Le jeudi, le temps a continué d'être assez doux ; nous le trouvions doux, quoiqu'il gelât assez fort : M. de Maupertuis avait invité à dîner tous ceux qui nous avaient fait politesse, et les principaux de la ville : nous nous sommes trouvés 35 à table ; nous leur avons fait fort bonne chère. La cour et la rue étaient pleines de Finnois et d'enfants, qui venaient voir cette fête par curiosité. C'était le temps de la soire de Jukas Jerswi ; elle commence le 14 janvier, et finit le jour de la conversion de S. Paul. Elle se tient à 30 mils de Torneå, qui font à peu près 60 lieues de France ; les bourgeois de Torneå y vont en foule ; eux seuls ont droit d'y acheter ; il leur faut une permission du gouverneur de la province pour aller à cette soire ; cette permission leur coûte trois dalhers, qui valent 34 à 35 sols de notre monnaie : s'ils allaient a la soire sans cette permission, ils payeraient une amende de 150 dalhers copermyth [Une dalher copermylth vaut un peu plus d'onze sols, monnaie de France, et une dalher silvemyth vaut environ 34 sols NDA] ; c'est-à-dire environ 80 liv. de France. Il leur faut une semblable permission pour aller partout ailleurs ; cependant quand ils ne vont qu'à Oswer Torneå ou à Pello, la permission du lieutenant colonel qui commande dans la ville leur suffit, et elle leur est accordée gratis. Ils partent pour la soire de Jukas Jerswi dans leurs traîneaux, tirés par leurs chevaux jusqu'à Oswer Torneå ; là ils prennent des traîneaux tirés par des rennes, et renvoient leurs chevaux. Ils ont dans la place où se tient la soire, un grand nombre de boutiques qui leur appartiennent, et où ils logent. Ces boutiques qui font désertes le reste de l'année, font tout le village de Jukas Jerswi, avec l'église et la maison du curé. C'est là que les bourgeois de Torneå commercent avec les Lapons ; ils leur portent quelques bouteilles de brandevin, de sirop de sucre qu'ils tirent de Stockholm, du pain en gâteau séché. Les Lapons leur donnent en échange de la morue et d'autres poissons secs, des peaux et de la viande de rennes, des peaux d'ours, et de renard de différentes couleurs, des hermines et des martes. Je désirais d'aller voir cette soire ; la base étant mesurée, j'en avais le loisir ; mais je ne trouvai pas de compagnie qui me convînt pour faire ce voyage, M. le bourgmestre n'y étant pas allé. Au reste je n'y eus pas de regret, tout le pays était si couvert de neige que je n'aurais pu distinguer ni lacs ni rivières, à peine même aurais-je vu les forêts (Outhier 44, pp. 148-149).
Courcelle (Olivier), « 17 janvier 1737 (1) : Torneå », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n17janvier1737po1pf.html [Notice publiée le 9 novembre 2008].