8 juin 1738 (1) : Maupertuis (Saint-Étienne [de Mouillac]) écrit à Celsius :
Je vous écris toujours 3 lettres, mon cher Monsieur, pour une que je reçois. Je devrais il y a longtemps avoir reçu la réponse à une lettre que je vous écrivis en vous envoyant les feuilles de mon livre par la poste. J'ai quitté Paris depuis quelque temps et suis venu en Bretagne. Je vous avoue que les injustices que j'ai éprouvées en sont un peu la cause, et dès que mon livre a été hors de la presse, je suis parti et l'ai abandonné à tous ce que les sots ou les malintentionnés en voudront dire. Me voici maintenant à lieu d'exécuter le projet que vous me proposiez l'autre jour de mesurer le lac Weter [Vättern]. Et je suis sûr que si nous l'entreprenons, il sera encore mesuré avant le retour de ceux du Pérou. Je pourrais me rendre à Gotenbourg cet automne, et nous pourrons mesurer ce lac cet hiver, soit à la perche, soit à la chaîne ; et comme nous pourrons nous servir de gens peu intelligents dans cet ouvrage où il n'est presque question que de savoir bien compter, je ne doute pas que la mesure ne puisse être faite dans 15 ou 20 jours. Pourvu que nous soyons sûr que le lac gèle, et c'est de quoi vous pouvez être parfaitement informé et dont je vous prie de vous bien informer. Cette mesure étant faite, je demanderai au printemps prochain le secteur à M. de Maurepas qui, sûrement, ne me le refusera pas ; et la détermination de l'amplitude ne sera plus qu'un jeu. Mais je ne voudrais pas emporter le secteur avec moi, ni commencer par déclarer une entreprise que nous ne savons pas si elle réussira. Je voudrais que nous ne nous engageassions à faire rien que ce que nous voudrions faire nous-même, et que nous n'eussions à rendre compte à personne. Quand le lac sera mesuré, il sera assez temps d'en parler, et je ne doute pas que M. de Maurepas ne nous procure les moyens de mesurer l'amplitude : mais je voudrais qu'avant ce temps, tout ne dépendît que de vous et de moi ; et certainement malgré tout ce qu'il m'en a déjà coûté dans l'autre voyage, je ferai toute la dépense nécessaire pour cette entreprise et aimerais beaucoup mieux que nous fassions ainsi, que de le faire pour le compte de personne et de risquer de n'avoir que du chagrin au retour. Je partirai donc lentement avec des mesures, une pendule et l'instrument de M. Graham pour la méridienne, que je puis faire venir de Paris à S[ain]t Malo sans qu'on sache pourquoi. Je ne crois pas qu'on puisse rien voir de plus beau que ce projet s'il peut réussir. Il nous mettra en état de déterminer par nous-même la figure de la Terre indépendamment de la mesure de Picart et de Godin. Pensez, mon cher Monsieur, que je suis prêt de faire pour cela un grand voyage, et que ce n'est pour vous qu'une promenade. Mais je vous prie surtout que la chose demeure secrète entre nous jusqu'à ce qu'elle ait réussi, car après la manière dont les choses ont tourné, je craindrais beaucoup d'aller faire une entreprise annoncée qui ne réussirait point. Personne, après les mécontentements que j'ai eus, ne sera surpris de me voir retourner dans un pays qu'on sait que j'aime et que je n'ai pas assez vu. Et nous une fois sur les lieux, le lac sera mesuré avant qu'on sache en France que nous le mesurons. J'ai écrit à mon père d'envoyer à M. de S[ain]t-Séverin par Rouen quelques exemplaires de la relation de notre première expédition. Il y aura un paquet pour Upsal, et je vous prie de présenter des exempl[aires] à la Société royale et à ceux de nos illustres confrères que j'ai l'honneur de connaître. Il y en a un aussi pour M. le gouverneur de d'Upsal que je vous prie de lui présenter de ma part. Adieu mon cher monsieur. L'ouvrage dont je parle me sera d'autant plus agréable qu'il me procurera encore le plaisir de vivre avec vous. Je suis de tout coeur etc. [PS] Si le lac ne gelait pas, nous pourrions prolonger notre mesure de Torneå jusqu'à Mallhörn et mesurer séparément l'arc de Torneå à Mallhörn. Réponse sur tout cela je vous prie au plus tôt. J'espère que vous qui avez formé le projet, n'aurez pas changé d'avis. Ce serait, je crois, un moyen de faire périr l'envie. Je ne vous ai pas dit tout ce que j'ai eu à souffrir depuis mon retour. Je ne suis pas plus content de l'Académie que du reste, et quelques-uns de nos compagnons, après s'être crus payer par une pension fort modique, ne se sont pas plus embarrassés de notre mesure que le sont les ouvriers d'un ouvrage qu'ils ont fait après qu'ils ont été payés. Il n'y a pas eu une circonstance depuis mon retour qui n'ait été fâcheuse pour moi. Je n'espère plus trouver de ressource qu'en vous et en faisant avec vous quelque chose de grand. Adressez vos lettres à Paris comme à l'ordinaire parce qu'elles me viendront plus sûrement. Adieu mon cher Monsieur (Nordenmark 36, pp. 93-94).
Celsius déclinera la proposition en arguant de la rupture possible de la glace, ainsi que cela apparaît dans la lettre de Maupertuis du 22 décembre (cf. 22 décembre 1738 (1)).
Courcelle (Olivier), « 8 juin 1738 (1) : Maupertuis (Saint-Étienne [de Mouillac]) écrit à Celsius », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n8juin1738po1pf.html [Notice publiée le 30 juin 2009].