[c. 20 septembre 1736] (1) : Celsius écrit à la Lettre historique et politique :
Monsieur, Les voyages continuels que nous avons été obligés de faire de montagnes en montagnes, avec nos lapons, m'ont empêché jusqu'à présent de vous faire réponse ; mais l'obscurité qui nous retient ici, où nous ne pouvons découvrir nos étoiles, ni faire d'observations, me donne le temps de m'acquitter de mon devoir. Il y aura sans doute plusieurs personnes qui se seront imaginé que le but de notre voyage à Tornea, a été de voir la minuit de ce pays, ou ce qu'on nomme le Soleil du Nord, surtout parce que le Roi Charles XI a fait ce voyage en personne dans cette unique vue, il y a plus de 40 ans ; et l'année suivante, il envoya deux mathématiciens ici, pour faire de nouvelles observations pour l'avancement de l'astronomie en Suède. Je vous avoue que c'est pour cette raison que nous nous sommes rendus ici cet été, quoi que notre principal but ait toujours été de mesurer un degré du midi au septentrion, afin de découvrir par ce moyen la grandeur et la vraie figure de la Terre. Il y aura des gens qui s'étonneront sans doute, que des astronomes qui prétendent savoir la distance, la figure, et la grandeur des planètes qui sont éloignées de nous de tant de milliers de lieues, ne peuvent démontrer la figure et la grandeur de la planète qu'ils foulent tous les jours aux pieds ; mais, cela n'est point surprenant ; car ceux de la Lune, par exemple, observant notre Terre, peuvent connaître sa figure beaucoup plus facilement que nous, comme il nous est plus facile de démontrer la figure de la Lune, et s'il n'y a pas de mathématiciens dans la planète de Jupiter, je suis persuadé que ses habitants ignorent que leur Terre ressemble à une boule aplatie, plus haute sous son équateur qu'entre ses pôles. Ceux qui ne sont pas accoutumés à penser, s'imaginent que notre Terre a la figure d'une dame d'un jeu de tric-trac, etc. Le sentiment, tout impertinent qu'il est, a été soutenu par plusieurs, et trouve encore des défenseurs. Lorsque les voyages et des observations exactes sur le cours du ciel commencèrent à nous ouvrir les yeux, on remarqua, par exemple, en voyageant du septentrion au midi, que l'étoile polaire se couchait plus bas, qu'on découvrait des étoiles qu'on n'avait pas encore vu, et qu'on en perdait de vue d'autres qui avaient décrit un cercle entier sur l'horizon. Enfin, si l'on quittait la Terre, pour s'avancer assez en mer, on découvrait encore les clochers d'une ville comme si l'on était sur Terre ; et, lorsque de dessus le pont du vaisseau on les perdait de vue, on les revoyait du haut du mât. [Long passage qui rappelle toute l'affaire de la figure de la terre] En 1735, j'ai vu partir de Paris pour le Pérou MM. Godon [Godin], Bouguere [Bouguer] et Condamine, et au commencement de 1736, à mon retour d'Angleterre je rencontrai à Dunkerque MM. Clairaut, Camus, Monnier, l'abbé Outhier, et M. Maupertuis leur conducteur, qui me firent l'honneur de me recevoir dans leur compagnie. Les savants chargés de ces deux expéditions sont pourvus des plus exacts instruments pour leurs observations trigonométriques et astronomiques. Nous n'avons aucune nouvelle des progrès qu'ont fait ceux qui ont pris la route du midi ; quant à nous, nous avons joint pendant cet été les montagnes entre Pello et Tornea, et nous sommes occupés à présent à mesurer quelle étendue du ciel occupe cette distance. Aussitôt que les rivières seront gelées, nous mesurerons encore une base, et nous espérons qu'avant la fin de l'hiver, nous aurons mesuré un degré avec plus d'exactitude qu'on ne l'a fait jusqu'à présent (Celsius 37).
Celsius (Anders), « [Lettre pendant l'expédition en Laponie] », Lettre historique et politique, 102 (mai 1737) 584-598 [Télécharger].
Courcelle (Olivier), « [c. 20 septembre 1736] (1) : Celsius écrit à la Lettre historique et politique », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncoc20septembre1736cfpo1pf.html [Notice publiée le 19 novembre 2007, mise à jour le 7 mai 2010].