Les recherches que j'ai faites sur ce sujet [précession des équinoxes], jointes à d'autres occupations m'ont empêché d'examiner jusqu'à présent la question du mouvement de l'apogée. Il est vrai que j'ai cru, comme vous, Monsieur, et M. Clairaut, que la théorie ne donnait que la moitié du mouvement observé, mais je pourrais bien m'être trompé en cela. Je désire même m'être trompé, car je ne voyais pas sans quelque peine, que ce phénomène ne cadrât pas avec les observations, étant certain que toutes les autres inégalités du mouvement de la Lune sont aussi bien d'accord qu'on puisse le désirer avec les tables ; car la différence n'est que de 10 à 12', comme j'ai eu l'honneur de vous le marquer. Il est vrai que si le mouvement de l'apogée n'est que de 18 ans, l'erreur pourrait aller à 12°, mais j'avais supposé une force ajoutée à la gravitation, et qui fît faire à l'apogée son tour de neuf ans. Reste à savoir si cette force est inutile. C'est ce qu'il faut examiner avec grand soin, et je n'ai pas envie de prononcer là-dessus à la légère. L'expérience me rendra sage à l'avenir. Quoi qu'il en soit, Monsieur, je vous avouerai, qu'en supposant même que nous ne nous soyons point trompés dans le calcul du mouvement de l'apogée, je ne goûte nullement l'opinion où vous paraissez être, et où M. Clairaut était aussi, que l'attraction ne suit pas exactement la loi inverse du carré des distances. Si l'apogée de la Lune ne faisait en effet son tour qu'en 18 ans, en vertu de la force du Soleil, j'aimerais mieux expliquer son mouvement en neuf ans par le moyen de quelque force particulière, magnétique ou autre, qui vienne de la Terre, que de changer pour un seul phénomène une loi qui s'accorde avec toutes les autres et qui est fort simple. J'ai peine à supposer que l'attraction d'un atome dépende d'autre chose que de sa masse et de sa distance, et en ce cas l'attraction ne peut être que le produit de la masse par une puissance simple de la distance, autrement il faudrait faire entrer dans l'expression de la force attractive un paramètre que je vous avoue que je ne sais où prendre. Je crois aussi que cette fonction n'aurait pas l'avantage d'être une loi générale pour la pesanteur des planètes et des tuyaux capillaires, comme M. Clairaut le prétend : car l'attraction qui cause l'ascension des liqueurs dans les tuyaux capillaires étant plus grande de beaucoup que la pesanteur terrestre, je ne vois pas comment on pourrait accorder cette expression avec la raison réciproque du quarré des distances, qui se trouve, au moins à très peu près, entre la pesanteur de la Lune vers la Terre, et celle des corps terrestres. Que résulte-t-il de tout cela, Monsieur ? C'est qu'il ne faut point se presser et que nous devons prendre tout le temps nécessaire pour examiner un question si importante. Je souhaite que le mouvement de l'apogée cadre avec le système de Newton, mais quand il ne cadrerait pas, je n'en croirais pas ce système moins vrai, puisqu'il rend raison de tous les autres phénomènes célestes que nous connaissons, et entre autre autres des inégalités les plus considérables du mouvement de la Lune, et des mouvements jusqu'ici observés dans l'axe de la Terre, comme vous le verrez par l'ouvrage que je viens de publier [(Alembert 49b)] (O IVA, 5, p. 301).
Références
Alembert (Jean Le Rond, dit d'), Recherches sur la précession des équinoxes, et sur la nutation de l’axe de la terre, dans le système newtonien, Paris, 1749 [Télécharger] [13 décembre 1741 (1)] [17 mai 1749 (1)] [Plus].
Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 20 juillet 1749 (1) : D'Alembert écrit à Euler », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n20juillet1749po1pf.html [Notice publiée le 6 août 2010].