6 décembre 1746 (1) : De Montigny est à l'Académie des belles-lettres :
Elemens d'Algebre [C. 31] par M[onsieu]r Clairaut imprimés en 1746. A la quantité d'ouvrages que l'on a vu paroitre depuis quelques années sous le titre d'Elemens ou d'Institutions de physique, de geometrie, ou d'algebre on peut juger que le goust des sciences se repand de plus en plus ; mais si l'on vient à examiner la plus part de ces ouvrages on a souvent lieu de craindre que ce goust ne soit bientôt etouffé par ceux mêmes qui veulent contribuer à le repandre. On croit que pour bien developper les principes d'une science ou d'un art il sufit de s'en être instruit soy même, que tout si reduit a exposer les objets comme on les a saisis, c'est a dire à rediger des leçons a mesure que l'on parvient a les entendre ; mais rarement de pareils livres peuvent servir à d'autres qu'à ceux qui les ont écrit. Des verités exposées sans aucune vües, souvent saisies par le coté ou elles sont bornées d'avantage, rarement accompagnées d'un objet utile bien loin d'interesser celui qui cherche a les connoitre ne servent qu'a le rebuter ; n'apercevant pas que les applications utiles se multiplient approportion des efforts qu'il fait pour s'instruire il languit sur des verités qu'il ne voit que comme épineuses et bientost il les abandonne en rejettant avec mepris sur ces connoissance mêmes la sterilité de ceux qui les lui ont présenté. Il faut avoir parcouruë toute entiere la carriere que l'on veut ouvrir à l'esprit humain il faut avoir atteint le but pour connoitre la voye directe qui doit y conduire ; ce n'est point encore assez il faut avoir inventé soy même pour pouvoir mener ceux qui veulent apprendre sur les traces de ceux qui ont inventé ; car c'est toujours la route la plus agreable, presque toujours aussi la plus simple et celle qui peut contribuer d'avantage à perfectioner, à étendre les facultés de nôtre esprit. Ou les verités sont utiles, ou elles ne doivent point entrer dans des ouvrages elementaires ; des suites de propositions ou de methodes necessaires composent les élemens des sciences et des arts chacune à son utilité particuliere jointe à celle de concourir avec toutes les autres a conduire au but ou l'on se propose de parvenir chacune doit en particulier son origine a quelque nouveau besoin qui portait son inventeur a la rechercher. On peut donc toujours la presenter d'une maniere interessante en exposant à l'esprit les besoins de l'inventeur, les motifs qui l'engageoient dans cette recherche particuliere, l'application qu'il vouloit faire de sa decouverte et tous les avantages qu'on en peut tirer, c'est avec cette adresse et sans s'ecarter de cette methode prise dans la connoissance même de l'esprit humain qu'on lui developpe dans ces derniers Elemens d'Algebre le plus ingenieux de tous les arts qu'il a inventés celui de decouvrir des rapports eloignés en debarassant nôtre attention bornée d'une trop longue suitte de raisonnemens qu'il faudroit embrasser a la fois sans le secours des signes de l'algèbre. Dans cet ouvrage toutes les methodes utiles sont exposées tant en general que par des applications particulieres ; depuis celles qui servent à exprimer et combiner les conditions d'une question proposée à resoudre, jusques à celles qui donnent la solution des équations finales de differens ordre ou la quantité que l'on cherche est melée sous differens rapports avec les quantités données du problême. Avant que d'y developper une methode l'auteur sçait presenter l'objet où elle peut conduire les motifs les besoins qui l'on fait inventer ; on la voit naitre dans la nature même des questions qu'elle doit resoudre elle embrasse tout ce qui doit entrer dans son essence et rein que ce qu'elle doit enfermer. A peine l'a ton saisie que l'on apercoit en foule les applications utiles que l'on en peut faire aux differents besoins ou du commerce ou des arts. Les methodes y sont simples et directes telles qu'elles ont du se presenter a ceux qui les premiers les ont apperceuës, on n'y quitte les traces des inventeurs que lors qu'ils ne se sont point engagés dans la routte la plus naturelle et c'est toujours pour perfectionner leur decouverte en l'amenant par de plus simples opérations telle en par exemple la methode dont on se sert pour élever a une puissance quelleconque un binome, c'est a dire une quantité composée de deux termes, ou celle d'approcher les racines des equations lorsqu'on ne peut pas les assigner en termes finis. L'auteur les perfectione l'une et l'autre, la premiere est amenée d'une maniere plus simple et plus lumineuse que celle dont on s'est servie pour la découvrir, la seconde va plus surement et plus rapidement a son but. Enfin tout interesse en parcourant cet ouvrage et l'on souhaite après avoir lû que M[onsieu]r Clairaut donnant a ses Elémens une plus grande étenduë expose dans une seconde partie avec la precision et la clarté qui regnent dans la premiere, l'application de l'algèbre a la geometrie. [Après évocation de diverses activités de l'Académie des sciences] Lû a l'Académie des belles lettres le mardy 6e decembre 1746 (American Philosophical Society, Ms 506. 44/ln73, pp. 199-205).
Courcelle (Olivier), « 6 décembre 1746 (1) : De Montigny est à l'Académie des belles-lettres », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n6decembre1746po1pf.html [Notice publiée le 6 mai 2010].