M[essieu]rs Clairaut et de Montigny ont fait le rapport suivant de l'ouvrage de M[onsieu]r d'Alembert sur la précession de l'équinoxe [(Alembert 49b)]. Nous avons éxaminé par ordre de l'Académie [cf. 17 mai 1749 (1)] un manuscrit de M. d'Alembert intitulé : Recherches sur la précession des équinoxes et sur la nutation de l'axe de la Terre. Le but de cet ouvrage est de reconnoître si les loix de l'attraction telle que Mr Newton l'a supposée dans la nature, peuvent fournir la solution complette des phénomènes connus de la précession des équinoxes, et de la nutation de l'axe terrestre. Quoique le premier de ces deux problemes ait été traité par Mr Newton, quoique le dernier résultat de ses calculs s'accordent avec les observations en donnant 50'' du mouvement annuel retrograde au point d'intersection de l'écliptique de l'équateur ; quoiqu'on ait de justes raisons d'admirer l'éxactitude et la précision que cet illustre géometre apportoit ordinairement dans ses recherches, il ne paroît pas cependant que le probleme de la précession soit résolu comme on va tâcher de le faire sentir en exposant la méthode de Mr Newton, et les raisons de M[onsieu]r d'Alembert. La Terre est un spehroïde applati tellement posé par rapport au Soleil que ni son axe prolongé ni le diametre prolongé de son équateur, ne passent par le centre de cet astre. Il s'ensuit que les deux moitiés de la Terre, situées aux deux cotés d'un plan perpendiculaire à l'écliptique, passant par les centres des deux globes, doivent être inégalement attirées par le Soleil : D'égales quantités de matiere composent les deux hémisphéroïdes coupés par ce plan ; leur figure est parfaitement la même, mais l'un étant plus près, l'autre plus éloigné du Soleil, il faut qu'ils recoivent inégalement les efforts de l'astre dont l'attraction diminue en raison inverse des quarrés des distances : ces efforts tendent à ramener vers le plan qui passe par les centres du Soleil et de la Terre, les parties du sphéroïde terrestre qui s'en écartent davantage ; ils tendent donc à déplacer l'axe de la Terre ; en lui donnant un mouvement de rotation tel à peu près que celui d'une baguette chargée dont les extremités reçoivent en même temps d'inégales impulsions. Cette action n'auroit pas lieu si la Terre étoit sphérique [et] on se represente aisément que les forces du Soleil seroient également distribuées dans deux hemisphères égaux et semblablement posés par rapport à ce même perpendiculaire à l'écliptique. Détachant donc de la masse terrestre un globe dont le diametre est égal à l'axe de la Terre Mr Newton recherche les effets que le Soleil doit produire sur la seule enveloppe materielle qui donne à ce globe la figure d'un sphéroïde applati ; il fixe les dimensions de cette enveloppe sur des mesures bien moins parfaites que celles qui résultent des derniers travaux de l'Académie : suivant ces mesures, la difference des deux axes terrestres, est 1/178e. La Terre n'est pas elliptique, et ses couches ne sont point homogenes. Mr Newton la considere comme ellptique homogene, et donne aux axes 1/230e de difference, supposition contraire aux observations modernes, et qui seule rend sa solution insuffisante ; mais Mr Newton n'a pas pu connoitre cette erreur. Pour simplifier le calcul, il réduit toute la masse de cette enveloppe en un seul anneau très dense et très mince dans le plan de l'équateur, tel à peu près que l'anneau de Saturne ; il considere les particules qui le compose, comme une infinité de petites lunes adhérentes entre elles, emportées toutes ensemble par le mouvement diurne de l'équateur et tournant en 24 heu[es] autour de la Terre, il trouve que les nœuds de ces petites lunes, ou ce qui est la même chose, que l'intersection de cet anneau avec le plan de l'écliptique, doit retrograder de deux degrez par année, suivant la théorie de l'attraction. Mais l'action du Soleil sur l'enveloppe réelle du globe, n'est que les 2/8 [2/3 ? 2/5 !] de l'attraction de cet astre sur l'anneau qu'on vient de considererer, ce qui reduit à 48' le mouvement annuel des nœuds de l'enveloppe, en faisant toujours abstraction du globe qu'elle entraine. Le globe et l'enveloppe sont intimement unis ; il faut donc que la vitesse imprimée à l'enveloppe, se distribue dans toutes les parties de la masse totale, et qu'elles soient toutes animées d'une vitesse angulaire commune. Cette considération réduit selon Mr Newton à 10'' par année, le mouvement des points equinoctiaux causé par l'action du Soleil. Or l'action de la Lune, calculée dans les mêmes principes, doit produire selon le même auteur un mouvement quadruple de celui ci, c'est à dire de 40''. Il s'ensuit que le mouvement annuel des points equinoctiaux doit être de 50'' tel que les astronomes l'ont observé jusqu'ici. Quelque ingénieuse que soit cette maniere de considerer et de simplifier le probleme de la précession des équinoxes M[onsieu]r d'Alembert marque plusieurs défauts très essentiels. Mr Newton prend pour hypothese que le mouvement des nœuds de l'anneau doit être absolument le même, soit que les lunes qui le composent soient adhérentes ou isolées ; mais il s'en faut bien que cette proposition soit évidente : les lunes isolées sortiront du plan de l'anneau et les differentes révolutions de leurs nœuds dépendront des differentes inclinaison de leurs orbites : les lunes attachées resteront assujéties dans un même plan, les nœuds seront les mêmes pour toutes les orbites, ils auront un mouvement commun. Pour pouvoir tabler sur l'hypothese de Mr Newton, il faut démontrer le mouvement commun des nœuds, lorsque les lunes sont détachées : ce n'est pas sans peine que M[onsieu]r d'Alembert parvient à établir la verité de cette proposition fondamentale dont Mr Newton n'avoit point donné la demonstration. Un élement très important dans la solution du problême de la précession, est le rapport des forces que le Soleil et la Lune éxercent en même temps sur la Terre : Mr Newton conclut ce rapport de quelques observations choisies sur les hauteurs des marées, après avoir calculé dans sa theorie les phénomènes du flux et du reflux, il trouve que la force de la Lune est environ quadruple de celle du Soleil ; mais une pareille estimation paroît bien vague pour une recherche aussi délicate que celle de la précession des équinoxes : Plusieurs causes étrangeres à la gravitation, telles que les directions des vents et des courants, la figure des côtes, concourent à rendre les hauteurs des marées differentes de ce qu'elles seroient sans ces accidents. M[onsieu]r Daniel Bernoulli trouve en rapprochant d'autres observations des marées, que les forces de la Lune et du Soleil sont entre elles comme 5 et 2 : dans cette supposition le mouvement des points equinoctiaux se reduiroit à 35'' en conservant les autres éléments dont s'est servi Mr Newton. M[onsieu]r d'Alembert employe dans la nouvelle solution qu'il donne ici du même problême, une détermination bien plus précise des forces de la Lune et du Soleil ; il la tire de sa solution même, en comparant ensemble les deux mouvements observés dans l'axe terrestre, celui de la précession des équinoxes, et celui de la nutation de l'axe, constaté et mesuré par les observations de Mr Bradley. Outre les erreurs de fait, M[onsieu]r d'Alembert appercoit encore quelques méprises dans la solution de Mr Newton. Pour déterminer la quantité de mouvement que l'action du Soleil imprime à l'axe de la Terre, Mr Newton suppose que le mouvement de l'enveloppe extérieure du globe, et celui de l'anneau auquel cette enveloppe est réduite, sont entre eux comme les forces qui les animent, sans considerer que ces forces sont très inégalement distribuées dans les deux cas. Dans l'estimation d'une vitesse angulaire, on ne peut déterminer le mouvement de la masse totale, sans connoître le mouvement de chacune de ses parties : Qu'une masse soit attachée à l'extremité d'un levier, ou qu'elle soit distribuée sur toute la longueur du même levier, les mouvements causés par l'application d'une même force, y deviendront très differents. Mr Newton n'est pas plus exact lorsqu'il partage entre le globe et l'anneau, le mouvement que l'anneau seul isolé recevroit de l'action du Soleil : En corrigeant le principe dont il se sert pour cette distribution, et la réduisant aux loix connuës de la mécanique, M[onsieu]r d'Alembert fait voir que l'action seule du Soleil produiroit une vitesse annuelle de 12'' dans les points des équinoxes, et que cette seule correction donneroit 10'' de différence dans la précession totale, quantité qui ne peut échapper aux astronomes. Enfin dans toute cette recherche, Mr Newton n'a point eu d'égard au mouvement de rotation de la Terre, quoiqu'il entre pour beaucoup dans la quantité de la précession : M[onsieu]r d'Alembert fait voir que si l'on combine éxactement le mouvement de la Terre sur son axe, avec toutes les forces qui agissent en même temps sur elle, au lieu de trouver 10'' pour le mouvement causé dans les points équinoctiaux par la seul action du Soleil, on trouvera 23 à 24'' de mouvement annuel, en supposant le rapport des deux axes, et celui des deux forces, tels que Mr Newton les a supposés. Ces considérations ont déterminé M[onsieu]r d'Alembert à reprendre ce probleme comme une matiere encore neuve, et sans s'arrêter aux hypotheses de Mr Newton, il a tenté de la resoudre par une méthode rigoureuse et directe en partant des phénomènes observés, des loix de la mécanique et de celles de la gravitation en raison inverse des quarrés des distances. Après avoir exprimé les differentes forces que le Soleil exerce sur toutes les parties de la Terre, il détermine par un calcul exact la force résultante pour deplacer l'axe du spheroïde ; il fait la même chose pour la Lune, ayant égard à la position et à l'inclinaison de son orbite : Cette métode lui donne pour chaque instant les directions et les quantités absoluës des deux forcent qui tendent à faire tourner l'axe de la Terre. Connaissant les forces, il s'agit de déterminer leur effet, et c'est la partie la plus compliquée du probleme par la difficulté de réduire la rotation de l'axe terrestre, aux differents plans qui le reçoivent successivement. Cette recherche demande la solution d'un problême général de statique où M[onsieu]r d'Alembert détermine par une suite de propositions les loix de l'équilibre entre des puissances qui n'agissent ni dans le même plan, ni suivant des lignes parallèles ; il tire sa solution d'un principe qu'il a établi dans sa Dynamique [(Alembert 43)], où il fait voir que pour trouver à chaque instant le mouvement d'un corps sollicité par un nombre quelconque de forces, il faut considerer le mouvement qu'il avait dans l'instant précédent, comme composé d'un mouvement qui est détruit par ces forces, et d'un autre mouvement qu'il doit prendre reellement, et qui doit être tel que toutes les parties de ce corps puissent se suivre sans se nuire les unes les autres ; et c'est avec ce principe que M[onsieu]r d'Alembert parvient à exprimer dans deux formules les mouvements de l'axe terrestre causés par les actions combinées du Soleil et de la Lune, en supposant que le sphéroïde tourne avec une vitesse quelconque autour de son axe. Ces mouvements sont renfermés dans deux formules, parce qu'ils dépendent de deux variables dont l'une exprime le chemin que l'axe terrestre fait circulairement autour des pôles de l'écliptique, tandis que l'autre indique pour le même instant la quantité dont il est incliné sur le plan de ce grand cercle. La détermination de cette seconde variable donne la quantité de la nutation. On sçait par les observations de Mr Bradley, que l'étendue de la nutation est d'environ 18'' et que sa période repond éxactement à la révolution des nœuds de la Lune, qui s'acheve en 19 ans. En résolvant par approximation les deux formules où M[onsieu]r d'Alembert a renfermé la solution complette de son probleme, on voit que la nutation est le plus considérable des mouvements de l'axe terrestre, et qu'elle doit suivre la loi que Mr Bradley a déterminé par observation ; c'est à dire que dans l'espace d'une demie révolution des nœuds de la Lune, l'axe terrestre doit s'abaisser de 18'' vers le plan de l'écliptique, et se relever de la même quantité pendant l'autre demie révolution. Ce balancement cause une inégalité dans la précession des points equinoctiaux il faut donc une table d'équation pour corriger ce second mouvement : M[onsieu]r d'Alembert la tire de ses formules ; il donne des formules simples pour calculer la nutation de l'axe de la Terre, l'équation de la précession, et les variations qui en résultent dans les positions apparentes des étoiles fixes. Pour rendre sa solution aussi générale qu'elle peut l'être, il regarde la Terre comme un sphéroïde composé de couches solides dont les densités varient suivant une loi quelconque : on sçait par les mesures comparées de la Terre que sa masse n'est point homogène ; mais jusqu'à présent on ignore quelle est la disposition des couches qui la composent, et quelle est leur densité : Cependant ces deux éléments seroient absolument nécessaire pour trouver le rapport des forces du Soleil et de la Lune sur la Terre, si la découverte de Mr Bradley ne fournissoit pas un moyen de les determiner sans cette connoissance. Par les observations et par la theorie, on voit que la précession des équinoxes dépend des actions réunies de la Lune et du Soleil : On voit aussi que la nutation de l'axe, et l'équation de la précession, dépendent de la seule action de la Lune : On peut donc trouver le rapport des forces de la Lune et du Soleil, en comparant les effets observés de la nutation et de la précession : Pour satisfaire à ces phénomènes, les deux forces doivent être entre elles comme 7 à 3, rapport assez éloigné de celui qu'employe Mr Newton ; mais qui se trouve à peu près le même que celui de M[onsieu]r D. Bernoulli. On voit par le calcul de Mons[ieu]r d'Alembert que quelque arrangement qu'on suppose dans les differentes couches de la Terre, les quantités de la nutation et de la précession annuelle, auront toûjours entre elles le même rapport, quoique les forces absoluës varient nécessairement dans chaque hypothese. Il s'ensuit que sans connoître la distribution des couches terrestres, on peut déterminer le rapport des actions du Soleil et de la Lune : Cette découverte est un des principaux avantages que fournit la nouvelle théorie exposée dans cet ouvrage : Elle suffit aussi pour faire connoître l'imperfection de la methode qu'a donné Mr Newton. En considerant comme variables les densités des couches de la Terre, une infinité d'hypothese differentes pourront donner 50'' pour la précession annuelle des équinoxes, tandis qu'une autre infinité d'hypothese donneront des quantités plus ou moins grandes que celles ci. Cette remarque engage M[onsieu]r d'Alembert dans la solution d'un nouveau probleme où l'on voit que si la Terre étoit un corps entierement solide composé de couches elliptiques differemment denses, il faudroit qu'elle fut beaucoup moins applatie, qu'elle n'est en effet, pour que la précession annuelle put être de 50''. Mais pour se rapporcher de la nature par une hypothese particuliere très simple, il finit par considerer la Terre comme un sphéroïde elliptique homogene couvert d'une couche de fluide dont la profondeur est très petite relativement au rayon de la masse totale, et d'une densité differente de celle de la partie solide ; il fait voir comment on peut accorder dans cette hypothese l'applatissement connu avec la précession connuë des points equinoctiaux, quantités qui ne s'accordent point du tout dans l'hypothese de Mr Newton, quoi qu'il parvient à trouver par ses calculs 50'' pour la précession. Pour jetter plus de clarté dans la solution du probleme qui donne le mouvement de l'axe de la Terre dépendant de l'attraction, M[onsieu]r d'Alembert attaque ce même probleme par une seconde méthode un peu plus simple que la premiere, parce qu'elle est un peu moins générale. Les deux solutions le conduisent aux mêmes formules ; mais c'est par deux routes differentes. Cet accord est une preuve de la justesse de sa theorie, et de l'éxactitude de ses calculs dans la solution d'un problême très compliqué qui renferme une analyse complette des mouvements de l'axe terrestre et qui confirme le systême de la gravitation par une des plus belles applications qu'on ait faites. Nous ne doutons pas que l'Académie n'adopte, et que le public ne reçoive avec plaisir ce nouvel ouvrage de Mons[ieu]r d'Alembert (PV 1749, pp. 303-306).
Ce rapport est publié dans les Œuvres complètes de d'Alembert (AI/7, pp. 421-426). Les rapporteurs ont commis quelques erreurs lors de la rédaction de ce rapport, ce qui semble montrer qu'il serait largement écrit par de Montigny plutôt que Clairaut (AI/7, p. xcii-xciv). Le fond du rapport est repris dans HARS 1750, hist., pp. 134-141. Grandjean de Fouchy donne un extrait du rapport ce même 14 juin (cf. 14 juin 1749 (2)).
Abréviations
HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Alembert (Jean Le Rond, dit d'), Recherches sur la précession des équinoxes, et sur la nutation de l’axe de la terre, dans le système newtonien, Paris, 1749 [Télécharger] [13 décembre 1741 (1)] [17 mai 1749 (1)] [Plus].
Alembert (Jean Le Rond, dit d'), Œuvres complètes de d'Alembert. Série I : Traités et mémoires mathématiques, 1736 - 1756, vol. 7 : Précession et nutation (1749-1752), M. Chapront-Touzé et J. Souchay éds, Paris, 2006 [(8 novembre) 28 octobre 1738] [13 décembre 1741 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 14 juin 1749 (1) : Clairaut rapporteur », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n14juin1749po1pf.html [Notice publiée le 2 août 2010].