Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


20 février 1748 (2) : Calandrini (Genève) écrit à Cramer :
Mon tres cher amy

Vous trouverez cy incluse ma reponse à M[onsieu]r Clairaut [cf. 19 février 1748 (1)] que je vous prie de luy remettre avec bien des remerciements de ma part de sa politesse et de ses offres obligeantes. Vous trouverez cy joint la copie de cette réponse : elle roule sur quatre points, 1°. J'y fais voir qu'il n'y a nul défaut dans ma methode, et qu'elle est suivant les principes les plus réguliers du calcul. La réponse a l'objection que m'a faite a ce sujet M[onsieu]r Clairaut e[s]t si evidente que je ne doute pas qu'il ne change en conséquence la 2e partie de son mémoire. 2°. Je justifie cette même methode sur le reproche que me fait M[onsieu]r Clairaut d'avoir omis la force p[er]pendiculaire au raion. 3°. J'examine la conjecture de M[onsieu]r Clairaut sur l'erreur où il croit que Mr Newton a eté au sujet du mouvem[en]t de l'apogée, et je fais voir qu'il n'est pas possible que Mr Newton ignorât que sa methode ne donnoit que la moitié du mouvem[en]t de l'apogée, que les raisons que M[onsieu]r Clairaut a de le penser ainsi ne sont pas fondées. 4°. J'examine la raison de cet ecart de la méthode de Mr Newton, je l'attribue à l'omission de l'excentricité et fait voir ce que l'on peut conclure de la methode qui m'est propre, en quoy consiste l'imperfection que je luy attribue moy même, j'indique la manière de la reparer, et que dans l'etat ou elle se trouve, elle ne laisse pas de faire esperer que la loy newtonienne peut s'apliquer sans correction a expliquer le mouvement des apsides. Je vous prie d'examiner ma lettre avant de la luy remettre, et de ne la luy remettre, qu'au cas que vous la trouviez convenable. Je crois bien que tout ne sera pas au gré de M[onsieu]r Clairaut, j'aurois presque souhaité de n'avoir pas eu à m'opposer a son memoire tant il m'est désagréable de ne pas me trouver d'accord avec luy mais il ne m'est pas possible de resister a l'evidence de ma première reponse qui entraine toutes les autres. Pour la question au fond, nos anglois m'ont souvent supposé que l'expression de la gravité pourroit etre une grandeur complexe, dont les petits termes s'evanouissoient dans les grandes distances, et les grands termes dans les petits et ils expliquoient par la, l'attraction des particules : je leur repondois que cela n'etoit pas necessaire, que la diversité d'attraction des differentes figures suffisoit, qu'une portion de matiere en boule attiroit pour le plus comme si la matière etant reunie au centre, la distance etoit égale au raion, que cette même matiere mise en ellipsoide attireroit bien plus fortement a l'extremité de son petit axe, et ainsi nous trouvames des diversites d'attractions dans les distances les plus prochaines. D'ailleurs plusieurs de ces attractions dependent d'autres principes, l'attraction de l'electricité n'est plus l'effet de l'attraction generale, si le magnetisme dépend aussi de quelqu'autre cause que l'attraction generale, comme il est bien probable, il peut y avoir des magnetismes entre les plus petites parties etc.

Il ne sera pas difficile de calculer ce qu'il faudroit ajouter a la force suivant le quarré des distances pour doubler le mouvement de l'apogée, et il faudroit voir si cette variation ne se feroit point sentir sur les pendules, en comparant la vitesse des corps tombant sur la Terre avec une force qui ramene la Lune de la tangente a son orbe, vitesse qui s'accorde si parfaitement avec la loy du quarré. Cette epreuve seroit la pierre de touche de la supposition de M[onsieu]r Clairaut, si la petitesse des quantités ne fait point qu'elles echappent à l'observation.

Mais avant tout il faudroit savoir si M[onsieu]r Clairaut trouve dans son calcul quelque fondement pour négliger l'excentricité, ou si c'est seulement per cortesia, car s'il n'avoit d'autre raison, je perfectionnerois mon calcul de l'excentricité de l'apogée, ou je vois deja quelques lueurs de facilitez ; mais il vous souvient peut-etre que le libraire m'avoit atteint quand j'en fus a ce point et qu'il fallut céder a son impatience, et reserver ce que j'avois commencé pour une autre occasion qui est peut-être celle cy. Je n'hesiterois pas à la saisir, mais il sembleroit que c'est ecrire contre M[onsieu]r Clairaut et rien au monde n'est plus contraire a mon inclination. Vous devez être ici en peu de tems, je vous attendray pour profiter de vos avis et sur le fond de la chose même, et sur la manière. On ne scauroit etre avec plus d'amitié et de reconnoissance etc. Tout à vous Calandriny [Calandrini].

Geneve 20e fevr[ier] 1748 (BGE, Ms fr. 657/a, f. 1).
Cramer transmettra la réponse de Calandrini à Clairaut qui en accusera réception le [6 mars] 1748 et répondra à l'intéressé le même jour (cf. 6 mars 174[8]).
Abréviation
  • BGE : Bibliothèque de Genève, Genève.
Courcelle (Olivier), « 20 février 1748 (2) : Calandrini (Genève) écrit à Cramer », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n20fevrier1748po2pf.html [Notice publiée le 12 juin 2010].