8 novembre 1728 (1) : Liébaux (Paris) écrit à l'abbé Bignon :
Monsieur L'eclat et le progrès dont les sciences et les beaux arts vous sont redevables, ne permet[t]ent point aux savans et aux habiles artistes qui s'y ap[p]liquent, de porter a d'autres qu'a vous, l'hom[m]age de leur travaux et même de leurs projets. La Societé des arts que vous avés bien voulu hon[n]orer autrefois de votre protection, autant convaincue de cet[t]e justice qu'il est possible de l'être, croiroit manquer au plus essen[t]iel de ses devoirs, si sa premiere demarche exterieure, depuis sa renaissance, n'etoit pas de vous of[f]rir un tribut si légitime et en même tems si propre a lui concilier l'estime et l'ap[p]robation publique. C'est dans cet[t]e double vue, Monsieur, qu'elle m'a chargé d'avoir l'hon[n]eur de vous ecrire, pour vous suplier de vouloir bien l'accepter ce tribut, et de lui faire la grace de la proteger encore presentement, qu'elle a resolu de s'at[t]acher plus particulierement a son objet, aussi bien que vous avés daigné le faire lorsqu'elle n'etoit, pour ainsi dire, que l'ébauche de ce qu'elle croit pouvoir se flat[t]er d'être aujourd'hui. Elle a l'hon[n]eur, Monsieur, de vous envoyer la liste des person[n]es qui la composent, le projet de ses reglemens, et une legere idée du plan qu'elle s'est proposée de suivre dans son travail et dans sa conduite. Elle s'assureroit du succès de l'un et de l'autre, si vous aviés la bonté de l'hon[n]orer de vos conseils, mais quoi qu'elle soit assés eclairée pour sentir combien ils lui seroient avantageux, elle est trop respectueuse pour oser demander tant de grandes choses en même tems. Pour moi, Monsieur, je ne puis retenir le sentiment qui me fait regarder com[m]e le plus grand avantage de la place que m'a don[n]é[e] la Societé, l'hon[n]eur de ct[t]e place me procure de pouvoir me dire avec le plus profond respect, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur Liébaux. A Paris ce 8 [novem]bre 1728 (BnF, fr. 22230, f. 372). Liste des Membres de la Societé des arts M[onsieu]r Belidor M[onsieu]r Clairaut pere M[onsieu]r Clairaut fils M[onsieu]r Crestelet du Plessis pere M[onsieu]r Crestelet du Plessis fils M[onsieu]r Enderlin M[onsieu]r Dandrieu M[onsieu]r l'ab[b]é Dègua [de Gua] M[onsieu]r Germain M[onsieu]r Grandjean M[onsieu]r Liébaux a l'ancien[n]e academie de Longpré M[onsieu]r Jacques Le Maire M[onsieu]r Le Normand M[onsieu]r Des Oeutres [Deseuttre] M[onsieu]r Petit M[onsieu]r Rameau M[onsieu]r Renard l'aîné M[onsieu]r Renard le cadet M[onsieu]r Le Roi l'aîné M[onsieu]r Le Roi le cadet M[onsieu]r l'ab[b]é de Romieu M[onsieu]r Rotiers [Röettiers] M[onsieu]r Pelays M[onsieu]r Jousse M[onsieu]r Blaky [Blackey] (BnF, fr. 22230, f. 373). Reglemens de la Societé academique des beaux arts 1°. La societé aura pour objet general la perfection des arts dont elle fera la description et même l'histoire. 2°. Elle s'appliquera a perfectionner les methodes dêja suivies et a en inventer de plus propres a unir intimement la theorie et la pratique, afin de rendre celle cy familiere aux theoriciens et celle là aux praticiens. 3°. Elle s'attachera principalement a la geographie, la navigation, la mechanique et l'architecture civile et militaire, mais sans negliger pour cela les autres arts, soit utiles, soit purement agreables. Les belles lettres auront même part a son attention quand ce ne seroit que pour balancer un peu l'austerité et la secheresse des matieres ausquelles elle a resolue de s'appliquer. 4°. La societé recevra avec plaisir la communication des inventions nouvelles et se fera meme un devoir d'aider aux inventeurs a les perfectionner lors qu'elles lui paroistront pouvoir estre de quelque utilité au public. 5°. La societé se chargera volontiers de faire construire ou d'examiner, les machines et instruments qui ont raport aux connoissance qu'elle a pour objet : comme par exemple, globes, spheres, cartes geographiques, instruments de mathematiques, d'astronomie, et de navigation, pendules et montres d'observations, lunettes, telescopes, microscopes, miroirs paraboliques, prismes, cadrans etc. Elle en donnera la description et les usages, et rendra comte par ecrit de leurs differens degrés de perfection si elle en est solicitée. 6°. La societé sera divisée en quatre classes ; scavoir, la classe des associes amateurs, la classe des associés assidus, la classe des associés libres et la classe des associés etrangers. Les associés amateurs seront des personnes distinguées par leur naissance. Ils se trouveront aux assemblées quand ils le jugeront a propos et y seront placés d'une maniere convenable. Les associés assidus se rendront aux assemblées, le plus regulierement qu'il leur sera possible et ne s'en dispenseront que par de grandes raisons. Ils seront obligés a donner chacun, au moins tous les ans un morceau de leur composition. Les associés libres ne se trouveront aux assemblées que suivant leur commodité, mais on leur saura gré de leur exactitude a s'y rendre. A l'egard des associés etrangers, ils feront part a la societé de leurs decouvertes ou du moins de celles dont ils auront connoissance. 7°. Les associés a leur reception feront un present a la compagnie de quelques livres, instruments, machine, dessein etc. chacun selon son goût ou son ministere, mais toujours a l'usage de la societté et qui luy restera en propre. 8°. Chaque membre de la societé, les etrangers exceptés, contribuera egalement a toutes les depenses qui seront resolues a la pluralité des voix avec cette condition pourtant que les associés libres contribueront le double comme n'estant obligés a aucun travail. Pour les amateurs on se gardera bien de prescrire aucune borne a leur liberalité. 9°. On n'admet[t]ra au nombre des associés assidus que des sujets dont la reputation dans les sciences ou dans les arts sera dêja etablie, et l'on engagera ceux qui se presenteront a fournir un morceau qui puisse estre garant de leur capacité. A l'egard des associés amateurs et des associés libres, le goût et l'amour des sciences et des beaux arts seront des titres suffisants pour l'admission. 10°. Tous les effets de la societé seront a l'usage de tous les membres, mais sur les lieux seulement et sans rien deplacer. 11°. On ne poura sans le consentement unanime de la societé retirer aucun des effets qu'on aura une fois abandon[n]és a la compagnie qui sera heritiere de ces effets a mesure qu'il plaira à Dieu de disposer de quelqu'un de ses membres. 12°. L'ordre estant l'ame et le soutient de toute societé on s'attachera tres serieusement dans celle cy a ne rien faire qui puisse le troubler. Pour mieux reussir en cela, on aura un grand fond d'egards les uns pour les autres ; on evitera toutes les expressions dures ou trop vives, et l'on ne decidera d'aucune chose de quelque nature qu'elle soit qu'a la pluralité des suffrages. 13°. On elira de cette maniere les cinq officiers de la compagnie, scavoir : un directeur, deux administrateurs, un secretaire, et un tresorier. Ces officiers feront leurs fonctions pendant une année, mais ils pourront estre destitués au bout de trois mois, six ou neuf mois, si la compagnie par une deliberation expresse de tous ces membres residens a Paris, juge qu'il est de son interest de le faire. Au contraire ils pouront estre continués une seconde année et mesme d'avantage si la compagnie le croit necessaire et qu'ils y consentent. 14°. Le directeur aura l'inspection generale des affaires de la societé ; il proposera les mattieres sur lesquelles la compagnie aura a deliberer et en reglera l'ordre conjointement avec les deux administrateurs et le secretaire, dans la deliberation generale, il donnera la voix le dernier et elle vaudra deux s'il n'en manque qu'une à l'un des deux sentiments qui partageront l'assemblée, il rendra compte de sa gestion de tois mois en trois mois. 15°. Les deux administrateurs auront la regie des affaires de la societé, sous l'inspection du directeur et feront ses fonctions en son absence. On n'elira d'abord qu'un administrateur et quelques temps apres on elira l'autre, afin qu'il y ait un premier et un second administrateur. Le premier administrateur tiendra la place du directeur en son absence et en tout tems receuillera les voix et fera raport a la compagnie des depenses qui seront necessaires de faire pour le bien de la societé, le second administrateur fera toutes les fonctions du premier en son absence. 16°. Le secretaire aura pour fonction de marquer sur les registres de la societé, les deliberations de chaque jour d'assemblée et la date de la reception de chaque membre de la societé. Il y fera aussy mention des memoires et autres ouvrages presentés a la societé, soit par quelqu'un de ses membres, soit par des etrangers avec la date du jour de la presentation et le nom de l'auteur. Il enregistrera aussy les depenses que fera la societé et exprimera la nature des emplois. Il donnera par ecrit le jugement de la societé sur les ouvrages qui y seront apportés quand les auteurs le demanderont. 17°. Le tresorier aura en depôt tous les fonds et tous les effets de la societé dont il gardera un inventaire exact col[l]ationné a [...] qui sera sur les registres de la societé, il fera toutes les depenses qui seont resolues par la compagnie et en rendra compte au secretaire qui luy en donnera quittance apres en avoir rendu compte luy même a la societé ou a des commissaires qu'elle aura nommés. 18°. Les assemblées ordinaires de la societé se feront le dimanche apres midy et la seance commencera a quatre heures pour finir a six. 19°. Les morceaux qu'on lira dans l'assemblée pour la premiere fois y seront lus de suitte et sans inter[r]uption, chacun pourra faire ses remarques sur un papier ou sur ses tablettes mais en particulier afin de faire ses objections et ses difficultés a la seconde lecture ou il sera permis d'interompre quand on croira avoir lieu de le faire. 20°. Pour eviter le tumulte et la confusion dans les suffrages, voicy l'ordre qu'on observera quand il s'agira de deliberer ou de dire son avis. Comme les places du directeur, des administrateurs et du secretaire seront fixes, scavoir celles des administrateurs a la droite et a la gauche du directeur et celle du secretaire a la droite du premier administrateur, quand il sera question d'opiner ce sera toujours le premier administrateur qui commencera a parler ce qui continuera par la droite jusqu'au directeur qui donnera son sentiment le dernier comme il a dela esté dit. On observera qu'il n'y ait de places affectées que pour les officiers dont il a esté fait mention : toutes les autres seront arbitraires et dependront du choix des associés ou plustost du tems qu'il arriveront a l'assemblée. 21°. Personne n'aura entrée dans les assemblées de la societé, s'il n'en est membre a moins que par une deliberation il ne soit jugé a propos d'en user autrement. La societé n'entend pas neantmoins que ce reglement regarde ceux qui auront quelque chose de nouveau ou de singulier a luy presenter en ce cas il suffira pour être introduit de s'adresser au tresorier qui en avertira la compagnie. 22°. On aura soin de ne rien laisser transpirer au dehors de tout ce qui aura eté proposé ou entamé dans les assemblées de la societé affin de se reserver la faculté de porter ses idées aussy loin qu'on en sera capable. 23°. Chaque membre de la societé aura une copie des reglemens de la societé afin d'estre plus en etat de les observer (BnF, Ms fr. 22225, ff. 1-6). Idée de l'etablissement de la societé académique des beaux arts, du plan sur lequel elle se propose de travailler et des reglemens qu'elle croit devoir observer pour remplir [ses veuees]. Le penchant si naturel de parler des choses pour lesquelles l'on a le plus de goût, ayant porté quelques personnes assés versées dans les mathematiques en general et dans quelques [unes] de ses plus [utiles] parties, a se revoir souvent et a faire de [...] des entretiens sur les sciences et sur les arts a produit insensiblement, la societé naissante dont il s'agit. Cette societé dont quelques uns des membres ont esté de celle des arts qui s'assembloit il y a quelques années aux galleries du Louvre avec l'ap[p]robation de feu M. le duc d'Orleans et sous la protection de Monsieur l'abbé Bignon a senti que la theorie seule n'aloit gueres plus loin qu'a satisfaire la curiosité, et que la pratique denuée des lumieres de la theorie n'estoit ordinairement qu'une espece d'habile routine que le bonheur du succès n'accompagnoit pas toujours. Cette reflection luy a fait naitre la pensée de les unir l'une à l'autre en toute occasion persuadée que sans les secours mutuels qu'elle se doivent necessairement donner et dont elles ont reciproquement besoin, elles ne peuvent que rarement et pour ainsy dire par hazard aprocher du point de perfection dont elles sont suceptibles. Ce projet inspiré par l'amour du vray et par celuy du bien public n'a point encore esté communiqué a des gens sensés sans en avoir enlevé les suffrages et ces suffrages ont tellement encouragés ceux qui l'ont formé qu'ils ont desja pris tous les arrangement qui estoient en leur pouvoir pour mettre serieusement la main a l'execution. La societé actuellement composée de theoriciens et de praticiens qui ont acquis quelque reputation dans le monde a donc resolue de s'attacher a perfectionner les arts par le secours des sciences, ce qui ne sauroit manquer de tourner a l'avantage ce celles cy puisque par les moyens dont elles sont obligées de se servir seront de plus en plus exemts de deffauts. La geographie, la navigation et les mecaniques seront en quelque sorte ses principaux objets. Elle ne negligera rien pour les porter a un plus grand degré d'exactitude que celuy ou elles se trouvent a present, mais elle n'abandonnera cependant pas tous les autres arts utiles ; son attention ira meme jusqu'à ceux qui ne servent qu'a procurer l'agreable. Tant de connoissances sont necessaires pour remplir ce dessein qu'il est aisé de comprendre, que la nouvelle societé sera obligée de s'apliquer particulierement a la geometrie, a l'astronomie, et a la phisique même. Pour se mettre en etat de perfectionner les methodes de[j]a suivies dans la pratique des arts, la societé examinera ces methodes, en observera les avantages et les defauts et employera toute sa capacité a inventer de nouveaux moyens pour les rendre en même tems plus surs et plus exacts et d'un usage plus facile. Lorsque quelqu'ingenieux artiste aura entrepris ou voudra entreprendre quelque ouvrage ou il croira que les avis et les secours de la societé pouront luy estre necessaires, elle se fera un devoir de luy accorder les uns et les autres avec le dernier desinteressement, trop contente d'avoir pu concourir a l'utilité publique ou au moins aux progrès des beaux arts. L'acquisition que la nouvelle societé a deja faite dans les pays etrangers de plusieurs membres zelés pour l'accomplissement de ses desseins et celle qu'elle a tout lieu d'espérer d'y faire encore dans la suitte ne peuvent guere manquer de la mettre en etat d'enrichir la France de toutes les decouvertes qui se feront dans les arts hors du royaume et cela d'une maniere plus positive que ne peuvent le faire les journaux ou les matieres ne sont presque qu'indiquées. Comme l'experience seule peut solidement instruire, il est hors de doute que la nouvelle societé aperceuvra dans le cours de ses travaux beaucoup d'objets dignes de son attention qu'elle n'a point envisagé ou qu'elle n'a envisagé que superficielement, mais sa docilité a ecouter les sages conseils qu'on voudra bien luy donner et son application a les suivre pouront contribuer extremement a la faire arriver au but qu'elle s'est proposé qui n'est autre chose que le bien de l'utilité publique. Les assemblées de la societé se tiendront le dimanche après midy depuis quatre heures jusqu'a six et cela afin de ne detourner personne des [devoirs] de son etat, dans les assemblées chaque membre de la societé y lira les morceaux qu'il aura composé et si la compagnie les juge digne d'estre rendus publiques elle les abandonnera a l'impression quand il s'en trouvera une quantité suffisante pour former un juste volume (BnF, Ms fr. 22225, ff. 7-10).
La Société des arts bénéficiera en fait de la protection du comte de Clermont (cf. 7 décembre 1728 (1)).
Abréviation
BnF : Bibliothèque nationale de France, Paris.
Courcelle (Olivier), « 8 novembre 1728 (1) : Liébaux (Paris) écrit à l'abbé Bignon », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n8novembre1728po1pf.html [Notice publiée le 15 janvier 2012].