1785 (1) : Parution du portrait de Clairaut, par Bailly :
Le portrait de Clairaut serait celui du véritable géomètre. Un géomètre est un homme qui entreprend de trouver la vérité, et cette recherche est toujours pénible, dans les sciences comme dans la morale. Profondeur de vue, justesse de jugement, imagination vive, voila les qualités du géomètre : profondeur de vue pour apercevoir toutes les conséquences d'un principe, cette immense postérité d'un même père ; justesse de jugement pour distinguer entre elles les traits de famille, et pour remonter de ces conséquences isolées au principe dont elles dépendent. Mais ce qui donne cette profondeur, ce qui exerce ce jugement, c'est l'imagination ; non celle qui se joue à la surface des choses, qui les anime de ses couleurs, qui y répand l'éclat, la vie et le mouvement, mais une imagination qui agit au-dedans des corps, comme celle-ci au dehors. Elle se peint leur constitution intime, elle la change et la dépouille à volonté ; elle fait, pour ainsi dire, l'anatomie des choses, et ne leur laisse que les organes des effets qu'elle veut expliquer. L'une accumule pour embellir, l'autre divise pour connaître. L'imagination, qui pénètre ainsi la nature, vaut bien celle qui tente de la parer ; moins brillante que l'enchanteresse qui nous amuse, elle a autant de puissance et plus de fidélité. Quand l'imagination a tout montré, les difficultés et les moyens, le géomètre peut aller en avant : et s'il est parti d'un principe incontestable, qui rende sa solution certaine, on lui reconnaît un esprit sage ; ce principe le plus simple, offre-t-il la voie la plus courte, il a l'élégance de son art ; et enfin il en a le génie, s'il atteint une vérité grande, utile et longtemps séparée des vérités connues ! Aucune des ces qualités n'a manqué à M. Clairaut ; les preuves sont de l'histoire de la géométrie, les succès seuls sont de notre ressort. L'astronomie lui doit des progrès difficiles ; nous le jugeons ici par ce qui intéresse les hommes, et sur ce qu'il a fait d'utile. La théorie de la Lune, restée imparfaite dans les mains de Newton, le cours des comètes calculé, leur retour prédit, en rendant compte des causes qui le retardent ou qui le précipitent ; voilà ce restait à faire depuis Newton, depuis Halley ; et voilà ce que M. Clairaut a fait. Cela était difficile puisque deux grands hommes y ont été arrêtés ; cela était utile, parce [que] la connaissance des mouvements de la Lune amènera la perfection de la géographie et de la navigation, parce que la prédiction du retour de la comète caractérisera notre siècle et fera sa gloire. Le principal mérite de M. Clairaut fut le talent des applications : malgré son génie, il n'était point rebuté des détails ; il pensait qu'une vérité de pratique était préférable à celles qui restent ensevelies dans vingt pages d'analyse ; aussi n'a-t-il fait que des choses utiles. Son nom a été connu, porté partout et sera répété dans les âges. Si nous avons osé le louer, c'est que l'astronomie lui doit de la reconnaissance, c'est que nous sommes au moment où la postérité commence pour lui. La vérité peut élever une voix franche et nous ne sommes que son organe (Bailly 85, pp. 197-198).
Courcelle (Olivier), « 1785 (1) : Parution du portrait de Clairaut, par Bailly », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n1785po1pf.html [Notice publiée le 23 mai 2007].