17 septembre 1740 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler :
Monsieur, Il y a un temps infini que je souhaite d'être en correspondance avec vous mais la crainte de vous paraître trop hardi et celle de vous détourner de vos occupations m'ont empêché jusqu'à présent de prendre la liberté de vous écrire. Quoique ces raisons subsistent toujours, j'envie tellement le plaisir que plusieurs savants de mes amis ont d'être en commerce avec vous [Daniel Bernoulli, Maupertuis NDE], que je ne puis plus m'empêcher de vous prier de m'accorder la même grâce qu'à eux en m'honorant quelquefois de vos lettres. Si le peu de géométrie qui a paru de moi a pu parvenir jusqu'à vous et à mérité votre attention assez pour m'obtenir la grâce que je vous demande, je serais consolé de n'avoir encore produit que si peu de choses. Pour vous engager d'autant plus à me faire cet honneur là, je commencerai par vous assurer que je ne suis point de ceux qui ne veulent du commerce des savants que pour en faire parade ; c'est uniquement l'envie de profiter avec vous qui me porte à souhaiter notre correspondance. Pour vous le prouver je commencerai par vous prier de me répondre sur quelques articles qui m'intéressent. Voici de quoi il est question. M. Daniel Bernoulli vous envoya il y a quelque temps [cf. 2 janvier 1740 (1)], à ce qu'il m'a mandé, une partie d'un mémoire que j'avais fait sur le calcul intégral [C. 25]. Le principal fondement de ce que je donnai là dessus est un théorème sur les différentielles que j'énonce ainsi. Si Adx+Bdy exprime la différentielle d'une fonction quelconque composée d'x et d'y, la différentielle de A en supposant x constante et y variable est la même chose que la différence de B en faisant y constante et varier x, et en négligeant de part et d'autre les dx et les dy. M. Bernoulli, en m'écrivant qu'il vous en avait parlé, me dit que vous lui aviez répondu que vous connaissiez ce théorème. Comme il va être question incessamment d'imprimer ce mémoire, et que je ne voudrais pas donner mon théorème comme de moi s'il n'en est pas, oserais-je vous supplier de vouloir bien me mander où il peut être. C'est peut-être dans quelqu'un de vos ouvrages [(Euler 34a), (Euler 34b) NDE]et dans ce cas je ne manquerais pas de vous citer comme je le devrais. Je vous dirai à cette occasion, Monsieur, que j'ai déjà vu et je m'en fais gloire assurément que je m'étais déjà rencontré avec vous. Mais ce qui m'en afflige, c'est que je ne l'ai jamais su qu'après l'impression, en sorte que je n'ai pas pu vous citer. M. Bernoulli me mandait en même temps qu'une chose que je donnais à M. Bouguer n'était point de lui. C'est la manière de différentier une quantité comme [maths]. Si vous daignez me dire où vous aviez vu cette méthode et bien exposée généralement, je vous serais infiniment obligé. Ce n'est pas que je regarde cette différentiation comme quelque chose de bien difficile, mais je ne connais personne autre que M. Bouguer et M. Fontaine (un habile géomètre de l'Académie) après lui. M. Fontaine énonce ainsi généralement la méthode [maths]. Je crois que vous avez dit quelque chose qui mène à ce théorème, mais je ne sais pas où [(Euler 36a) pour deux variables, (Euler 34a) dans le cas général, et dans la réponse d'Euler à Clairaut (cf. [c.] (28) 17 octobre 1740) NDE]. Si vous vouliez me faire la grâce de me le mander, je vous serais très obligé, et en cas que vous vouliez me faire cette grâce je n'en pourrai profiter que par votre diligence à cause qu'on imprimera bientôt ces mémoires là. Mais quelle idée aurez-vous de moi, Monsieur, de commencer par vous être importun, je n'oserais jamais l'être à ce point là si je n'étais persuadé que vous êtes aussi obligeant que vous êtes profond, et que vous voudrez bien croire que je serai aussi reconnaissant que pénétré d'estime pour votre mérite étant avec la plus parfaite vénération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut. À Paris ce 17 sept[embre] 1740. Si vous voulez me faire l'honneur de me répondre, mon adresse est rue de Bourbon, près de la rue de Beaune, Faubourg S[ain]t-Germain à Paris (O IVA, 5, pp. 68-69).
C'est la première lettre de la correspondance entre Clairaut et Euler. Euler présente la lettre de Clairaut à l'Académie de Saint-Pétersbourg le (28) 17 octobre 1740, en même temps que sa réponse (cf. [c.] (28) 17 octobre 1740).
Euler (Leonhard), « De infinitis curvis eiusdem generis seu methodus inveniendi aequationes pro infinitis curvis eiusdem generis », Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae, 7 (1734-1735) 174-189 [4 mars 1739 (1)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Additamentum ad dissertationem de infinitis curvis eiusdem generis », Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae, 7 (1734-1735) 184-200 [4 mars 1739 (1)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 17 septembre 1740 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n17septembre1740po1pf.html [Notice publiée le 23 septembre 2009].