Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


([1 décembre]) 20 novembre 1736 : Celsius (Torneå) écrit à Delisle :
Du 20 novembre 1736
Reçue le 14 janvier 1737

Monsieur,

M[onsieu]r Berch retournant de S[ain]t Petersbourg à Stockholm m'a informé de votre santé, et que vous avez bien voulu vous souvenir de moy. Aprez avoir passé 10 mois à Londres, je suis allé a Dunkerque pour accompagner les M[essieu]rs de l'Academie des sciences, en Suede. Nous sommes partis au commencement du mois d'avril de Dunkerque par mer, et aprez un sejour de quinze jours à Stockholm, nous sommes arrivés à Torneå au solstice d'été. Vous savez, sans doute, que le chef de notre compagnie est M[onsieu]r de Maupertuis, et que les associez sont M[essieu]rs Camus, Clairaut, Le Monnier et l'abbé Outhier ; il y a aussi un peintre et un écrivain [cf. 20 avril 1736 (1)]. Aprez avoir fait en vain quelques tentati[ve]s de lier ensemble les isles du golfe vers les cotes [d']ostrobothnie, nous resolûmes d'aller vers la Lapponie. Ce qui nous a fort bien reüssi, ayant eu le bonheur de trouver la situation de 7 montagnes avec la fleche de l'eglise de Torneå, tres favorable pour les combiner avec six assez grands triangles de Torneå jusqu'à Pello, une distance à peu prez d'un degré, et qui est coupée par le cercle polaire. N'etait ici aucun chemin que les fleuves et les lacs, le fleuve de Torneå, qui heureusement tient la direction du Sud au Nord, nous a conduit assez prez de nos montagnes. Nous avons [pris] les angles avec un quart de cercle de deux pieds de rayon. Au lieu des transversales on a mesuré la distance de 10' entre deux points avec un micrometre à la façon de M[onsieu]r de Louville. Il y a un autre quart de cercle de 3 pieds de rayon, qui nous sert pour quelques observations astronomiques. Ces opérations trigonometriques ont duré pendant tout l'été, et nous ont causé beaucoup de peines, tant à cause de monter les montages tres rudes avec les instruments, et de marcher dans les forêts et les marais inhabités, que de descendre des cataractes violentes parmi les pierres, qui fort souvent renversent les bateaux. Mais une quantité prodigieuse de cousins nous a incommodé plus qu'aucune autre chose. Ces insectes là nous ont piqué au visage et sur les mains d'un[e] façon très sensible. Au mois de septembre dans l'autre extremité de nos operations sur la montagne de Kitis prez du village de Pello nous avons observé l'etoile δ du dragon à son passage par le meridien, par un instrument que Mr Graham à Londres nous a fait faire semblable à celui là de Mr Bradley. C'est un secteur de 5 1/2, dont le rayon est a peu prez de 9 pieds de Paris. L'arc est divisé par des points distants 7 1/2 l'un de l'autre. On mesure la distance entre ces points par les revolutions d'une vis qui fait mouvoir la lunette attachée à l'arc. Avec cet instrument nous avons observé la même etoile ici à Torneå, pour savoir seulement la difference des latitudes dans les deux bouts du meridien. Et nous sommes surs que l'erreur tant de l'observation, que de la division ne surpasse pas deux secondes. Nous avons encore un autre instrument de M[onsieu]r Graham, qui non seulement à une lunette verticalement mobile sur un axe horisontal, suivant la maniere de M[onsieu]r Römer, mais aussi horisontalement mobile. Avec cet instrument il est fort aisé de prendre les passages des etoiles dans chaque vertical, comme aussi d'observer les hauteurs correspondantes. Nous l'avons employé principalement a determiner l'angle, que fait la ligne meridienne avec les cotez de nos triangles. A present on est occupé a determiner les aberrations de notre etoile, en l'observant quelques jours par mois. Et aprez quinze jours nous pensons de mesurer une base au moins de 7 000 toises sur la glace du grand fleuve de Torneå. Ainsi vous voyez bien, Monsieur, que vers la Noël notre ouvrage sera achevé. Au reste ce païs ci est fort incommode pour des observations astronomiques, etant l'été sans nuit, et l'automne et l'hiver jusqu'a present toujours [avec] un ciel couvert de nuages et de brouillard. Ce qui nous a fait manquer l'observation du passage de Mercure par le Soleil. Cependant nous avons fait quelques observations astronomiques ; particulierement pour determiner la latitude et la longitude de Torneå, et sur les refractions. Vous me ferez plaisir, si vous voulez bien me communiquer toutes les occultations des etoiles fixes par la Lune, que vous avez observés depuis le commencement du mois de juillet jusqu'au mois de mars de l'année qui vient. Je doute encore si les refractions sont plus grandes ici que par exemple en France ou en Italie, au moins la difference est assez petite. La table de refraction de M[onsieu]r de la Hire s'accorde assez bien avec nos observations. M[onsieu]r Bilberg faisoit les refractions si grandes, a cause de son hauteur du pole de Torneå qui etoit 8' trop petite etc.

Je vous prie de rendre mes tres humbles respects à votre illustre Academie ; n'ayant rien que je souhaite plus qu'à mon retour à Uppsala d'etablir une correspondance entre celle là et la notre. Je suis avec beaucoup d'estime, Monsieur, votre tres humble et tres obeïssant serviteur And[ers] Celsius,

Torneå le 20 novembre 1736.

Si vous voulez me faire l'honneur de m'ecrire, je vous prie de donner la lettre à notre ministre à Petersbourg ou de l'adresser tout droit à M[onsieu]r Clais Grill à Stockholm. Nous avons fait aussi des observations sur la longueur du pendule simple, qui toutes confirment les observations faites vers l'équateur (AN, mar, 2 JJ 64, 2).
Cette lettre de Celsius croise celle de Delisle du (30 novembre 1736) [19 novembre 1736] (2). Delisle y répondra le (18) 7 janvier 1737 et le (15) 4 février 1737.
Abréviation
  • AN : Archives nationales.
Courcelle (Olivier), « ([1 décembre]) 20 novembre 1736 : Celsius (Torneå) écrit à Delisle », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/npoco1decembrecfpf20novembre1736.html [Notice publiée le 26 mars 2008].