19 août 1732 (1) : Jean I Bernoulli (Bâle) écrit à Clairaut :
Monsieur Tout autre que moi seroit glorieux de se voir recherché [cf. 12 août 1732 (1)] par une personne de votre mérite et de votre savoir : vous avés, dites vous, le dessein de faire le voyage de Bale, pour profiter de mes instructions, mais sachés, Monsieur, que l'execution de ce dessein pourroit tourner à votre regret et à ma honte, quand vous trouveriés que le peu de lumiere que je possede en fait de mathematiques ne repondroit pas à votre attente. Il est vrai que dans le temps que la sublime geometrie étoit encore dans son enfance, je pouvois passer pour quelque chose auprés de ceux qui n'en avoient aucune ou du moins une très petite teinture, mais aujourd'hui que le monde est si eclairé et que cette science est presque parve[nue] à son plus haut degré de perfection, nous autres vieillards qui commençons à sentir l'engourdissement et la pesanteur d'esprit, sommes obligés de baisser pavillon devant les jeunes heros et de les reconnoitre pour nos maitres, qui ont poussé ces etudes bien au delà du terme où nous les avions laissées. Vous, Monsieur, en particulier, qui dans votre jeunesse accompagné d'une vivacité d'esprit extraordinaire, avés enrichi la geometrie des plus belles productions, qui font l'etonnement des plus grands connoisseurs, vous, dis-je, n'avés que faire de recourir à une source qui commence de tarir comme la mienne. Car certainement vous la trouveriés à sec ou peut s'en faut. Ainsi je ne sai[s] ce qui peut avoir induit M[onsieu]r de Maupertuis de vous donner le conseil de venir chés moi pour profiter, dites vous, de mes lumieres. C'est comme s'il vouloit envoyer le Soleil pour demander de la lumiere à la Lune. Si M[onsieu]r de Maupertuis a trouvé chés moi il y a déja 3 ans quelque reste dans ma besace, dont il a bien voulu se contenter, il n'auroit qu'à vous en faire communication et prévenir par là un voyage inutile. Il est le possesseur de tout ce que j'avois, et sçait tout ce que je sçai[s], et encore plus, car il a emporté par ecrit ce dont je n'ai pas gardé copie toujours. Pour ce qui est des forces vives, des resistances et d'autres questions de mécanique, il en est aussi instruit suffisamment, à peu de choses près, qui me sont venues dans l'esprit longtemps après son départ d'ici, sans cela il les sauroit aussi, je ne doute pas mème qu'il ne les trouvat de son chef, s'il se voulût donner la peine d'y mediter, car tout decoule des principes qui lui sont connus. Si non obstant de tout cela, vous persistés, Monsieur, dans le dessein de me venir trouver personnellement, je veux bien y consentir et le tiendrai pour une marque d'honneur que vous me ferés, mais à condition, que ce soit au hazard de ne pas trouver vôtre consentement, sans me faire le moindre reproche : car je ne sai[s] que trop, que les gens de votre portée et capacité sont très difficile à contenter, et surtout quand ils sont déja au comble de la science, dont ils cherchent la perfection. Cependant je croi[s] que vous ferés mieux de renvoyer vôtre voyage jusqu'apres l'hyver, car M[onsieu]r de Maupertuis sçait que je suis gouteux, et que cette mechante incommodité me saisit ordinairement entre l'automne et l'hyver, quelque fois aussi vers le printemps. Je serois donc faché que vous fussiés ici à baalier [bailler] sans que je pûsse vous etre utile, pendant que je serois attaché au lit. J'ai l'honneur d'être avec une parfaite estime Monsieur votre tres humble etc. J. Bernoulli Bâle ce 19 aoust 1732 (UB Basel, L I a 673, 192).
Cette lettre a pu être transcrite et présentée ici grâce à Fritz Nagel (Bernoulli Edition, Basel). Clairaut répond à Jean I Bernoulli le 1 octobre (cf. 1 octobre 1732 (1)).
Abréviation
UB Basel : Öffentliche Bibliothek der Universität Basel, Basel.
Courcelle (Olivier), « 19 août 1732 (1) : Jean I Bernoulli (Bâle) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n19aout1732po1pf.html [Notice publiée le 20 décembre 2007].