Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


31 janvier 1738 (1) : Maupertuis écrit à Celsius :
J'ai reçu votre lettre du 27 déc[embre] v[ieux] st[yle], mon cher Monsieur, et ne vous imite pas, car je vous réponds sur le champ. Vous ferez très bien de faire connaître au public les négligences et les fautes de M. Cassini dans une affaire où il veut faire croire que c'est nous qui sommes les sots. Je ne doute pas que vous n'ayez trouvé dans son livre [(Cassini 20)] bien de quoi le rendre ridicule. Rien de plus misérable que les instruments qu'il a employés, rien de plus grossier que ses observations. 41'' d'erreur sur son amplitude conclue par des étoiles différentes pour l'arc entre Paris et Dunkerque ; des étoiles observées pendant un mois entier sans qu'il y ait aperçu aucune aberration ; tout cela prouve bien que son retournement ne lui a pas servi de grand chose, et ne lui a pas donné les vraies hauteurs de ses étoiles. Il devait, pour pouvoir se vanter du retournement, produire ses observations, et faire voir comment celles d'un côté s'accordaient avec celles de l'autre, mais il n'a eu garde. Il y a un autre reproche à lui faire, qui est terrible ; il avait observé à Collioure 5 étoiles, il ne parle que d'une seule observée à Paris pour en conclure son amplitude, et sur celle qu'il choisit il trouve une différence de 57'' entre son père et lui, c'était bien là le cas de consulter les autres. Cette négligence ne serait pas pardonnable, de n'avoir pas observé à Paris ces étoiles où il avait toutes les commodités. Mais il lui est échappé de dire (pag[e] 8) qu'il observa à Paris les mêmes étoiles qu'il avait observées à Collioure ; pourquoi donc ne parle-t-il point de ce que donnaient les autres étoiles, si ce n'est qu'elles donnaient des figures de la Terre toutes différentes de celle qu'il a établie. Je crois que tout ce qu'on peut penser sur cela, c'est qu'il n'a jamais cru que l'on en vint un jour à vouloir connaître mieux la figure de la Terre, et qu'il s'est cru sûr de n'être pas inquiété sur cela.

D'ailleurs, quoi de plus plaisant que de voir la précipitation avec laquelle lui et son père ont déterminé 3 figures de la Terre toutes différentes. L'une en 1701, la plus allongée de toutes, la 2e en 1713, 6 fois moins allongée que la 1re, et la 3e en 1718, 3 fois plus allongée que la 2e.

Quant à leurs triangles, je crois que nous aurions vu de belles choses, s'ils avaient voulu les donner comme ils les ont observés. Je ne doute pas que vous n'ayez remarqué dans cet ouvrage bien d'autres fautes que vous ferez fort bien de relever, et de montrer dans tout leur éclat, car il faut que le public soit en état de rendre justice aux uns et aux autres, et jusqu'ici, il a été bien éloigné de le faire. À peine étions-nous arrivés qu'on a vu dans toutes les gazettes que nous n'avions rien fait de sûr ni de bien, et quoique je ne soupçonne pas Cassini d'avoir personnellement pris ce soin, on ne peut guère douter que ce ne soit quelqu'un [de] ses émissaires.

Je vous avoue que quoi que vous en disiez, je n'ai pas laissé d'être sensible à tout ce qui s'est passé depuis notre retour, et il a été fort désagréable pour moi. J'imprime actuellement le mémoire que je lus à notre assemblée publique [cf. 13 novembre 1737 (1)], où je joindrai les observations de nos triangles et de nos 2 étoiles. J'ai fait sentir tant que j'ai pu la solidité de notre secteur et les soins que nous avons pris en le transportant. Je lus un petit mémoire dans nos assemblées particulières qui fit jouer à M. Cassini un bien mauvais personnage, car j'y démontrais 2 choses par les propres paroles de MM. Cassini père et fils : 1° que le fils a établi dans son livre de la fig[ure] de la Terre [(Cassini 20)] que M. Picart n'a point retourné son instrument, 2° que je rapportais divers passages tant de lui que de son père où ils on parlé de l'ouvrage de M. Picart avec les plus grands éloges et comme d'un ouvrage parfait. D'où je laissais conclure la mauvaise foi qu'il y avait de blâmer un ouvrage parce qu'on n'avait pas fait le retournement, quand d'ailleurs il avait des vérifications que celui de M. Picart n'a jamais eu[es]. Enfin je citais un passage de la figure de la Terre où M. Cassini fait entendre qu'il n'avait fait le retournement que faute de pouvoir comme M. Picart faire transporter son secteur par des hommes. Ce mémoire le séshonora dans l'Académie, cependant cela n'a peut être fait que le rendre plus insolent aux oreilles des Messieurs. Si vous étiez curieux de voir les endroits où ils ont parlé ainsi, c'est pag[e] 2 de la figure de la Terre, pag[e] 18 du même livre, pag[e] 510 du mém[oire] de l'Acad[emie] de 1732 (Cassini 32), p. 224 fig[ure] de la Terre.

Vous ferez très bien d'adresser votre lettre à Manfredi, il en a besoin. Il me semble (entre nous) que c'est un viedaze épris d'admiration pour M. Cassini. Il m'a écrit sur tout cela une très sotte lettre et à laquelle je n'ai pas d'envie de répondre. Vous ferez très bien de publier votre lettre au plus tôt et de traiter nos adversaires comme ils le méritent. Quelques raisons de compagnie m'ont empêché de le faire, mais je ne sais si elles subsisteront longtemps.

Adieu mon cher Monsieur. Faites, je vous prie mes compliments à M. Clingstierna [Klingenstierna]. M. Monnier ne pense non plus à Mlle Fronstrom [ou Forsström (Badinter 99-07, vol. 1, p. 113)] que s'il ne l'avait jamais vue. Il n'en est pas de même de moi ; j'ai laissé à Stockholm deux pauvres demoiselles qui ne veulent pas retourner à Torneå et à qui je voudrais bien rendre service et être bon à quelque chose (Nordenmark 36, pp. 80-82).
Les deux demoiselles viendront retrouver Maupertuis en France (cf. 20 septembre 1736 (3)).
Abréviations
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
  • Mém. : Partie Mémoires de HARS 17..
Références
Courcelle (Olivier), « 31 janvier 1738 (1) : Maupertuis écrit à Celsius », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n31janvier1738po1pf.html [Notice publiée le 24 avril 2009].