été envoyés dans ces régions pour y faire quelques observations physiques, y connurent la demoiselle Planström et sa sœur aînée ; ils les amenèrent toutes deux en France.

Elles y furent accueillies par la religion, qui leur ouvrit son sanctuaire ; elles abjurèrent les erreurs de Luther dans lesquelles elles avaient été nourries [cf. 15 mai 1740 (1)], et obtinrent la pension de 300 liv[res] que la piété et la munificence de nos rois ont attachées aux nouvelles conversions [le 26 juin 1739, cf. [c. 1 avril 1780], 1 avril 1780 (1), 1 avril 1780 (2)].

La demoiselle de Planström l'aînée, se retira à l'abbaye du Trésor, où elle a toujours vécu et vit encore dans un état d'indigence et de pauvreté, ce qui se prouve par une lettre écrite par madame de Richelieu, abbesse de ce couvent, et qui est produite.

La dame de Pelletot entra au service de la duchesse d'Aiguillon, en qualité de femme de chambre, aux gages de cent cinquante livres par an : c'est là que le sieur de Pelletot la vit pour la première fois.

Il était veuf alors, et avait trois enfants de son premier mariage avec demoiselle Espérance Marie Bouvet Duparc, veuve du marquis de Caraccioli. C'était pour lui une charge considérable, car il était peu accommodé des biens de la fortune. On le séduisit donc par des promesses flatteuses ; on lui fit entendre que l'on avait pour la demoiselle Planström le plus grand attachement, la plus haute considération ; que s'il l'épousait, ce mariage lui ouvrirait la route des honneurs, le canal des grâces, et qu'on lui obtiendrait à lui et à ses enfants des postes considérables à l'armée. En fallait-il davantage pour enflammer le cœur d'un gentilhomme, toujours avide de gloire, et qui brûlait de se rendre utile au service du Roi et de la patrie : il se laissa donc persuader. Ces promesses tinrent lieu de dot à la demoiselle de Planström, et le sieur de Pelletot l'épousa [cf. 10 décembre [1745]].

Leur contrat de mariage est du 23 novembre 1745 (cf. 23 novembre 1745 (2)). Une main prévenue et précipitée le dirigea. On n'y a point déclaré que le sieur de Pelletot fût veuf ; on y présenta la demoiselle Planström, comme fille majeure de père et mère décédées, quoique sa mère fût encore vivante alors.

Si le notaire se trompa sur l'existence de la mère de la demoiselle de Planström, il fut plus attentif sur ses intérêts. Il stipula en sa faveur un droit de communauté, quoique le sieur de Pelletot fût domicilié dans une coutume qui le prohibe.

On lui fit reconnaître qu'elle lui apportait en dot une somme de cinquante mille livres savoir, 38 400 livres en 1 600 louis d'or, comptés et délivrés, et 11 600 liv[res] en meubles, habits, linge, hardes, bijoux et vaisselles d'argent.

De cette somme de 50 000 livres, 10 000 doivent entrer en communauté ; les quarante mille liv[res] restantes demeurent propres à la future et aux siens de son côté et lignée : sur quoi il est essentiel d'observer qu'on ne stipule point d'emploi de la somme ; ce qu'on n'eût pas sans doute oublié si cette dot eût été réelle.

On accorde un douaire de 2 000 livres de rente à la demoiselle Planström, au survivant un préciput de 10 000 livres, enfin ce contrat finit par une donation réciproque de 50 000 livres à prendre sur les acquêts et propres qui se trouveront appartenir aux époux le jour de leur décès.

Par conséquent, si le sieur de Pelletot décède le premier, la dame son épouse se trouve créancière de sa succession de 50 000 liv[res] de dot qu'elle n'a point apportée, donataire particulière de 50 000 liv[res], douairière de deux mille livres de rente ; elle prend 10 000 liv[res] à titre de préciput : en un mot ses avantages montent à 150 000 liv[res] et le sieur de Pelletot n'avait pas alors 2 000 liv[res] de rente.

C'est ainsi que si l'édit des secondes noces ne réprouvait pas ces énormes dispositions, on aurait trouvé le secret de faire vendre au sieur de Pelletot pour des promesses frivoles, la substance et le patrimoine véritable de ses enfants.

De ce contrat de mariage, la dame de Pelletot veut tirer deux avantages. Elle prétend d'abord méconnaître le premier mariage de son mari, parce qu'il n'était point énoncé dans ce contrat qu'il était veuf. Marâtre aussi cruelle que femme ingrate et rebelle, elle menace d'attaquer la légitimité de ses enfants, et de leur contester leur état. Cependant elle ne s'est point encore portée jusqu'à cet éclat ; elle est contenue sans doute, parce qu'elle ne peut ignorer que cette erreur, qui est du fait du notaire, et non du sieur de Pelletot, a été réparée ; que les bans du sieur Pelletot ont été publiés avec la qualité de veuf, et que l'acte de leur mariage en fait une mention expresse. La dame de Pelletot a donc d'autant plus mauvaise grâce de prendre avantage de cette erreur, qu'elle même a été annoncée dans ce contrat de mariage, dressé hors de la présence des parties, comme fille de père et mère décédés, quoi qu'elle eût encore sa mère alors, ainsi qu'il résulte d'une apostille mis en bas d'une lettre, qu'elle écrit en 1749 à une de ses amies à Stockholm : « Dites à ma mère, lui écrit-elle, de ne me plus parler de la religion catholique ; tous ces écrits sur la religion n'ont servi qu'à tourner la tête à ma sœur. »

Il est donc sensible que si le contrat de mariage des sieur et dame de Pelletot a erré sur leurs qualités, ces erreurs n'ont point été l'ouvrage de la fraude et de la collusion ; et que les enfants du premier mariage étaient connus de la demoiselle de Planström. N'est-il donc pas révoltant qu'elle ose aujourd'hui élever des nuages sur la légitimité de leur naissance, et les menacer de contester leur état.

Le second avantage qu'elle prétend tirer de ce contrat de mariage est de persuader qu'elle a effectivement apporté 50 000 liv[res] de dot à son mari. Mais l'illusion se dissipe d'elle-même. Lorsque la demoiselle de Planström dit qu'elle apporte cette fortune de son pays, qu'elle la tient de la générosité de ses pères, son imposture est dévoilée par l'état d'indigence et de pauvreté dans lequel sa sœur a toujours langui depuis son arrivée en France. Par quelle prédilection singulière, leur père injuste eut-il prodigué toutes ses richesses à la dame de Pelletot, pour précipiter sa sœur aînée dans une misère plus profonde ?

D'ailleurs si la demoiselle de Planström eût eu cinquante mille livres de la libéralité de ses pères, se fut-elle réduite à l'état de domesticité ? Eut-elle appris à friser ? Eut-elle accepté des gages de 150 liv[res] chez madame la duchesse d'Aiguillon ?

Elle ne prétendra pas sans doute qu'elle ait amassé ces 50 000 liv[res] au service ? La preuve du contraire est complète dans un mémoire donné au sieur de Pelletot quelques jours après ses noces, par un sieur Noël alors intendant de la maison d'Aiguillon. Il est donc nécessaire de le transcrire ici.

Mademoiselle Planström est entrée femme de chambre à madame la duchesse d'Aiguillon le 21 septembre 1739 à raison de 150 liv[res] de gages, elle a servi six ans deux mois et demi, ci 931 liv[res] 10 sols. Elle a reçu le 10 mars 1740 24 liv[res]. Différents paiements qui lui ont été faits depuis 1740, jusqu'en 1745. Déboursés au sujet de son mariage, fiacres, etc., 5 liv[res] 7 sols. À Lavau friseur, pour l'apprentissage de mademoiselle Planström, 60 liv[res]. À M. du Chapt pour marchandises de modes qu'il a fournies pour son mariage, 100 liv[res]. À M. Bauvin, marchand de toile, pour un mémoire réduit à 260 liv[res]. M. de la Cour, maître à Danfer [total] 611 liv[res] 3 sols. Madame la duchesse est dans l'intention d'employer le surplus pour procurer à la sœur de Madame de Pelletot ce dont elle peut avoir besoin.

Ce mémoire nous apprend donc que la dame de Pelletot n'a eu aucune récompense de ses services, qu'elle n'a pas même été payée du reliquat de ses gages, qu'on lui a diminué jusques aux courses de fiacre que l'on avait fait pour elle. Il est donc certain qu'elle ne s'est pas enrichie au service ; il doit donc demeurer pour constant qu'elle n'a rien apporté en dot à son mari.

Aussi trouve-t-on l'aveu de ce fait important dans les lettres mêmes de la dame de Pelletot. À peine son mariage eut-il été conclu que les promesses qu'on leur avait faites furent oubliées. Aucun avancement pour son mari ni ses enfants, point de poste à l'armée, même médiocrité de fortune et des charges plus considérables. La demoiselle Planström en fut la première pénétrée, et le 5 août 1749, elle s'exprimait ainsi en écrivant à Stockholm à une de ses amies : « Ma sœur est toujours dans la même situation des plus tristes, je suis bien à plaindre ; Dieu afflige toujours ceux qu'il aime. Vous savez, Madame, que cette dame qui a toujours pris soin de moi, qui m'avait fait espérer tous les bonheurs du monde, ayant promis à mon mari des avantages, qu'il était naturel que cela fût ainsi, nous ayant manqué de parole, cela m'a causé beaucoup de chagrin... Je souffre tout cela avec beaucoup de patience, mais Dieu ne laisse rien d'impuni... Tout ce que je puis vous dire c'est que je dois tout mon bonheur au bon cœur de M. de Pelletot, etc. »

Voilà donc en 1749, la dame de Pelletot qui avoue dans la vérité de son cœur à une de ses amies que « c'est au bon cœur de son mari qu'elle doit tout son bonheur, qu'elle est dans une situation à plaindre », parce que la dame qui avait pris soin d'elle, qui lui avait tout promis, lui a manqué de parole. Que cet aveu devient précieux au sieur de Pelletot dans les circonstances de la cause ? Il prouve à la fois que son épouse ne lui a apporté aucune dot, aucun patrimoine, aucun bien ; qu'il ne l'a épousée que sur les promesse flatteuses et multipliées d'une protection alors toute puissante ; enfin que ces promesses ayant manqué, ces deux époux se trouvaient dans l'état le plus triste, c'est-à-dire que leur fortune était des plus médiocres ; le sieur de Pelletot ne donc être accusé de dissipation par son épouse, puisqu'il jouit aujourd'hui d'une fortune plus considérable.

Mais reprenons l'ordre des faits.

Lorsque la dame de Pelletot écrivait à son amie qu'elle était à plaindre, elle avait quelque raison. Elle l'eut été moins avec plus de modestie. Mais elle était née avec un goût décidé pour le luxe et la dépense. Chaque jour lui inspirait de nouveaux goûts. Elle voulait impérieusement satisfaire tous ses caprices. Les promesses brillantes qu'on lui avait faites s'étaient évanouies. La fortune de son mari était trop médiocre pour soutenir son faste et fournir à ses dissipations continuelles. Elle se dégoûta du monde où elle ne pouvait paraître avec éclat. Elle crût qu'elle trouverait plus de contentement et de satisfaction dans un cloître, où la vanité sommeille, parce qu'on y connaît moins l'ambition. Elle se retira dans l'abbaye de Jarcy. Elle en connaissait l'abbesse.

Cette retraite ne fut point occasionnée par des chagrins domestiques. On en trouve la preuve dans les lettres qu'elle écrivait alors à son mari. Dans une première, elle lui écrit : « Mon cher mari, rien ne peut égaler la douleur que j'ai ressentie de notre cruelle séparation, j'ai cru m'apercevoir que vous y étiez aussi sensible que moi, etc. ». Dans une deuxième du 26 juillet 1749, elle dit : « Mon cher mari, si vous pouviez fouiller dans mon cœur, vous ne me jugeriez pas si facilement coupable de la plus noire ingratitude, elle sera toute ma vie contraire à mes sentiments, mais je connais toute l'étendue de votre bon cœur, et ce que vous avez fait pour moi... » Enfin le 13 mai 1751, elle écrit encore à son mari dans un de ces quarts d'heure où la conscience pressée par la religion se développe et s'avoue coupable d'elle-même : « Mon cher mari, n'ayant rien plus à cœur que de me réconcilier avec Dieu, et par mes regrets d'obtenir le pardon de mes fautes envers Dieu, ainsi qu'envers vous, je vous prie de me pardonner tout ce que j'ai pu vous occasionner de peines, par mon peu de patience, par mon emportement, par mon peu de soumission, par toutes les paroles dures que j'ai pu vous dire et à votre sujet. Je suis persuadé mon fils que vous êtes trop chrétien pour ne pas vous persuader que mon emportement y a eu plus de part que mon mauvais cœur. J'espère, mon cher mari, que vous voudrez bien oublier tout cela pour jamais, puisque le Ciel nous a lié ensemble, que nos cœurs et nos pensées soient sans déguisements. Aimons toujours, y compris vos chers enfants (elle les connaissait donc alors), dans la paix et la charité afin d'attirer la bénédiction du Ciel sur nous. »

La dame de Pelletot voulait flatter son mari par ces sentiments étudiés. Elle s'enveloppait du manteau de la religion pour mieux le tromper, car rien n'était plus hypocrite que cette lettre ; l'ennui du couvent l'avait dictée, et elle songeait déjà au moyen d'en sortir, elle sollicita même peu de temps après son mari de l'en retirer.

Le sieur de Pelletot qu'elle avait accoutumé depuis son mariage à ces traits de légèreté ne sut qu'obéir. Il la conduisit lui-même à Argenton en Berry, chez un sieur de Vilennes, homme qui avait une maison honorable, il y resta quelque temps avec elle, mais ses affaires l'ayant rappelé, il régla sa pension, lui fixa une somme de 400 livres pour ses menus plaisirs, et revint à Paris.

La maison du sieur de Vilennes ne fut point un exil pour la dame de Pelletot ; on en tire la preuve de plusieurs lettres qu'elle écrivit à son mari, pendant son séjour à Argenton, et d'une quittance qu'elle lui donna le 12 mai 1752, en voici les termes : « Je reconnais que M. de Pelletot mon mari m'a payé ce jourd'hui la somme de 100 livres pour trois mois de pension qu'il a bien voulu me donner tous les ans pour mes menus plaisirs, et dont je suis contente, comme de rester en pension chez M. et Mme de Vilennes et toute leur aimable famille, soit en leur maison d'Argenton, ou dans leurs terres tant qu'ils l'auront pour agréable ; l'ayant prié de vouloir bien me mettre chez eux, comme dans une maison respectable que j'affectionne, dont je le remercie. Fait au château de Vilennes, ce 28 mai 1752. »

Il est donc sensible que cet asile fut du choix de la dame de Pelletot, qu'elle était contente d'y habiter, et qu'en l'y conduisant son mari n'avait fait qu'obéir à sa volonté. Aussi dans toutes ses lettres fait-elle les plus grands éloges de la maison du sieur de Vilennes. Le 9 juin 1752, elle écrit : « M. et Mme de Vilennes ainsi que toute leur aimable famille me comblent de politesses et d'attentions, n'oubliant rien pour me procurer tous les plaisirs... Je n'ai pas besoin d'aller chercher de la société ailleurs, je trouve les bons cœurs et les bons caractères à la maison... Pensez quelquefois à celle qui demeure toute sa vie avec un inviolable attachement, mon cher cœur, votre affectionnée femme et très fidèles amie, qui ne désire vivre que pour vous donner en toute occasion les plus tendres marques de ma reconnaissance. »

Le 22 juillet de la même année, elle écrit encore en parlant des sieur et dame de Vilennes : « Ils sont toujours les mêmes pour les bons cœurs et le caractère... Je ne voudrais pas actuellement changer mon sort pour toutes les richesses du monde ; soyez persuadé que je m'estimerais très heureuse de passer le reste de mes jours avec vous dans leur aimable maison. Je n'ai pas besoin de vous réitérer que l'honneur et la probité est leur partage. »

Elle répète encore les mêmes sentiments dans une lettre datée du 11 août suivant. Voilà donc une femme enchantée des sieur et dame de Vilennes. Elle n'a plus rien à désirer, elle ne changerait pas son sort pour toutes les richesses du monde, il ne lui manque que de partager avec son mari, avec cet époux pour lequel elle a le plus inviolable attachement, pour lequel seul elle désire de vivre, auquel elle donnera en toutes occasions les plus tendres marques de sa reconnaissance. Qui le croirait ? C'est dans ce séjour si délicieux pour elle, où elle attend, où elle appelle son époux, qu'elle rend une plainte contre lui. Le bailli d'Argenton la reçoit, elle contient les imputations les plus odieuses et les plus horribles.

La dame de Pelletot revient ensuite à Paris. Elle suit l'état de cette plainte, et forme contre son mari une demande en séparation d'habitation. Quel changement de scène pour un époux plein de tendresse pour sa femme, et qui en reçoit presque dans le même temps les témoignages les plus affectés de l'amour, et les coups les plus signalés de la haine ?

Le sieur de Pelletot ignorerait encore aujourd'hui ce qui a porté son épouse à un éclat aussi funeste, si elle n'avait pris soin de nous l'apprendre elle-même dans une lettre qu'elle écrivit le 4 août 1753 à la demoiselle de Vilennes : « Votre frère, lui dit-elle, est un homme fort altéré d'argent, qui serait capable de ruiner tous ceux qui auront le malheur de le connaître ; je ne crains point de vous faire cette avance, car c'est la pure vérité, et tout ce que mon mari a mandé à son sujet n'est que trop véritable. C'est lui qui a mis la désunion entre nous et qui est cause de tous les maux que nous parcourons l'un et l'autre. Il a reçu de moi dans deux mois trente louis qu'il dénie aujourd'hui... Dès en arrivant à Paris, il a commencé par se saisir de ma montre, ma bague, mon couvert d'argent et mon gobelet. Vous connaissez tous ces effets qu'il a mis en gage entre les mains des usuriers pour douze louis, il m'en a coûté pour deux mois 36 livres d'intérêts et 12 livres pour le commis qu'il a fallu employer pour les avoir après des peines infinies. Il a vendu ma chaise, malgré moi, dix louis ; je lui ai donné plus de huit louis sur ma pension... Il m'a fait faire une obligation chez un notaire qui se monte à sept cents livres. Il prétend que mon mari lui doit, après avoir maintes fois épuisé sa bourse ; il m'a encore fait faire d'autres billets qu'il n'a pas voulu me rendre après, comme celui qu'il m'a fait faire à Argenton, et dont vous avez été instruite... »

Voilà donc l'instrument des fausses démarches, des éclats scandaleux de la dame de Pelletot et de toutes les calomnies qu'elle a la hardiesse de débiter partout contre son mari, qu'elle traite de la manière la plus outrageante, c'est le sieur de Vilennes fils, officier réformé de l'infanterie ; c'est cet homme altéré d'argent qui s'empare de ses effets, qui les mets entre les mains des usuriers, qui lui fait faire des fausses obligations ; c'est par les conseils de cet homme qu'elle se gouverne ; c'est de lui qu'elle apprend à faire à son époux les plus sanglants outrages ; le sieur de Pelletot n'est-il pas déjà vengé par les aveux humiliants que la vérité arrache à sa femme ?

La justice le vengea bientôt aussi, sur la demande en séparation d'habitation que sa femme avait formée contre lui, elle y fut déclarée non recevable par sentence contradictoire du 6 septembre 1753.

Elle en interjeta appel en la cour, et c'est sur cet appel que le sieur de Pelletot eut la facilité de consentir, et comment ne pas consentir, comment reprendre dans ses bras une épouse ingrate, encore armée du poignard dont elle venait de le frapper ; il consentit donc une séparation volontaire quant à l'habitation seulement, l'acte en forme de transaction est du 25 septembre 1753 [cf. 25 septembre 1753 (1)].

Les clauses de cette transaction font que le procès sur la demande en séparation de biens et d'habitation demeurera éteint et assoupi.

Qu'il sera loisible à la dame de Pelletot de se retirer et demeurer où bon lui semblera, en en donnant toutefois avis huitaine après au sieur son mari.

Et pour la mettre en état de vivre et se procurer ce qu'elle pourra avoir besoin, le sieur de Pelletot lui abandonne et consent qu'elle reçoive sur ses simples quittances la pension annuelle de 300 liv[res] que lui fait Sa majesté à prendre sur le Trésor royal ; il s'oblige en outre de lui faire cinq cents livres de pension par chacun an, payables de trois mois en trois mois et par avance.

Enfin il s'engage à lui communiquer à l'avenir le quart dans les accroissements de revenus qui pourraient lui échoir, par succession, extinction d'usufruit, donation ou autrement, excepté dans la succession de la dame Thomas, sœur du sieur de Pelletot, qui était alors échue, et dans laquelle il consent de lui augmenter sa pension du tiers des revenus qui lui proviendront de cette succession.

Ces deux dernières conventions sont d'autant plus intéressantes dans la cause qu'elles ont sans doute donné lieu aux dispositions de la sentence dont est appel. Mais il n'est pas encore temps de se livrer aux discussions qu'elles entraînent, il faut suivre l'ordre des faits.

Cette transaction contient encore quelques autres conditions qui annoncent la bonté du cœur du sieur de Pelletot. Il s'oblige de faire rendre à sa femme différents meubles et effets qu'elle avait elle-même vendus ou engagés ; de faire annuler les billets et obligations que le sieur de Vilennes lui avait surpris, de lui donner des boucles d'oreilles de diamants fins, etc. Enfin il se charge de l'entretien de leur fils commun.

La dame de Pelletot, après cet accommodement, se retira chez la femme Huberland, veuve d'un perruquier : Mais elle se comporta avec si peu de décence dans cette maison, qu'elle se fit les querelles les plus vives avec son hôtesse.

Le sieur de Pelletot qui veillait toujours en mari tendre au bien être de son épouse, en fut informé, il s'en plaignit à la femme Huberland qui lui fit cette réponse le 27 août 1753 : « Monsieur, j'ai reçu l'honneur de la vôtre le 26 au soir... Je n'ai pas manqué d'envoyer votre lettre à M. Mechin ; à l'égard des plaintes que Madame vous a faites contre moi, je puis vous assurer que je ne lui en ai jamais donné l'occasion ; mais elle a réservé à me faire connaître son savoir-faire pour les trois derniers jours qu'elle a demeuré chez moi sur un prétexte inventé, disant que la servante espionnait qui allait chez elle. Elle a crié comme un taureau, de façon qu'elle a fait mettre tout le voisinage aux fenêtres. Elle a réitéré cette scène une seconde fois sans l'ombre de raison. Ennuyée de l'entendre, il est vrai que je lui ai dit qu'elle était folle et qu'elle sortait de son état, et pour vous dénouer cette histoire, c'est que je n'ai pas pu avoir la complaisance de garder sa femme de chambre en pension, parce qu'elle devenait trop puissante. Je l'ai priée de la faire rester dans son appartement après lui avoir fait représenter de tous sens que cela ne lui ferait point d'honneur... »

Lorsque la dame de Pelletot vit donc que la femme Huberland ne voulait point souffrir le libertinage et le mauvais commerce de sa femme de chambre, elle quitta sa maison, mais elle n'abandonna point pour cela la nommée Catain, elle lui loua des meubles, elle en prit soin pendant ses couches, et paya les frais de gésine, ainsi que cela est constaté par une quittance donnée à la dame de Pelletot le 7 septembre 1754, par la demoiselle Villemard, qui est sans doute sage-femme, et dont voici la teneur : « J'ai reçu de madame de Pelletot quarante-huit livres pour la couche de Marie-Euphrasine Catain. À Paris ce 7 septembre 1754. Signé, Villemard. »

C'est ici sans doute que le sieur de Pelletot devrait répondre à l'éloge que sa femme fait de sa conduite et de ses mœurs dans sa requête du 12 janvier : « La seule consolation qui me reste, dit-elle, dans l'amertume de mes peines et de mes misères, est que depuis 14 années de mariage, ma conduite a été tellement irréprochable que mon mari, malgré la haine et l'inimitié qu'il me porte, n'a jamais pu me faire le reproche le plus léger, lui qui cependant ne rougit pas de se dégrader au point d'annoncer son épouse, comme ayant été femme de chambre de madame la duchesse d'Aiguillon aux gages de 150 liv[res]. »

Cet aveu annonce bien moins la pureté des mœurs et de la bonne conduite dans la dame de Pelletot, que la douceur et la modération de son mari ; si jusques ici il n'a point exhalé ses plaintes au-dehors, c'est qu'il s'est respecté lui-même, maritus in uxoris pudore propriam injuriam pati intelligitur. Il a donc laissé parler les faits, et c'est la conduite qu'il tient encore aujourd'hui.

En quittant la maison de la veuve Huberland, la dame de Pelletot tint successivement différents domiciles ; elle se retira ensuite chez Me Mechin, avocat, qui avait été le conseil du sieur de Pelletot, qui avait assisté en cette qualité à la transaction du 29 [25 !] septembre, et avec lequel elle a toujours habité depuis, jusques au premier juillet de l'année dernière.

Le sieur de Pelletot de son côté fut rappelé dans sa province par quelques affaires. Ce fut pendant ce voyage qu'il eût le malheur de perdre son fils, le seul fruit de son union avec la demoiselle de Planström. On ne rappelle cette perte que pour détruire l'imputation que sa femme lui fait d'avoir laissé périr cet enfant de misères et de nécessités, et d'avoir conçu le projet cruel de faire subir le même sort à sa mère. On ne la réfutera que par ses propres lettres.

Le premier janvier 1755, elle écrit au sieur de Pelletot : « Mon cher mari, je me suis flattée de vous avoir ici ces fêtes... il n'y a que vous dans tout l'univers qui pût un peu adoucir ma peine... perte irréparable... Si mon fils eût été auprès de moi, il ne serait point mort. Ils m'ont averti quand il n'était plus temps d'y remédier. Par leur avarice, ils ont égorgé notre enfant chéri. Il disait à tous ceux qui ont voulu l'entendre qu'il ne voulait plus jamais retourner dans sa pension. »

Ce n'était donc pas alors le sieur de Pelletot que sa femme accusait de la mort de son fils. Elle en fait tomber le reproche sur l'avarice des gens chez qui il était en pension. Elle reconnaît que cet enfant n'était pas moins cher au sieur de Pelletot qu'à elle-même, notre enfant chéri. Elle avoue qu'il n'y a que son mari qui puisse adoucir sa peine ; eut-elle tenu ce langage si elle n'eût vu dans cet époux que le meurtrier de son fils ? Combien de réflexions n'offriraient point ici l'impudence et la noirceur de la demoiselle Planström, mais le sieur de Pelletot ne veut présenter que des faits.

À peine fut-il de retour à Paris qu'il reçut le 10 février 1755 une lettre de son épouse trop importante pour être passée sous silence : « Mon cher mari, lui écrit-elle, des esprits mal intentionnés m'ayant mis par leur mauvais conseils dans le cas de vous faire, avec bien de l'injustice et contre ma propre inclination, toute la peine que j'aurais pu, ce qui m'a exposé à perdre toute l'amitié et les bontés que vous n'avez cessé d'avoir pour moi, en oubliant que je vous suis redevable de toute ma fortune... J'ai trop lieu de me louer de votre façon d'agir pour moi, et de vous être porté à vouloir bien transiger ensemble de bonne amitié, oubliant la peine que j'avais cherché à vous faire, ce que je ne méritais pas de votre part, et dont je suis très satisfaite... J'ai fait mon cher mari pendant votre séjour en province quelques dettes qui m'inquiètent, où j'ai besoin de vos secours si vous êtes en état de pouvoir me faire ce plaisir. Je sais que vous n'êtes en aucune manière obligé de les acquitter, et que vos facultés ne vous permettent pas de faire pareilles dépenses auxquelles vous ne pourriez absolument résister, si je vous y exposais d'avantage. Je vous assure que je n'abuserais plus de votre bon cœur, et que ma reconnaissance pour tout ce que vous avez fait pour moi, ainsi que pour ma fortune ne s'effacera jamais de mon cœur, étant, etc. »

Au dos de cette lettre est écrit : État des dettes que j'ai à payer, et des différents effets qui m'appartiennent, que je prie mon mari de vouloir bien retirer. Savoir :
Je dois au sieur Lequien, marchand orfèvre sur le quai Pelletier 248 liv[res], les 48 livres n'étant que pour l'intérêt que ledit Lequien a exigé de moi, et ledit sieur Lequien a gardé entre ses mains depuis le... octobre 1753, les effets ci-après qui m'appartiennent, savoir, un grand gobelet à pied godronner d'argent doré beau comme neuf ; une grande boite à quatre pieds bombée et façonnée, ayant son couvercle et sa charnière, le tout d'argent et armoirie ; une montre neuve à boîte d'or de Paris ciselée et à figures, ladite montre de la façon de M. Le Roy horloger, avec un cachet d'or, une pierre de cornaline fine ; un petit œuf d'ambre aussi garni en or ; et une chaîne en similor, neuve et bien dorée ; il a tous lesdits effets en gage pour 200 liv[res] qu'il m'a prêtées, et 48 livres qu'il a exigé et prétendu pour les intérêts.
Je dois à la dame Catain, faubourg S[ain]t Martin, 48 liv[res] 16 sols d'une part, et 12 liv[res] de l'autre pour argent prêté. La demoiselle Catain a entre ses mains mon couvert d'argent armorié.
Je dois à mademoiselle Retoré, rue Galande, deux louis d'or pour argent prêté, et elle a entre ses mains ma petite tabatière garnie en or.
Je dois à madame Fromageau, mon hôtesse, pour loyer des termes de Noël dernier et de Pâques prochain 75 livres.
Je dois au sieur Fournier le cadet, montage Sainte-Geneviève, pour loyer depuis le 16 de juillet 1754 [manque la somme].
Je dois à madame Richer boulangère 18 liv[res].
Je dois au sieur Fevre épicier 24 liv[res].

Arrêtons-nous un instant sur ces deux pièces pour faire sentir tout le ridicule de la demande en séparation de biens formée par la dame de Pelletot.

Quelles expressions de reconnaissance dans sa lettre pour les bienfaits de son mari. Elle lui doit tout, il a tout fait pour elle, elle lui est redevable de toute sa fortune, elle n'en perdra jamais le souvenir ? Mais si cela est, elle n'a donc pas apporté à son mari une dot opulente de 50 000 liv[res]. Cette dot n'est donc qu'idéale et chimérique, de quel front ose-t-elle en demander aujourd'hui la restitution ?

Elle convient que les facultés de son mari ne lui permettent pas de faire de pareilles dépenses que celles auxquelles elle l'expose, qu'il ne pourrait y résister si elle l'y exposait davantage. La fortune de son mari était donc alors bornée. Elle en connaissait la médiocrité, l'insuffisance pour ses dissipations. Son mari n'est donc pas le dissipateur ?

Quelle singularité, en effet, de voir la demoiselle Planström accuser son époux de dissipations, réclamer sa dot prétendue, former une demande en séparation de biens ; elle, dont les effets sont sans cesse entre les mains des usuriers, qui paye 48 liv[res] d'intérêts pour un principal de 200 liv[res], qui se laisse surprendre de fausses obligations, qui se dépouille toute entière pour un étranger, enfin qui crée tous les jours quelques dettes nouvelles. Le contraste de cette conduite avec sa demande n'est-il pas révoltant ?

Les esprits mal intentionnés, les mauvais conseils dont parle la dame de Pelletot dans sa lettre du 10 février 1755 reprirent bientôt sur elle tout leur empire. Le 17 [du même mois] de la même année, elle fit assigner son mari au Châtelet pour être condamné à lui payer deux mille livres de pension pour ses nourriture, subsistance et entretien, à lui fournir les meubles et effets nécessaires et convenables à son état, et à lui remettre les mêmes effets qu'elle avait mis en gage.

Le sieur de Pelletot, toujours conduit par un esprit de douceur et de paix, consentit une sentence le 20 septembre 1755, par laquelle il se fit condamner à payer à la dame son épouse 700 liv[res] de pension, au lieu des 500 livres énoncés en la transaction. Le prétexte de cette augmentation fut l'accroissement des revenus qui étaient échus au sieur de Pelletot par la succession de la dame Thomas sa sœur. Quoi que le sieur de Pelletot n'en eût pas retiré plus de 150 liv[res] de rente et qu'il n'en eût promis que le tiers à sa femme par la transaction du 25 septembre 1753 [cf. 25 septembre 1753 (1)], néanmoins il fit les plus grands efforts, et il augmenta sa pension de 200 liv[res].

Après tant de bontés, le sieur de Pelletot ne devait-il pas s'attendre qu'il en goûterait les fruits et que son épouse lui rendrait enfin cette heureuse tranquillité qu'elle se plaît à lui ravir. Il payait sa pension avec la plus grande exactitude. Il remplissait toutes les conventions de la transaction avec une délicatesse qui allait jusques au scrupule, toutes les quittances qu'il produit en font foi. Cependant il a eu la douleur de se voir assaillir de nouveau par cette épouse ingrate.

Le 8 juillet 1758, elle le fit assigner au Châtelet pour voir dire que sans s'arrêter à l'acte du 25 septembre 1753, qui sera déclaré nul, et en conséquence de la renonciation par elle faite à la communauté de biens d'entre elle et son mari, elle sera et demeurera séparée de biens pour jouir à part et divis de ceux qui lui appartiennent, en conséquence se voir condamner à lui restituer la somme de 50 000 liv[res] qu'elle lui a apportée en dot avec les intérêts, à compte du jour de la demande.

Cette assignation est donnée en vertu d'une ordonnance apposée au bas d'une requête du même jour, dans laquelle elle impute en général des faits de dissipation à son mari sans en spécifier, sans en articuler aucun.

Bientôt après, en vertu de la même ordonnance, elle fit saisir et arrêter tous les revenus de son mari, tant à Paris qu'en la province de Normandie.

Satisfaite de ces premiers essais, elle laissa languir sa demande jusques au 12 juin 1759, qu'elle se présenta sous une nouvelle face. Elle donna une requête dans laquelle elle conclut, à ce que son mari soit tenu de lui payer par provision une somme de 2 500 livres et qu'où il y aurait difficulté de lui adjuger sa demande en séparation de biens et en provision, en ce cas attendu qu'elle doit vivre suivant son rang et sa qualité, et que depuis l'acte du 25 septembre 1753, l'usufruit dont la terre de Pelletot était chargée est éteint, ce qui fait à son mari une augmentation de revenu de 1 500 liv[res] par an, qu'il a en outre recueilli la succession de la dame Thomas sa sœur, et que ces deux objets font une augmentation de plus de moitié de sa fortune, il soit ordonné que, par provision et dès à présent, l'acte en forme de transaction du 25 septembre 1753, et la sentence du 20 décembre [septembre ?] 1755 seront exécutées, en conséquence, qu'outre la pension de 700 liv[res] que le sieur de Pelletot lui fait conformément à cette transaction et à cette sentence, il soit condamner à lui payer en outre le quart de l'augmentation de son revenu qui, relativement à la cessation de l'usufruit de 1 500 livres par an sur la terre de Pelletot, sera fixé à la somme de 375 liv[res] par an, et à la somme de 200 liv[res] aussi par an pour le tiers dans le revenu de la succession de la dame Thomas.

Voilà donc dans la même cause deux demandes absolument contradictoires ; la première fondée sur la dissipation du mari et le dépérissement de sa fortune, la seconde sur l'opulence de ce même mari et sur l'accroissement de ses revenus ? Dans la première on conclut à la nullité de la transaction ; dans la seconde on demande que l'exécution en soit ordonnée ; quelle contradiction ! Aussi naît-il de cette seconde demande une fin de non recevoir si forte contre la première, qu'il est sensible que cette demande en séparation de biens, hasardée dans l'espoir d'un accommodement plus avantageux, n'est susceptible d'aucune instruction. Il est inutile de procéder à une enquête. La dame de Pelletot le dit elle-même, depuis la transaction les revenus de son mari se sont accrus de plus de moitié, sa dot prétendue est donc en sûreté, elle est donc non recevable.

Il n'est pas même possible qu'elle ait formé sérieusement cette demande. Elle avait tant de fois éprouvé la facilité de son mari, elle a cru qu'en multipliant ses attaques, elle multiplierait ses victoires, mais l'illusion s'est dissipée aux yeux du sieur de Pelletot. Il a senti que tant que sa femme vivrait éloigné de lui, elle serait livrée à ces esprits mal intentionnés, ennemis de leur repos commun, qui sont les auteurs de leur désunion, et qu'elle peint avec tant de force dans sa lettre du 10 février 1755. En conséquence par requête du 11 août 1759, il demande acte de ce qu'il consentait que la transaction passée entre lui et sa femme le 25 septembre 1753 fut déclarée nulle, ce faisant que sans s'arrêter à la demande de séparation de biens formée par son épouse, et à toutes ses autres demandes dans lesquelles elle serait déclarée non recevable, ou dont elle serait déboutée, elle fût tenue de rentrer dans sa maison aux offres qu'il faisait de la traiter maritalement, sinon qu'elle serait tenue de se retirer dans un couvent aux offres qu'il fait de lui continuer une pension annuelle de 700 livres, outre les 300 livres de pension du Roi qu'elle continuerait de toucher sur ses simples quittances.

Ainsi trois demandes dans la cause : une principale formée à la requête de la dame de Pelletot, qui est la demande en séparation de biens, et la nullité de la transaction, une subsidiaire encore de la part de la dame de Pelletot, tendant à l'exécution de la transaction et à un supplément de pension, enfin une demande incidente de la part du sieur de Pelletot, à ce que son épouse eût à rentrer dans sa maison, ce qui forme constamment une question préjudicielle aux deux autres, parce que la séparation de biens n'emportant point celle d'habitation, cette demande n'a pu dispenser la dame de Pelletot de vivre dans la maison de son mari, et que son mari ne lui devant des aliments que dans sa maison, il faut avant que de les lui adjuger, qu'il soit décidé si elle est sortie de la maison de son mari pour des causes légitimes.

Ces raisons sont frappantes sans doute, puisqu'elles sont le cri de la nature ; cependant la cause portée en cet état à l'audience du Châtelet, sentence contradictoire parait y être intervenue le 5 octobre dernier [cf. 5 octobre 1759 (1)] qui, « au principal renvoie les parties après les vacations, et cependant dès à présent condamne le sieur de Pelletot à payer annuellement et par quartier, à compter du premier avril 1759, à la dame son épouse, la somme de 700 livres, plus le quart dans les revenus et accroissements de revenus, à lui échus depuis l'acte du 25 septembre 1753, et le tiers dans les revenus de biens de la succession de la dame Thomas, et ce outre les 300 livres de pension accordés par le Roi à la dame don épouse, sinon le sieur de Pelletot est condamné à lui payer annuellement la somme de 2 000 livres, sans préjudice du surplus des augmentations et accroissements qui lui sont survenus, et pour en faciliter le paiement, les saisies-arrêts faites sur le sieur de Pelletot par sa femme, ont été déclaré bonnes et valables. »

Ainsi en laissant à l'écart et la demande principale, et la question préjudicielle aux aliments, cette sentence, qui ne paraît pas être l'ouvrage des organes ordinaires de la justice, admet une séparation volontaire d'habitation proscrite par les lois, et en ordonne implicitement l'exécution.

Le sieur de Pelletot s'est pourvu en la Cour contre cette sentence, et a obtenu des défenses de l'exécuter [cf. 11 octobre 1759 (1)] ; sur l'opposition que sa femme a formée à cet arrêt, les parties ont été appointées à mettre au rapport de M. l'abbé Le Noir, conseiller [le 26 novembre 1759].

Dans sa requête de production, le sieur de Pelletot a réitéré sa demande, à ce que la dame son épouse fut tenue de rentrer dans sa maison pour y vivre comme sa femme, ou de se retirer dans un couvent, aux offres de lui payer une pension de 700 livres, outre les 300 livres qu'elle a du Roi, et par arrêt du 29 décembre dernier [cf. 29 décembre 1759 (1)], les parties ont été renvoyées à l'audience avec Messieurs les gens du Roi : cet arrêt fait néanmoins provision à la dame de Pelletot de 650 livres.

C'est en cet état que la cause se présente aujourd'hui. L'appel du sieur de Pelletot semble n'offrir d'abord que la question de savoir si la transaction du 25 septembre 1753 doit ou ne doit pas être exécutée par provision, mais par requête du 25 janvier dernier, il a conclu à l'évocation du principal sur la demande en séparations de biens. La cause d'entre les parties offre donc trois questions à juger : La demande en séparation de biens formée par la dame de Pelletot est-elle fondée ? La transaction du 25 septembre 1753, contenant une séparation d'habitation volontaire, doit-elle être exécutée ? La sentence dont est l'appel a-t-elle jugé juridiquement, lorsque elle en ordonne l'exécution ? Voilà les trois objets qu'embrasse la contestation entre les parties.

Le sieur de Pelletot partagera donc sa défense en trois propositions. Dans la première, il démontrera que la demande en séparation de biens formée par la dame son épouse ne peut être admise. Dans la deuxième, il établira la nullité de la transaction passée entre lui et sa femme le 25 septembre 1753, et conséquemment l'obligation où se trouve la dame de Pelletot de rentrer dans sa maison. Dans la troisième enfin, il fera voir le mal jugé de la sentence dont est appel, et la nécessité de l'infirmer. En défendant sa cause, le sieur de Pelletot défend les droits du mariage, l'honneur du sacrement, la sûreté, le repos et la tranquillité de tous les maris.

Moyens

Première proposition. La demande en séparation de biens formée par la dame de Pelletot ne peut être admise, elle y est absolument non recevable.

Une demande en séparation de biens ne peut être fondée que la mauvaise conduite et les dissipations du mari. Il faut que la dot de la femme soit en péril par le désordre de ses affaires, et que ce désordre soit évident, ce sont les termes de la loi : si constante ss. soluto matrimonio, ex quo, dit cette loi, evidentissime appatuerit, mariti facultates as exaetionem dotis non sufficere. Tant que le mari possède donc des biens suffisants pour garantir la dot de sa femme, une demande de séparation de biens ne peut être favorablement écoutée. Tels sont les principes les plus familiers de la matière.

Cela posé, quelle fin de non recevoir ne s'élève pas contre la demande formée par la dame de Pelletot puisqu'elle ne peut imputer à son mari aucun fait de dissipation ? Un époux n'est réputé dissipateur que dans le cas où, re suâ male uniur, ou si plus annuarim impendia, quam haber ex redita, si neque tempus neque finem expensarum habet. Quels excès, quels abus de ses biens, la dame de Pelletot peut-elle reprocher à son mari ? Sa fortune était extrêmement bornée lorsqu'il l'épousa. Elle en convient elle-même dans la lettre qu'elle écrit en 1749 à son amie à Stockholm : « Je suis bien à plaindre, lui dit-elle, la dame qui m'avait tout promis nous a manqué de parole, je dois tout mon bonheur au bon cœur de M. de Pelletot ». Mais ce bon cœur, qu'elle qu'en fut l'étendue, ne lui suffisait donc pas, puisqu'elle s'estimait encore à plaindre. Elle rend donc hommage à la vérité et à la médiocrité de sa fortune de son époux dans les premiers temps de leur mariage.

Le 10 février 1755, elle avoue encore que les facultés de son mari ne lui permettent pas de se livrer à des dépenses extraordinaires, qu'il ne pourrait y résister si elle l'y exposait davantage : « J'ai fait quelques dettes, lui écrit-elle, pendant votre séjour en province. Je sais que vous n'êtes en aucune manière obligé de les acquitter, que vos facultés ne vous le permettraient pas si je vous y exposais encore. » Aveu qui n'est pas moins précieux que le premier puisqu'il annonce, qu'en 1755, la dame de Pelletot était pénétrée et avait la connaissance la plus parfaite de la modicité du patrimoine de son mari.

Donc si le sieur de Pelletot est dans le cas aujourd'hui de prouver que ses biens ne sont pas diminués depuis ces deux époques, la demande de la dame de Pelletot doit être rejetée, or le sieur de Pelletot a fourni un état de son patrimoine actuel, qui est presque de moitié plus considérable qu'il ne l'était alors, quoique eu égard à ses charges il soit encore trop modique aujourd'hui, cependant il n'en est pas moins vrai qu'il n'a pas dissipé, et que ses biens se sont accrus.

Mais le sieur de Pelletot peut-il employer une défense plus forte et plus frappante que d'opposer la dame de Pelletot elle-même à elle-même ? Dans sa requête du 12 juin 1759 : « Je demande, dit-elle, que je sois séparée de biens de mon mari, qu'il soit tenu de me restituer de sa dot, parce qu'il est un dissipateur, un homme de mauvaise conduite, que ma dot est en péril entre ses mains ; mais où vous feriez difficulté de m'accorder cette demande, je conclus à ce que la transaction soit exécutée, et, attendu que les revenus de mon mari sont augmentés de plus de moitié depuis cette transaction, qu'il soit condamné à augmenter ma pension du produit du tiers de la succession de la dame veuve Thomas, et du quart de ses autres accroissements de revenus.

Ainsi donc dans une même requête, son mari est riche et pauvre, économe et dissipateur, ses affaires sont en désordre et ses revenus sont accrus, sa dot est en péril et la fortune qui en répond est plus brillante que jamais, la transaction est nulle et on doit l'exécuter ! N'est-ce pas se jouer cruellement des principes reçus, des notions les plus communes ? Faut-il de grands efforts pour sentir que ces deux demandes se détruisent l'une par l'autre. Si son mari est opulent, ainsi qu'elle le dit, sa dot cesse d'être en péril, elle est non recevable en sa demande en séparation de biens. Si ce même mari vergit a inopiam, elle est non recevable à demander une pension plus forte. Quelle absurdité, quel ridicule dans ces deux demandes lorsqu'on les rapproche l'une de l'autre. N'est-ce pas une preuve complète de cette vérité terrible, que lorsque l'on s'écarte une fois des voies licites et que l'on trouble l'ordre, les chutes se succèdent et l'on se précipite sans cesse dans de nouveaux écarts.

Mais quelle est donc cette femme qui insulte à son mari, qui le traite de dissipateur, qui demande une séparation de biens, qui réclame une dot ? C'est une femme que le sieur de Pelletot a tiré de sa servitude, qui ne lui a apporté aucune dot, et qui cependant, née avec un goût prodigieux pour le luxe et la dépense, se livre sans mesure à toutes ses folles envies et ses caprices, qui crée sans cesse des dettes nouvelles, qui se laisse dépouiller par un jeune homme de son argent et de ses bijoux les plus précieux, dont les effets sont sans cesse entre les mains des usuriers, qui paye quarante-huit livres d'intérêt pour un principal de 200 liv[res], c'est cette femme qui traite son mari de dissipateur ? Dissipatrice elle-même, quand elle serait tombée dans la misère la plus profonde, elle serait sans doute plus digne de reproches que de commisération.

La conduite de la dame de Pelletot ne fait-elle pas au contraire le plus brillant éloge de l'économie de son époux, puisqu'au milieu des difficultés continuelles auxquelles elle s'est livrée, des troubles et des chagrins qu'elle lui a causés, des procès qu'elle lui a suscités, elle l'avoue elle-même, elle en convient, les revenus de son mari se sont augmentés.

Enfin quelle est la dot qu'elle réclame ? Mais elle n'en a eu d'autres que les promesses vaines et frivoles qui se sont évanouies aussitôt après son mariage. Ne le sait-elle pas, ne l'a-t-elle pas écrit ? Oublie-t-elle enfin ce qu'elle a tant dit de fois qu'elle n'oublierait jamais, « qu'elle tient toute sa fortune de son mari, qu'elle doit tout à son bon cœur, qu'il a tout fait pour elle » ? Est-ce là le langage d'une femme qui a apporté à son mari une dot opulente ? Non, sans doute. Ceux que des nœuds égaux ont uni ne sont liés que par l'amour, jamais par la reconnaissance.

Concluons donc que la dame de Pelletot est doublement non recevable dans sa demande en séparation. Elle l'est parce que, n'ayant rien apporté, elle n'a rien à reprendre ; elle l'est enfin, parce que quand même elle aurait eu une dote réelle et effective de 50 000 liv[res], la fortune de son mari serait plus que suffisante pour en répondre.

Seconde proposition. La transaction du 25 septembre 1753, passée entre les sieur et dame de Pelletot, est nulle, et la dame de Pelletot ne peut se dispenser de rentrer dans la maison de son mari.

C'est un principe constant entre les théologiens et les jurisconsultes que le mariage étant de droit public, les particuliers ne peuvent eux-mêmes y donner atteinte. La loi réprouve toute convention à cet égard, parce que le nœud est indissoluble, et que lorsqu'il a une fois existé, il ne peut plus être brisé : Matrimonium enim semel consummatum est indissolubile quâcumque potestate quoad vinculum licèt quandoque ex justâ causâ thori separationem admittat [En marge : Cap. 3 Extra de divort.].

Si des époux mal unis ne peuvent habiter ensemble, c'est aux magistrats seuls qu'il appartient de connaître de leurs différents, et de prononcer leur séparation lorsque les causes en sont trouvées justes ; mais ils ne peuvent dans aucun cas dissoudre leurs liens par le seul effet de leur volonté, parce que les mariages étant contractés avec les plus grandes solennités, il est du devoir et de la bienséance de garder dans la séparation les mêmes formalités que l'on a observé dans l'union.

Aussi les lois civiles et ecclésiastiques se sont-elles réunies pour empêcher ces divorces secrets, que la chaleur et le premier mouvement pourraient multiplier sans cesse. L'empereur justinien dit nov. 117, cap. 10, Separationem matrimoniorum fieri ex consensu nullâ ratione permittimus [En marge : Nov. 117, Cap. 10]. Il n'est donc aucune raison qui puisse autoriser une séparation volontaire.

[En marge : Can. seculares quest. 2] La canon Saeculares, quaest. 2, frappe d'anathème les époux qui se séparent avant le jugement. Si priùs quàm in judicio damnentur uxores suas abjecerint, à communionesanctae ecclesiae, e populi caetu excludentur.

[En marge : Me Charles Du Moulin en ses notes sur Decius, cons. 144] Du Moulin, en ses notes sur Decius, tient formellement que la séparation d'habitation accordée entre deux conjoints pour le bien de la paix, quoique confirmée par serment, est nulle et non obligatoire, comme étant contre le principe de Dieu et le droit public.

[En marge : Louet lett. S. somm] M. Louet est de même avis, il cite même un arrêt du 5 février 1601 qui a déclaré nulle une transaction faite entre mari et femme, portant divorce et séparation de biens.

[En marge : Sauvageau en ses notes que le chap. 220 liv. 1 des arrêts de Dusait] Sauvageau, en ses notes sur les arrêts de Dufait, remarque un arrêt du parlement de Bretagne du 21 mai 1632 qui ordonna aux sieur et dame de Quermault de vivre ensemble, quelque transaction qu'il y eût entre eux.

[En marge : Tom. prem. liv. 5 tit. 2 chap. premier] Enfin Boniface rapporte un arrêt du 16 octobre 1649 qui a fait défense aux notaires de recevoir des actes contenant séparation de corps entre gens mariés, à moins qu'elles ne soient ordonnées par les magistrats ; ce qu'il ajoute être conforme à un arrêt de règlement sur cette matière du 11 juin 1596, portant même défense.

Ainsi donc, pour établir la nullité de la transaction passée entre les sieur et dame de Pelletot, il suffit de laisser parler ces autorités, la religion, les lois, les arrêts des cours souveraines, l'opinion des docteurs, l'honneur du sacrement, les principes du droit public, l'honnêteté, les bonnes mœurs ; tout concourt à proscrire un acte de cette espèce. Il est donc radicalement nul, il n'est donc point obligatoire, il n'est donc susceptible d'aucune sorte d'exécution.

Mais si cet acte est nul, si toutes les conventions en sont réprouvées par les lois, que reste-t-il donc à la dame de Pelletot pour poursuivre son mari ? Quels sont ses titres ? Le sacrement, mais ce lien si saint et si sacré, qu'exige-t-il ? Que la dame de Pelletot n'ait d'autre habitation, d'autre domicile que celui de son mari. Jam non sint duo, sed una caro.

La demande que le sieur de Pelletot a formée à cet égard est donc bien fondée, et la Cour ne peut refuser de l'admettre. Son titre est incontestable ; il est la partie la plus essentielle du devoir des époux. Mulier maritum sequi tenetur quòcumque ierit, nisi vagabundus fit [En marge Franc. Marc. tom. 2 quest. 740].

« Mais, dit la dame de Pelletot, j'ai le droit d'habiter où je voudrais, vous me l'avez permis par la transaction du 15 novembre 1753 [25 septembre !, cf. 25 septembre 1753 (1)], vous ne pouvez donc aujourd'hui me contraindre d'habiter avec vous. »

La réponse à cette objection est également prompte et décisive. Le sieur de Pelletot n'a pas pu permettre à sa femme de se séparer de lui, parce qu'il n'en avait pas le droit, n'étant pas plus le maître de son honneur que de sa vie, il n'a pu légitimement l'abandonner, en souffrant que son épouse habitât ailleurs que dans sa maison.

Au surplus, il vient d'être démontré que toutes conventions relatives à une séparation de corps sont absolument nulles, qu'elles ne peuvent avoir aucune exécution, qu'elles sont anéanties par l'autorité seule de la loi : la dame de Pelletot ne peut donc opposer à son mari la transaction du 25 septembre, elle ne peut donc se dispenser de rentrer dans sa maison.

Cependant si la dame de Pelletot, insensible aux bontés de son mari, n'écoute que sa haine, si elle conserve encore de la répugnance à rentrer dans sa maison, le sieur de Pelletot n'entend point la contraindre : il attendra tout du temps. Des circonstances plus favorables, un avenir plus heureux lui rendront peut-être un jour le cœur de son épouse. Dégagée des conseils perfides qui l'on entraînée dans tant de démarches imprudentes, elle ouvrira peut-être enfin les yeux ? C'est ce qui a déterminé le sieur de Pelletot à prendre un tempérament convenable, et à son honneur, et à la dignité du mariage, et au bien véritable de son épouse.

Il a consenti qu'elle se retirât dans un couvent pour y vivre comme pensionnaire, et pour y demeurer jusqu'à ce que des réflexions plus sages l'aient mieux instruite sur l'étendue de ses droits, sur la décence de son état, et sur la douceur qui doit être le plus bel apanage de son sexe.

Dans ce cas, le sieur de Pelletot consent et offre de lui payer outre les 300 liv[res] de pension du Roi, qu'il lui abandonne et qu'elle touchera sur ses simples quittances, une somme de 700 liv[res] par an, ce qui lui formera un capital de 1 000 liv[res] de rente annuelle.

La dame de Pelletot ne peut contester ni sa retraite dans un couvent, ni la pension que son mari lui offre. Une femme qui n'habite pas avec son mari ne peut avec décence habiter que les cloîtres, où la pudeur toujours respectée n'a jamais rien à craindre. Elle aurait donc dû elle-même pour sa propre sûreté, pour son honneur particulier, prévenir la demande de son mari à cet égard ; elle n'eût en cela obéi qu'aux lois de la bienséance et de l'honnêteté, qui n'auraient pas toujours approuvé les domiciles qu'elle s'est choisie dans tous les temps.

La pension que le sieur de Pelletot lui offre est plus que suffisante sans doute : il sait combien l'obligation que contracte un mari de fournir des aliments à sa femme est essentielle à la piété conjugale, et il fait pour remplir cette portion de ses devoirs les efforts les plus généreux que sa fortune lui peut permettre. Ses charges sont considérables. Il paye 300 liv[res] de rentes à la dame de Bellecourt sa fille pour sa dot, à son fils 400 liv[res] pour se soutenir au service où sa naissance l'appelle, sans pour près de 600 liv[res] d'autres charges annuelles qu'il est obligé d'acquitter sur ses revenus. Que reste-t-il donc à un père, à un époux malheureux qui, ainsi qu'il l'affirme à la Cour, lorsqu'il ajoute aux pensions de son fils et de sa fille une pension de 700 liv[res] pour sa femme ?

Il est vrai que la dame de Pelletot prétend que son mari jouit d'une fortune tantôt de dix mille, tantôt de quinze mille livres de rentes.

Mais cette prétention est aussi chimérique que l'existence de sa dot de 50 000 livres. Il n'a dans le vrai que 5 400 livres, et si la dame de Pelletot lui en connaît davantage, qu'elle en jouisse, qu'elle s'en contente, le sieur de Pelletot lui abandonne.

Bien loin donc que la dame de Pelletot soit fondée à contester les offres que lui fait son époux, il pourrait porter les choses encore plus loin sans injustice et sans manquer à ce qu'il doit à son épouse. Un mari doit des aliments à sa femme, la religion et les lois lui en font un devoir. [En marge : Chorier en sa jurisprudence] « Mais, dit Chorier, cette obligation cesse lorsque la femme abandonne son mari, qu'elle se sépare malgré lui, qu'elle sort de sa maison volontairement et sans cause, à plus forte raison, dit Bouvot, lorqu'elle est elle-même la cause du divorce et de la désunion, maxime cum praestiterit uxor causam divortii. »

Que la dame de Pelletot se juge donc ici elle-même sur ces principes. N'est-ce pas elle qui a abandonné son mari, et quitté volontairement sa maison ? N'est-ce pas elle qui a formé sans prétexte et sans motif une demande en séparation d'habitation ? N'est-elle pas la cause première de leur désunion ? Elle a donc fait cesser à son égard le devoir de lui fournir des aliments, maxime cum praestiterit uxor causam divortii, et le s[ieu]r de Pelletot ne pourrait être contraint de lui en fournir hors de sa maison, ainsi qu'il résulte d'un arrêt du 24 novembre 1672, remarqué par Boniface, qui a jugé « que celui qui doit des aliments dans sa maison ne peut être contraint de les fournir dehors, sous prétexte d'incompatibilité d'humeur ».

Ainsi donc, loin que la dame de Pelletot puisse contester à son mari la pension qu'il lui offre, elle doit le remercier de ce qu'il veut bien faire pour elle, si il se gêne, si il fait les plus grands efforts pour fournir à la subsistance de son épouse, ce n'est que par un excès de complaisance et de pitié, puisque dans le vrai, il ne lui doit aucun secours hors de sa maison, qui lui a toujours été ouverte, et où il offre toujours de la recevoir, si elle veut y rentrer.

Troisième proposition. [La] sentence dont est appel a mal jugé dans tous ses chefs.

La vérité des deux premières propositions de la défense du sieur de Pelletot une fois démontrée, il est aisé de détruire la sentence dont est appel.

Cette sentence [du 5 octobre 1759 (1)] condamne le sieur de Pelletot à payer annuellement à la dame son épouse la somme de 700 livres, plus le quart dans les revenus et accroissements de revenus à lui échus depuis l'acte du 25 septembre 1753, et le tiers dans les revenus des biens de la succession de la dame Thomas, et ce outre les 300 livres de pension du Roi, sinon le condamne à lui payer annuellement une somme de 2 000 livres, et pour en faciliter le paiement, les saisies-arrêts faites sur le sieur de Pelletot ont été déclarées bonnes et valables.

Cette sentence ratifie donc une séparation d'habitation, un divorce volontaire, et en ordonne l'exécution. Elle juge que les clauses de la transaction son légitimes et obligatoires, que le sieur de Pelletot doit les remplir ; mais cette séparation est nulle, et la transaction est réprouvée par la religion et par les lois : on l'a démontré.

Elle condamne un mari à payer une somme de deux mille livres annuellement à sa femme, quoique ce mari eût offert de la recevoir dans sa maison, qu'il eût même formé une demande précise à ce qu'elle eût à y entrer, or cette demande était constamment une défense péremptoire à la question des aliments, parce qu'il est encore démontré qu'un mari ne doit des aliments à sa femme que dans sa maison, et qu'il ne peut être contraint de lui en fournir dehors. Il fallait donc faire d'abord droit sur cette demande, parce qu'elle était préjudicielle aux deux autres, et contraindre la dame de Pelletot à chercher dans la maison de son époux les aliments qu'elle demandait.

Ces deux réflexions suffisent sans doute pour démontrer le mal jugé de la sentence dont est appel. On ne peut la confirmer qu'en confirmant un acte qui est contre l'honneur du sacrement, conte l'honnêteté publique et les lois : on doit donc la proscrire.

Mais quand cet acte ne serait pas aussi radicalement nul, qu'il l'est en effet, quand il aurait été susceptible d'exécution dans son principe, encore le mal jugé de la sentence n'en serait pas moins évident.

C'est une maxime incontestable que eadem sunt destruentis et constituentis principia, par conséquent que ceux qui ont contracté un engagement peuvent le dissoudre par un consentement contraire, nudi consensus obligatio, contrario consensu dissolvitur. Or la dame de Pelletot avait conclu le 8 juillet 1748 [1758 !] à la nullité de la transaction ; le 11 août 1759, le sieur de Pelletot avait consenti cette nullité, donc il s'était dès lors formé un contrat judiciaire entre les parties qui avait anéanti la transaction dont est question. Donc il n'était plus possible d'en faire revivre les clauses dans les dispositions de la sentence.

Enfin quand on aurait pu donner à l'acte du 23 septembre toute l'étendue possible, encore n'aurait-on pu condamner les s[ieu]r de Pelletot à augmenter la pension de la dame son épouse du tiers des revenus de la succession de la dame Thomas. La sentence du 20 septembre avait déjà, sur le motif de cette succession, augmenté de 200 liv[res] la pension de 500 livres énoncée en la transaction : la sentence dont est appel n'aurait donc pu le condamner une seconde fois à rapporter le tiers de cette succession, non bis in didem.

Mais toutes ces réflexions sont surabondantes. La sentence dont est appel est aussi nulle que le divorce qu'elle autorise, elle doit donc être enveloppée dans la même réprobation.

Le sieur de Pelletot espère donc qu'il va voir finir ses malheurs. La demande en séparation de biens formée par la dame son épouse n'est pas recevable, elle se détruit d'elle-même, elle ne peut être susceptible d'aucune instruction, il ne peut donc y avoir de difficulté à l'évocation et à la mainlevée des saisies.

La transaction du 25 septembre 1753 est nulle, elle offense la dignité du sacrement de mariage, l'honnêteté et les lois. La demande du s[ieu]r de Pelletot à ce que sa femme soit tenue de rentrer dans sa maison est également légitime et juridique. Ses offres sont plus que suffisantes pour fournir à la subsistance de son épouse, si elle préfère de se retirer dans un couvent. Enfin le mal jugé de la sentence est démontré par la nullité de la transaction. Tout concourt donc à assurer au sieur de Pelletot un triomphe qui ne lui sera précieux qu'autant qu'il servira à déciller les yeux de son épouse, et à la rappeler à ses devoirs. Signé Potier de Sevis, Monsieur Seguier, avocat général, Me Pierret de Sansieres, avocat, Suan, proc[ureur] (Pelletot 60).
Arrêt en défaveur du sieur de Pelletot sera rendu le 13 février (cf. 13 février 1760 (1)).

Le factum paraît en 1760, entre le 25 janvier, date mentionnée dans le corps du texte, et le 13 février, date de l'arrêt en vue duquel il est conçu.
Référence
  • Pelletot (Anne Potier de Sévis de), Séguier (), Pierret de Sansierres (), Suan (), Mémoire pour Messire Anne Potier de Sévis, chevalier, seigneur de Pelletot, ancien mousquetaire de la garde du Roi, appelant et demandeur contre demoiselle Élisabeth Planstrom son épouse, intimée et défenderesse, Paris, 1760.
Courcelle (Olivier), « [c. 1 février] 1760 : Les sœurs Planström : factum Pelletot », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncoc1fevriercf1760.html [Notice publiée le 1 mai 2009].