Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


Janvier 1750 (1) : Cramer écrit à Clairaut :
Janv[ier] 1750

Un nombre infini d'occupations, qui se présentent ordinairement au commencement de l'année, ne m'a pas permis, mon cher Monsieur, de répondre plus tôt à votre chère lettre [perdue NDM]. Je reviens très volontiers à mon devoir, qui ne saurait trop me plaire puisqu'il me procure une douceur, dont je fais un cas infini : celui de recevoir de vos nouvelles, toujours agréables et intéressantes pour moi. Vous avez raison de suspendre pour quelque temps votre travail sur la Lune. Il a été si long et si pénible, mais en même temps si utile qu'on ne saurait assez le reconnaître. Le Père Beraud, jésuite de Lyon, et astronome amateur a écrit ici à quelqu'un que les deux éclipses de cette année ont fort démenti les tables de M. Cassini. J'aurais bien du penchant à soupçonner que c'est la faute de l'observation plutôt que celle des tables, parce que les tables ordinaires ne s'écartent guère du vrai, pour le lieu de la Lune dans les syzygies, lieu où plusieurs équations s'évanouissent. Informez-vous, je vous prie, si vos astronomes ont observé la même chose. Je comprends que ce qui a dû jeter beaucoup d'embarras dans votre travail, c'est le défaut des observations de la Lune dans les différents points de son orbite. M. Halley en avait une infinité, sur lesquelles il avait construit des tables, qui je crois sont publiques : mais je ne sais si on a les observations mêmes. Mais en voilà bien assez sur ce sujet. Je vous sais bien bon gré de conserver des égards pour la mémoire de Mme du Châtelet qui a cruellement déclinée après sa mort. Votre jeune homme de Montpellier [Pierre Estève, cf. 24 décembre 1750 (1)] a bien de l'esprit, mais il me semble qu'il lui faut encore de la géométrie, et surtout de la mécanique. Je crois avoir remarqué quelques fautes contre l'une et contre l'autre. Puisqu'il est si jeune, il faut croire que cela viendra, et qu'il fera un jour un illustre, surtout s'il peut se transporter à Paris pour y jouir de votre conversation. Je viens de lire l'essai de M. de Maupertuis [(Maupertuis 49)], dont je vous dirai, puisque vous voulez savoir ce que j'en pense, que je ne suis pas très content. Il commence par être géomètre et finit par être prédicateur. Le géomètre est peu exact et le prédicateur peu touchant. Je ne saurais admettre son principe. Le plaisir est une perception qu'on aime mieux éprouver que ne pas éprouver, et la peur est une perception qu'on aime mieux ne pas éprouver qu'éprouver. Il en suit qu'on est malheureux dès qu'on a l'idée d'un état plus heureux que celui où l'on se trouve, et que presque tous nos désirs sont des peines. Au lieu que ce sont peut-être les désirs qui font la meilleure partie de nos biens. C'est sur ce faux principe qu'il bâtit sa démonstration, que dans la vie ordinaire la somme des maux surpasse celle des biens, ce que je ne crois point vrai. Je voudrais donc dire que le plaisir est toute perception qu'on aime mieux éprouver que n'en point éprouver, et que la peine est une perception à laquelle on préférerait l'absence de toute sensation, et dès lors l'amour de la vie fait voir que la vie a plus de plaisirs que de peines. Je pense encore que M. de Maupertuis a pris le change sur l'opinion des épicuriens et des stoïciens. Il est aisé de voir que les premiers visaient à diminuer les maux et les derniers à augmenter les biens. Jugez-en par le genre de vie que les uns et les autres conseillaient à leurs spectateurs. La comparaison du stoïcisme et du christianisme est bien mais les réflexions sur la religion sont froides, vagues et ne me semblent point au fait. On dit que M. de Maupertuis fait dire que cette brochure a été imprimée malgré lui. Je préfère beaucoup la théorie du sentiment agréable de M. de Pouilly. Si vous ne le connaissez pas, Mlle Ferrand pourra vous le faire connaître. Je vous prie de l'assurer de mes sentiments respectueux etc (Speziali 55).
La dernière pièce connue de la correspondance entre les deux hommes remontait à la lettre de Clairaut du 26 juillet 1749 (cf. 26 juillet 1749 (1)).

Clairaut répond à Cramer le 2 février (cf. 2 février 1750 (1)).
Abréviation
  • NDM : Note de moi, Olivier Courcelle.
Références
Courcelle (Olivier), « Janvier 1750 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nJanvier1750po1pf.html [Notice publiée le 24 février 2008].