M[essieu]rs Nicole et Bouguer ont fait le rapport suivant des Elémens d'algébre de M[onsieu]r Clairaut. Nous avons éxaminé par ordre de l'Académie [cf. 4 août 1745 (1)] les Elémens d'algebre [C. 31] de M[onsieu]r Clairaut. Ces elements ont cela de commun avec ceux de géometrie [C. 21] que nous a donné le même auteur, que nulle verité n'y est presentée sous la forme de theoreme ; mais que toutes semblent être découvertes en resolvant les problemes que le besoin ou la curiosité ont de temps en temps mis dans la necessité de tenter. Il y a bien de l'apparence que ce sont des problemes utiles au commerce, comme les règles d'alliage, ou comme ces questions dans lesquelles il s'agit de partage une somme selon les conventions embarassantes faites par plusieurs particuliers, qui ont occupé les premiers algébristes. Lorsqu'il a fallu dans ces recherches faire attention a trop de choses à la fois, on a été obligé pour soulager son imagination de se faire de toutes ces choses une mémoire locale, et de s'aider de quelques caracteres ou de quelques signes qui en rapelassent l'idée. Il n'a pas fallut s'arrêter à ce premier pas, il a fallu encore imaginer des signes pour marquer les démarches mêmes de l'esprit, pour rmontrer au premier coup d'œil jusqu'à quel point on avoit porté la solution, avec les operations qu'il restoit encore à faire. cette maniere d'écrire les questions, et d'énoncer d'une façon concise une longue suite de rapports et de raisonnemens, est l'algebre naissante, et chaque lecteur pense pour ainsi dire en être soi même l'inventeur, en lisant le livre instructif et méthodique dont nous rendons compte. Pour aller toujours du plus simple au plus composé, M[onsieu]r Clairaut ne considere d'abord, et avec raison que les grandeurs numériques, parce qu'elles sont plus propres à fixer l'attention des commençants. Montrant ensuite qu'en résolvant plusieurs fois le même probleme pour differentes suppositions de nombres, il y a toujours une certaine partie de l'opération qui se repete, on fait naître naturellement au lecteur la pensée qu'on peut éviter cette longue et ennuyeuse répétition, et résoudre les problemes une seule fois pour toutes, en exprimant les grandeurs données, non par des nombres, mais d'une maniere générale par des lettres. Tel a été effectivement le progrès de l'algèbre. La specieuse, inventée par Viette, n'est que le fruit des derniers siècles, quoi qu'on eut déjà fait de grandes découvertes dans l'art de résoudre toutes les difficultés algébriques. M[onsieu]r Clairaut en insistant sur l'usage de ces solutions générales, et en parcourant differents problemes, en trouve bientôt d'assez compliqués pour qu'on ne puisse pas en venir à bout sans employer les quatre opérations ordinaires de l'arithmetique sur les grandeurs litterales. C'est le besoin qui détermine toujours dans ce traité à entreprendre chaque éxamen particulier : jamais le lecteur n'est obligé de se demander à quoi serviront les choses auxquelles il s'applique, il en a déja reconnu d'avance l'utilité, et son attention est soutenuë ou plûtôt renouvellée sans cesse par cet ordre qui règne dans les nouveaux eléments, et qui en fait un des principaux caracteres. Le lecteur, bien loin de se trouver arrêté par ces difficultés qui embarassent ordinairement les commençans dans la multiplication et la division des grandeurs litterales, se trouve ici comme porté à l'origine de la distinction des quantités diversement affectées, et il imagine comme de lui même, tout ce qu'il y a à dire sur la difference des grandeurs positives et négatives ; il découvre en métaphysicien que ce n'est que parce que les solutions algébriques sont absolument générales, qu'elles fournissent des grandeurs négatives ; sçavoir, lorsque les quantités qui satisfont à la question, n'y satisfont que dans un sens contraire à celui qu'on avoit considéré en énonçant les conditions du problême. M[onsieu]r Clairaut met après cela ses lecteurs en état de traiter toutes les equations du premier degré qui contiennent une seule inconnuë, ou qui en contiennent plusieurs ; et comme il se présente souvent dans ce travail de longues fractions qu'il faut réduire à une expression plus simple, on ne se contente pas d'expliquer la methode ordinaire, de trouver le plus grand commun diviseur, et on la rend plus sûre et en même temps qu'on l'établit sur des principes plus évidents. Nous croyons ne pas devoir entrer dans un plus long détail sur cet article, parce que l'Académie a pu en juger par elle même ; ainsi nous passons à la seconde des cinq parties que contient le traité. Un probleme dans lequel il s'agit d'interêts, presente aux commençans une equation du 2d degré, et leur fait sentir que les methodes expliquées dans la première partie sont insuffisantes pour le résoudre. En éxaminant cette nouvelle equation, on apercoit le chemain qu'il faut suivre pour découvir ses deux racines. M[onsieu]r Clairaut a eu le soin de choisir exprès un probleme dans lequel les deux racines sont positives, afin qu'elles attirassent également l'attention du lecteur à qui il est facile d'appercevoir qu'elles remplissent parfaitement l'une et l'autre toutes les conditions de la question. On fait voir l'utilité des racines négatives dans un autre probleme choisi avec le même soin, ce qui acheve de donner une notion distincte de ces dernieres grandeurs. On offre ensuite des racines imaginaires, en faisant remarquer qu'elles sont d'une nature bien différente de celle des autres, et que comme elles naissent de quelque contradiction introduite dans le probleme, elles montrent toujours, lorsqu'elles sont seules, qu'il est impossible de le résoudre de la maniere particuliere dont il a été proposé. C'étoit ici naturellement le lieu d'enseigner toutes les differentes opérations qu'on peut faire sur les grandeurs radicales dont le lecteur n'avoit auparavant aucune idée. Après s'être étendu sur ce sujet on passe aux problemes dans lesquels il faut employer plusieurs equations du second degré, et qui contiennent chacune plusieurs inconnuës. M[onsieu]r Clairaut explique d'abord la méthode ordinaire, qui consiste à tirer de chaque equation une valeur d'une des inconnuës, et à égaler ces valeurs entre elles. cette methode est quelque fois longue et incommode : en insistant sur celle de M[onsieu]r Clairaut, on fait voir qu'elle est fort supérieure à l'autre, et qu'elle peut s'appliquer à tous les degrez, parce qu'elle ne suppose pas qu'on sache résoudre chacune des equations particulieres. La 3eme partie des nouveaux elements a pour objet les equations de tous les degrez considerées en général : on y parle du nombre de leurs racnes ; des proprietés qu'ont les coefficients du 2d et 3eme terme d'être ou la somme des racines, ou celle de leur produit, etc. On en infère la fameuse règle de M[onsieu]r Descartes pour trouver toutes les racines commensurables d'une equation quelconque. M[onsieu]r Clairaut passe ensuite à la methode de Mr Newton, qui s'étend non seulement aux racines commensurables, ou diviseurs d'une dimension, mais à ceux de deux, et d'un plus grand nombre ; et il ne se contente pas de nous en donner la demonstration que Mr Newton avoit supprimée à son ordinaire, il nous montre par quelle voië on a pu decouvrir cette methode. L'usage si singulier des progressions, que fait Mr Newton dans cet endroit de son arithmetique universelle, et qui paroît d'abord si éloigné du sujet est exposé ici d'une maniere si naturelle que le lecteur prévoit toutes les démarches qu'on lui fait faire ; et cependant on a le soin de l'éxercer déja dans diverses adresses de calcul, qui peuvent lui servir dans une infinité de diverses occasions où l'appliquation de méthodes générales seroit extremement longue. M[onsieu]r Clairaut traite encore dans la 4eme partie des equations de tous les degrez ; ; mais en supposant qu'elles n'ont que deux termes, ou si elles en ont trois, qu'elles peuvent se réduire au second degré par une simple transformation. Il fait voir d'abord que celles qui n'ont que 2 termes, et qui semblent ne donner qu'une ou 2 racines, en ont toujours autant qu'elles ont de dégrez pourvû qu'on admette les racines imaginaires. Les radicaux de tous les degrez s'introduisant ainsi pour la premiere fois dans l'algèbre aux yeux du lecteur, il faut donc qu'il s'exerce à faire sur ces radicaux, toutes les opérations qu'il avoit déja faites sur ceux du 2d degré. M[onsieu]r Clairaut ne laisse pas échapper cette occasion de traitter d'une maniere générale de l'élévation des puissances, et de l'extraction de leurs racines ; et il fait voir en même temps avec sa clarté ordinaire, que ces racines ne sont que des puissances fractionnaires. Lorsqu'il éxamine les equations à 3 termes dérivatives du 2d degré ; c'est à dire, celles qui contiennent une inconnuë élevée à une puissance quelconque m dans un de ces termes ; et dans l'autre la même inconnuë élevée à une puissance double 2m, il trouve pour leurs racines des quantités qui sont en parties radicales, et en parties commensurables qui étant placées sous un signe radicale, peuvent se réduire parce qu'elles sont des puissances complettes. On a donc besoin d'une methode pour distinguer les quantités de cette espece qui sont des quarrés ou quelque autre puissance exacte. Mr Newton nous l'a déla donnée ; mais outre qu'il en caché la démonstration, sa methode n'est appliquable qu'aux seules quantités numériques, lorsque des exposans des racines passent le 2d degré. M[onsieu]r Clairaut commence par nous la démontrer, ou plûtôt il nous la présente en s'élevant du plus simple au plus composé par une route assés naturelle pour qu'on puisse la regarder comme celle de l'invention, et enfin il corrige un défaut auquel cette methode est sujette, quoi que personne ne s'en fut appercu ; c'est qu'elle ne peut pas réussir lorsque la racine contient des fractions, et que la quantité même n'en contient pas : telle est, par éxemple, 2+√5 dont la racine cubique est 1/2+1/2√5. Tout ceci donne occasion de discuter l'origine de la fameuse formule qui sert à élever un binôme à une puissance quelconque, soit que les exposans soïent entiers ou fractionnaires, ou qu'ils soïent positifs ou négatifs. M[onsieu]r C... montre le rapport qu'à cette matiere, ou au moins la formation des coefficiens avec la théorie des combinaisons qu'il nous expose par une voïe entierement nouvelle et beaucoup plus simple que toutes celles que nous avions vuës ; et ceci est non seulement mis à la portée des commençans ; mais expliqué de maniere qu'ils seront toujours comme tentés de s'attribuer toutes les réflexions qu'on leur suggere, ou au moins de se croire capable de les avoir faites eux mêmes. Enfin on revient dans la 5eme partie à l'éxament particulier des equations du 3e et du 4e degré qui étant d'un usage plus fréquent, nous interessent encore davantage. M[onsieu]r C... en considerant ces equations dans leur plus grande complication, fait evanoüir quelques uns de leurs termes par le moyen que nous devons à M[onsieu]r Descartes ; mais il se borne bientôt à faire évanoüir le 2d terme afin de rendre le calcul plus simple. Il donne ensuite la préférence pour la résolution des equations du 3e degré, à la méthode M[onsieu]r Varignon, et il en discute avec soin tous les differens cas. Obligé à l'égard du cas irreductible, de chercher les racines par approximation, il nous communique une methode toute de lui, qui sera extremement utile, puisque dès la premiere operation on obtient la valeur de la racine cherchée à une millième partie près, et par la seconde à un millionieme. Quant aux equations du 4eme degré, il les décompose à la maniere de M[onsieu]r Descartes en deux equations du 2d degré avec des coefficients indéterminés qu'on détermine par le moyen d'une equation du 6e degré, reductible au 3eme. Comme ces sortes d'equations sont sujettes au même inconvénient que celle du 3e, auxquelles on les rapporte, on n'est obligé que trop souvent d'en chercher les racines par approximation. M[onsieu]r C... y applique sa methode particuliere, et il le fait avec le même succès. L'Académie a déja vû ce morceau avec quelques autres qui ne méritent pas moins d'attention ; mais il faudra voir dans le livre même diverses choses peu susceptibles d'extrait. Cependant nous croyons que le détail dans lequel nous sommes entrés, suffit pour montrer que M[onsieu]r C... a parfaitement rempli toutes les vuës qu'il a du se proposer ; et qu'il nous donne non seulement des elemens d'algèbre écris avec la plus grande clarté, mais qu'il a réussi à simplifier plusieurs methodes, et à nous en donner un grand nombred'absolument nouvelles, quoique dans une matiere déja traittée par une infinité d'auteurs. Nous concluons donc, en assurant que ces eléments contriburont au progrès des mathématiques, et qu'ils sont dignes de l'impression (PV 1746, pp. 206-208).
Un second manuscrit de ce rapport se trouve dans le dossier de séance de juillet 1746 (AAS, dossier Bouguer). Grandjean de Fouchy en délivre un certificat le 5 août (cf. 5 août 1746 (1)). Une version simplifié du rapport se trouve dans HARS 1746, Hist., pp. 87-91.
PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Courcelle (Olivier), « 20 juillet 1746 (2) : Clairaut rapporté », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n20juillet1746po2pf.html [Notice publiée le 1 mai 2010].