28 avril 1747 (1) : De Montigny à l'Académie des belles-letttres :
De l'abberration de la lumiere des planetes, des cometes et des satellites [C. 38] par M[onsieu]r Clairault. Par l'ingenieuse theorie de l'aberration de la lumiere et par toutes les determinations que l'on a faites depuis 20 ans des lieux des etoiles toujours conformes à cette theorie, il est a present demontré que nous ne voyons jamais les etoiles fixes par les rayons qu'elles ont directement lancé vers nous, mais par des rayons plus ou moins obliques. C'effet de deux mouvements combinés, l'un est celui de la Terre dans son orbite, l'autre est le mouvemt. de la lumiere qui se transmet des etoiles a nous avec une vitesse a la verité bien plus grande mais comparable à celle de la Terre. Pendant qu'une suite de globules lancés d'une etoile parcourt les espaces immenses que la nature à mis entre elle et nous, la terre decrit un petit arc de son orbe annuel, elle echappe au rayon de lumiere qui l'eut frappé. Sans le transport [on] ne peut plus appercevoir l'astre qui l'envoye que par la rencontre d'un autre rayon qui n'etoit pas lancé vers elle. De la l'etoile paroit incessament deplacée dans le firmament d'une quantité relative au deplacement de la Terre tandis que la Terre fait une revolution complette autour du Soleil centre de la sphere etoilée, chaque etoile fait en apparence une revolution complette autour de son veritable lieu decrivant une petite ellipse plus ou moins approcahnte du cercle selon qu'elle est située dans la sphere plus ou moins près de l'ecliptique ou de ses poles. C'est en 1728 que Mr Bradley a publié cette belle decouverte, on sentit bientost de quelle importance elle étoit pour l'astronomie. Elle tendoit à rectifier tous les lieux observés des etoiles, lieux qui servent de base a la pluspart des observations. Mr Bradley avoit donné sans demonstration les regles necessaires pour mesurer l'aberration en declinaison ; mais il etoit egallement necessaire de connoitre les aberrations en ascensions droite, et l'on n'avoit point encore les clefs de cette theorie lorsque M[onsieu]r Clairaut publia en 1737 une solution generale du problême de l'aberration des fixes qui renferme dans de simples formules tout ce que l'on peut desirer sur cette matiere. Cependant on n'avoit point encore tiré de cette decouverte tous les secours qu'elle peut offrir à l'astronomie pour determiner les lieux que les planetes et les cometes occupent dans la sphere celeste. On est obliger de mesurer leurs distances aux etoiles fixes dont les positions sont connuës, on corrige ces distances par une extremité ayant égard a l'abberration des fixes, mais on neglige une correction qui n'est pas moins necessaire à l'autre extremité ; celle qui convient a l'astre lui même dont la lumiere doit être egallement sujette aux effets de l'aberration. Il est vrai que les planetes sont assujeties dans leurs mouvemens a plusieurs causes d'inegalités plus considerables que celle cy, et que l'on a pas encore bien determinées ; mais il faut rectifier un grand nombre d'elemens pour parvenir a regler leur cours, il est d'autant plus important d'en bannir une source d'erreurs que la theorie nous decouvre. On sent aisément que ce problême est beaucoup plus composé que celui de l'aberration des fixes. Deux mouvements combinés ensemble celui de la Terre dans son orbite, et le mouvement progressif de la lumiere donnoient la solution du premier. Icy le mouvemt. de l'astre dans un plan different de l'ecliptique se trouve compliqué avec les deux autres. Mais la même adresse dont M[onsieu]r Clairault s'est servi pour resoudre la premier problême lui facilite encore la resolution de celui cy. Elle consistoit a regarder comme immobile l'œil de l'observateur en donnant a l'astre une vitesse egalle à celle de la Terre ; combinant allors les deux mouvemens de l'etoile il determinoit la diagonale ou la direction sous laquelle les rayons devoient partir pour parcourir le même chemin qu'ils on decrit en effet lors qu'ils nous font apercevoir l'astre qui les a lancés. En conservant icy la même supposition on considere le coté decrit en un instant par la planete comme la diagonale d'un parallelograme formé par une petite ligne parallele à celle que decrit actuellement la Terre, et par une autre ligne que la planete est censée décrire en supposant la Terre immobile ; de cette derniere ligne et de celle qui exprime la direction de la lumiere mesurée par sa vitesse on compose un nouveau parallelograme dont la diagonale est le vray rayon par lequel on voit l'astre observé. Cherchant les expressions analitiques de toutes ces lignes pour les combiner avec celles qui representent les positions de la planete et de son orbite, on parvient a determiner les angles d'aberration tant en longitude qu'en latitude ; mais ce n'est pas sans difficulté qu'on en forme les expressions algebriques quand on fait entrer dans cette recherche les deux excentricités ; celle de la planete, et celle de la Terre. La consideration de ces elemens rend tres generale la premiere solution que M[onsieu]r Clairault donne de ce problême, mais il fait voir comment on peut en simplifier les formules à les rendre plus com[m]odes pour la pratique en negligeant tout ce que l'on y peut negliger sans erreur sensible. Si par exemple on veut considerer l'orbe de la Terre comme un cercle ou le Soleil occupe le centre, ainsi que l'a fait Mr Bradley pour determiner l'aberration de des fixes, cet employ du cercle au lieu de l'ellipse rend les expressions moins composées en causant a peine une difference de 1/3 de seconde dans les quantités qu'elle mesurent. Pour s'en assurer, M[onsieu]r Clairault dans ses formules traite comme nulle la vitesse de la planete, elles retombent alors dans le cas de celles qu'il données en 1737 pour mesurer l'aberration de la lumiere des etoiles fixes [C. 19], mais avec cette différence qu'icy la Terre est considerée comme decrivant une orbite elliptique, et l'on trouve que la correction qui en resulte pour l'aberration des etoiles est d'un tiers de seconde tout au plus. En appliquant ces mêmes formules aux planetes, on trouve encore de nouveaux moyens de reduction dans l'inclinaison de leurs orbites et dans leur excentricité. Pour Venus, par exemple, celle de toutes les planetes dont la latitude peut être plus grande, M[onsieu]r Clairault fait voir que le cosinus de la latitude des elemens de ces formules differe très peu du rayon, qu'ainsi le rayon peut être employé sans erreur sensible a la place de ce cosinus, par la les calculs se simplifient et ces sortes de reductions sont toujours eclairées par une recherche precedente sur la quantité des differences insensibles qu'elles peuvent causer. C'est ainsi que dans les sujets compliqués, l'esprit analytique avance insensiblement vers son but sans embarras et sans obstacles, ayant l'adresse de s'en detourner d'une quantité dont il connoit la mesure et d'abbandonner une precision vaine pour atteindre avec facilité un degré d'exactitude plus que suffisant a nos besoins. Après avoir reduit par de semblables artifices a des termes simples les expressions qui donnent les quantités d'aberration tant en longitude qu'en latitude, M[onsieu]r Clairault recherche le tems où l'aberration d'une planete en longitude est la plus grande qu'il est possible. On trouve pas ses formules que le plus grand écart occasion[n]é par l'aberration en longitude doit arriver lorsque la planete est dans sa conjonction superieure avec le Soleil, ou dans son opposition si c'est une des planetes superieures, mais il faut qu'elle soit en même tems a sa plus petite distance du Soleil. Pour ce qui est du tems où l'aberration devient nulle en longitude, cette recherche est absolument le même que celle du tems ou les planetes semblent station[n]aires, car il est evident que quand elles n'ont aucun mouvement en longitude par rap[p]ort a la Terre, toute l'aberration doit cesser dans ce même sens. Ces problèmes resolus, M[onsieu]r Clairault les applique successivement a toutes les planetes. Il fait voir que Mars étant en opposition avec le Soleil, son aberration est entre 34'' 6 et 37'' 8. Le premier nombre est pour le cas ou la planete est à son aphelie, le second est pour le cas ou elle se trouve au peihelie. L'aberration de Saturne en longitude dans les mêmes circonstances est entre 26'' 1/3 et 29''. Elle est entre 13'' et 13'' 2/3 lors de la conjonction de cette planete avec le Soleil. Venus, dont le lieu peut être si utilement employé dans la recherche des longitudes, est egallement sujette a des corrections remarquables dependantes de l'aberration. Dans ses conjonctions superieures, son deplacement en longitude se trouve de 34'' 16. Dans ses conjonctions inferieures, il est de 3'' ½. Enfin dans les plus grandes elongations de Venus, on trouve que l'écart de cette planete est de 13'' et plus. Le rapport de la vitesse de la lumière a la vitesse moyenne de la Terre dans son orbite donnant un angle de 20'' pour l'inclinaison du rayon qui nous fait voir le centre du Soleil, il s'ensuit que la longitude de cet astre en quelque lieu qu'on l'observe doit toujours être diminué de 20''. Mais [si] cette erreur constante ne peut nuire aux observations, il n'en est pas de même de l'abberration du Soleil en declinaison. Elle peut varier depuis 0 jusques a près de 8'', quantité dont les hauteurs meridiennes du Soleil peuvent paroitre trop grandes ou trop petites dans les equinoxes, mais au tems des solstices, elle ne sont point changées par l'aberration. Comme le Soleil est deplacé dans son ecliptique d'une quantité qui ne varie pas, ainsi la Lune doit être deplacée dans le sien d'une quantité toujours constante. Mais la premiere est a la seconde comme la vitesse de la Terre autour du Soleil est à celle de la Lune autour de la Terre. Ce rapport est d'environ 33 à 1, d'où l'on peut conclure que l'aberration de la lumiere de la Lune ne va pas à 2/3 de seconde, quantité trop peu sensible pour meriter l'attention des astronomes. Quant à l'aberration, M[onsieu]r Clairault la tire pareillement de ses formules pour toutes les planetes, mais dans Mercure même, qui donne la plus grande, elle est si peu considerable qu'on peut la negliger sans scrupule dans presque toutes les observations. Les regles dont on s'est servi pour determiner l'aberration des planetes sont appliquées avec la même facilité a la rectification des lieux des cometes dans la suite de ce memoire. M[onsieu]r Clairault le termine par une autre solution du même problême, plus simple encore que la precedente. Il en tire cette regle generale : Pour trouver l'abberration de la lumiere d'une planete ou d'une comête ayant la distance de l'astre a la Terre, il faut chercher d'abord une quatrieme proportionnelle à cette distance, à celle de Terre au Soleil et a la quantité de 20''. Ayant ensuite determiné de combien l'astre varie en un jour soit en longitude ou en latitude, en ascension droite ou en declinaison, on fera cette proportion comme une jour est au temps que la Terre employeroit a parcourir cette quatrieme proportionnelle que l'on a cherché precede[m]ment, ainsi la variation de la planete ou de la comête est a son aberration demandée. On est etonné de trouver une regle de pratique aussi generale, aussi simple a la suite d'un probleme aussi compliqué (AAS, 1 JJ 232, non paginé).
Courcelle (Olivier), « 28 avril 1747 (1) : De Montigny à l'Académie des belles-letttres », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n28avril1747po1pf.html [Notice publiée le 17 juin 2010].