Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


24 avril [1763] : Clairaut (Paris) écrit à Daniel Bernoulli :
Il est vrai mon cher ami que je n'ai point lu votre mémoire sur les tuyaux d'orgue [(Bernoulli 62)], avant qu'on en eut commencé la lecture à l'Académie [le 22 janvier 1763, cf. 4 décembre 1762 (1)], mais on ne me l'avait point communiqué ni dit qu'on me le communiquerait. Au reste je ne sais point pourquoi vous désiriez qu'on me le fit voir. Je ne pouvais vous donner mon avis que sur le style et la tournure. Et il est aussi bien à cet égard là que si vous aviez toujours vécu parmi nous. Quant au fond de la matière, vous la savez infiniment mieux que moi, et il y a même une partie de la question que je n'entends point du tout, celle qui roule sur les principes harmoniques que je n'ai jamais étudiés. En total le mémoire, du moins quant à la partie qu'on en a lu jusqu'à présent, me parait plutôt fait pour ceux qui ont déjà travaillé sur la matière, que pour ceux à qui elle est toute neuve. Je veux dire que cela ressemble plus à des théorèmes, a des résultats, qu'à des solutions entièrement analytiques où l'on mène le lecteur pas à pas. Cela n'empêche pas que l'on ne voie que c'est l'ouvrage d'un grand homme et d'un génie profond qui a beaucoup médité sur la matière. Messieurs les physiciens ont d'abord voulu faire jaser à leur ordinaire, prétendre que vos remarques sur les diaphragmes fictives, les espèces d'oscillations qui s'y font, devraient être appuyées d'expériences. Et si on les avait laissé faire, ils auraient expliqué leurs vagues théories sur les sons. Mais les géomètres les ont fait taire, et votre mémoire s'est lu depuis fort tranquillement, un peu trop de loin à la vérité, mais c'est la méthode que les directeurs suivent aujourd'hui pour couper les matières et éviter d'en manquer dans les assemblées. Au reste il sera imprimé dans nos mémoires et de bonne heure. Et l'exemple de ce qui est arrivé par rapport à votre morceau sur l'inoculation [(Bernoulli 60)], a fait assez d'effet pour empêcher de retomber dans le même inconvénient. Je ne sais point ce que M. D. [d'Alembert] se propose de répondre quant aux vérités que vous avancez avoir démontrées relativement aux vibrations tayloriennes mais je ne crois pas qu'aucun commissaire de l'Académie, laisse passer cette réponse avant que votre mémoire ait paru. Il vient extrêmement peu à l'Académie. Sa manière légère de traiter un corps respectable, et ses procédés injustes envers les plus habiles géomètres et astronomes, le rendent sûrement odieux aux vrais patriotes. Mais il y a peu de gens qui le disent ouvertement. Quelques uns le craignent, d'autres s'en amusent, ou sont bien aise de l'employer comme instrument nuisible. C'est ainsi qu'il a profité de l'inconstance de M. de Maupertuis à mon sujet et de la haine de M. Le Monnier contre moi, de la mauvaise volonté de M. Fontaine. Il y a encore quelques jeunes gens que le ton enthousiaste de l'Encyclopédie a entraîné et qui croient avoir le droit de parler de tout avec fatuité quand ils sont protégés par ces Messieurs. Malgré tout cela, je crois que les partisans de ce prétendu grand homme diminuent tous les jours et qu'il sera remis à sa véritable place, qui est celle d'un homme de beaucoup d'esprit sans doute mais non d'un grand génie.

Quant aux petits articles de calcul dont nous parlions dans nos dernières lettres, j'ai eu peu de temps à moi pour les examiner de mon côté. Je ne vois rien à répondre à vos réflexions sur la valeur de la suite [maths], mais j'ai toujours de la peine à digérer les déterminations fondées sur la distinction entre l'infiniment petit et le zéro absolu. Il y a un singulier cul-de-sac dans lequel il semble que conduit l'attraction de la surface sphérique sur un point pris sur la surface. Je n'y avais pas pensé avant la note de M. d'Al[embert] dont vous me parlez dans votre dernière. Il me paraît très loin d'avoir considéré la question en métaphysicien, et il s'est ce me semble trompé ridiculement en séparant en deux parties l'expression de l'attraction pour trouver le nœud analytique de la question. J'aime mieux ce que dit M. de la Grange [Lagrange] dans le 1er Mém[oire] de Turin, p. 142 [!], quoique je n'en sois pas entièrement satisfait non plus, et que [s]e trouve surtout qu'il a eu tort d'emprunter la dite séparation du calcul que fait M. D. Voici comme je considère leur question. L'expression [maths]. Donc [cette intégrale] n'était point nulle comme l'a avancé M. D. Mais si on fait le même calcul en supposant que le point attirant soit en dedans de la surface, alors cette même première partie de la différentielle de l'attraction qui est [maths].

Voilà donc une même quantité qui est finie mais positive ou négative, suivant que la position du point allég[u]é à la surface que l'on suppose nulle est pris au-dehors ou au-dedans de la surface. Mais quand le point est vraiment dans la surface, est-ce un cas du dehors ou du dedans ? Par un raisonnement qui tiendrait de ceux où vous employez les probabilités, on semblerait pouvoir dire que comme on ne peut pas décider s'il est dehors ou dedans, et qu'il semble tous les deux, il faudrait prendre un milieu entre la même quantité prise positivement et négativement, ce qui la rend nulle : mais je ne pourrais jamais me résoudre à imprimer de telles conclusions. La même question peut se traiter sans algèbre en s'en rapportant aux théorèmes connus depuis Newton. Tout point pris hors de la surface est attiré vers elle avec une force invers[ement] prop[ortionnelle] qua quarré de la dist[ance], et qui est sensiblement la même lorsque le corps est très voisin de la surface. Tout point au contraire qui est dans l'intérieur n'est point attiré du tout. Le point qui est exactement sur la surface, quelle attraction éprouve-t-il ? Par un raisonnement semblable au préc[édent], il semblait devoir être attiré avec une force sous double de celui qui est infiniment près et en dehors de la surface.

Voilà bien de la métaphysique, ne le pressez point trop, mais épluchez tant que vous voudrez mon attachement pour vous et vous le trouverez à toute épreuve. J'espère que le c[om]te Teleki [Samuel Teleki, cf. 30 novembre 1762 (1)] que vous verrez bientôt vous dira à quel point je vous aime ainsi que ma petite compagne [Mlle Gouilly, cf. [c. juin] 1757 (2)] qui partage tous mes sentiments.

Paris 24 avril.

Je vous enverrai du cristal par le c[om]te Teleki (Boncompagni 94b).
Clairaut répond à une lettre perdue de Daniel Bernoulli.

Il lui avait écrit le 5 décembre 1762 (cf. 5 décembre 1762 (1)).

La réponse de Daniel Bernoulli est perdue.

Clairaut réécrit à Daniel Bernoulli le 28 juillet (cf. 28 juillet 1763 (1)).
Abréviation
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
Références
Courcelle (Olivier), « 24 avril [1763] : Clairaut (Paris) écrit à Daniel Bernoulli », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n24avrilco1763cf.html [Notice publiée le 4 février 2012].