J'ai lu à l'Académie le memoire suivant du conseil de la ville de Rheims [Reims]. MM. c'est pour nous une perspective bien flat[t]euse de pouvoir esperer l'honneur de vôtre approbation par le deissein où nous sommes de contribuer autant qu'il est en nous au progrès des arts, des manufactures et des sciences. Nous prenons des mesures pour établir dans les salle de l'Hôtel de cette ville des ecoles publiques où l'on éclairera toutes les differentes sortes d'artistes sur ce qui pourra les mettre à portée d'atteindre à la perfection. Deux de ces ecoles auront les mathématiques pour objet : agrées, M[essieu]rs, que nous vous en exposions le plan ; il ser entierement subordonné aux conseils, c'est a dire au loix dont vous voudrés bien nous honorer. Dans l'une de ces ecole on se proposera principalement l'instruction de ceux qui se destinent aux arts : on y expliquera tout ce qui aura rapport à la pratique, et sera d'une utilité immédiate dans l'arithmetique, la mecanique, l'hydraulique, l'optique, la perspective, la gnomonique, l'architecture civile et militaire ; on n'y fera aucun usage de l'algèbre ou des nouvelles méthodes ; et lors que sans leurs secours on ne pourra pas demontrer exactement quelque proposition importante pour la pratiquer, on se bornera a l'etablir comme un fait demontré par l'experience. Ce cours sera de deux ans, et l'on y donnera des leçons tous les matins pendant l'espace de deux heures. Outre cette ecole qui se bornera aux propositions élémentaires, il y en aura une autre ou le cours sera aussi de deux ans et ou l'on approfondira toutes les sources cachées dans lesquelles il faut souvent aller puiser des pratiques utiles et de connoissances précieuses ; on y éclaircira la science analytique, et la theorie des mouvemens dans toute leur étenduë : il n'y aura aucun livre ni aucun cahyer qu'on y lise de suite ; mais a certains jours et a certaines heures marquées dans l'après diner on resoudra par ordre de matiere les difficultés qu'auront rencontrées dans leur étude particuliere ceux qui liront chés eux des livres designés sur l'agebre, l'application de l'algebre a la geométrie, les calculs différentiel, intégral et et exponentiel, aussi bien que sur le mouvement consideré soit dans des milieux resistans, soit dans des milieux non resistans : on ne perdra point de vuë dans ces leçons l'objet que nous proposons, et l'on ne s'y attachera qu'aux recherches qui qui justifieront leur utilité rééelle par des solutions de problemes importans. Plus ces sciences sont herissées d'epines, plus leur difficulté est un titre qui exige qu'on en facilite le progrès ; et quelque petit soit le nombre d'hommes que la nature destine à les cultiver, ils meritent bien par leurs talens qu'on favorise leur travail. Ces ecoles auront l'avantage d'etre placées dans un ville ou la depense est moindre que dans la capitale, et les dissipations moins a craindre, et que d'ailleurs par son Université, et par sa situation, attire chés elle beaucoup d'etrangers. Elles auront encore l'avantage que les maîtres ny envisagent pas leurs leçons comme des corvées : il y aura a la verité des places d'ecolier, gratuites pour ceux dont la pauvreté et les talens seront suffisamment constatées ; mais chaque autre ecolier payera a des professeurs un tribut modique : leurs appointements fixes suffiront pour leur necessaire ; leur aisance sera la fruit de l'eclat qu'ils donneront a leurs leçons. Le plus grand avantage que puissent avoir ces ecoles, M[essieu]rs, seroit d'etre sous votre dependance : il n'est point d'empire plus légitime que celui qui est attaché a la superiorité des lumieres ; et ce titre si respectable doit assujetir a vos loix tous les etablissemens qui ont pour objet le progrès des sciences et des arts. Votre corps doit sa naissance, M[essieur]rs, a un de nos compatriotes et vous ne pourriés guere mieux marquer votre reconnoissance à cet illustre bienfaiteur des sciences et des beaux arts qu'en faisant fleurir dans le sein de sa patrie des ecoles d'ou sortiront certainement, des que vous voudrés bien en prendre la direction, quantité d'excellents artistes et de grands mathématiciens. Vous assemblés parmi vous tout ce que l'Europe possede de plus sçavans hommes dans les mathematiques ; mais vous êtes en quelque sorte comme les dieux de la fable placés sur le haut d'une montagne escarpée dont la plus part des mortels ne peuvent pas approcher. Prestés vous, M[essieu]rs, au desir que nous aurions d'ouvrir une route qui mit à portée de s'elever aisement jusu'a vous, et qui aidat tous ceux qui se consacrent aux arts et aux mathematiques, a entrer en partage de toutes vos lumieres. Quand ces chaires seront vacantes, nous vous prieront, M[essieu]rs, de vouloir bien y nommer des sujets qui meritent d'y travailler sous vos loix ; permettés nous cependant de vous representer qu'actuellement l'etat de nos finances nous met dans la necessité d'employer un professeur qui ait assés de zele et de capacité pour remplir en meme tems ces deux chaires, et qui par son desinteressement et son etat soit a portée de se contenter d'appointemens mediocres. Nous trouverons ces qualités dans la personne du R. P. Ferry, religieux minime de cette ville, eleve des PP. Jacquier et Le Sueur [Le Seur] et nous vous prions de vouloir bien l'agréer : nous croyons devoir cette recomm[a]ndation aux services qu'ils nous a rendus pour l'elévation et la conduite de nos eaux. Quoy qu'il en soit, M[essieu]rs, le professeur dont vous jugerés à propos de faire choix sera tenu avant l'ouverture de chaque cours de vous faire part du plan qu'il sera proposera de suivre, des traités qu'il pretendra expliquer sur chaque matiere et de ce qu'il aura dessein d'y ajouter ou d'en retrancher ; et lors qu'en conséquence vous voudrés l'honorer de vos ordres, il sera dans l'obligation de s'y conformer exactement. Nous comptons, M[essieu]rs qu'afin de donner au professeur le tems de rassembler tous les materiaux dont il composera ses leçons, l'ecole des mathematiques pratiques ne s'ouvrira que le 3 novembre 1748, et celle de la science analytique et de la theorie des mouvemens le 4 novembre 1750. Le professeur sera encore obligé a la fin de chaque année de vous rendre compte du fruit de ses leçons et du progrès extraordinaire qu'auront pu faire quelques uns de ses ecoliers. Combien le maitre et les disciples ne seront ils encouragés par l'idée de vous avoir, M[essieu]rs, pour spectateurs et pour juges de leurs travaux. Nous espérons faire en sorte que ceux qui vous auront paru se signaler, reçoivent de nous des prix qui mediocres par eux memes deviendront infiniment precieux, puisque ce seront des gages de votre estime. Si jamais il arrivait qu'un professeur vous parut ne pas repondre a l'idée favorable que vous auriés concuë de sa capacité et de son zele, il sera remercié sur le champ en consequence de la lettre que vous voudrés bien en écrire au Conseil de cette ville, et vous auriés la bonté de faire choix d'un autre sujet. Nous espérons, M[essieu]rs, que vous voudrés bien deferer a nos prieres, nous le desirons avec ardeur, et l'on n'a peut etre jamais fait plus des voeux pour l'independance que nous en faisons pour soumettre a vos loix la portion de nos citoyens qui nous sera la plus chere. Si vous voulés bien accepter ces propositions, M[essieu]rs, et consentir en consequence a conclure un traité avec nous, et à determiner les statuts que vous croirés les plus convenables pour porter cet établissement a sa perfection, nous vous prions d'agréer pour notre representant, M[onsieu]r Rolland de Challerange, conseiller au Parlement, aussi recommandable par ses lumieres que par ses vertus, nous souscrivons d'avance a tous les engagemens qu'il voudra bien prendre en notre nom. Nous avons l'honneur d'etre avec un profond respect, M[essieu]rs, vos très humbles et très obeissans serviteurs. Les lieutenant, gens du Conseil et echevins de la ville de Rheims. Signé de Poüilly, Maillefer Rogier, Famin de Brauxourt, Sutaine le Queux, Desserches, Amé de Beaugille, Cluquot de la Haute. Sur quoy l'Accademie ayant delibéré a arrêté les articles suivants [cf. 2 avril 1748 (1)] (PV 1747, pp. 530-533).
Abréviation
PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Courcelle (Olivier), « 22 novembre 1747 (2) : Reims », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n22novembre1747po2pf.html [Notice publiée le 7 mars 2012].