10 décembre 1756 (1) : Savérien (Paris) écrit à [Clairaut] :
Lettre de M. Savérien, à un de ses amis, contenant des nouvelles vues sur la cause de la pesanteur des corps. Je vous remercie, Monsieur, de l'avis que vous me donnez de ne pas me presser de publier les nouvelles vues que j'ai fur la cause de la pesanteur donc vous avez oui parler. Le conseil est sage, et je n'aurai pas grande peine à le suivre ; car je deviens tous les jours plus difficile pour mes ouvrages : le sujet de celui-ci est d'ailleurs si délicat, que je suis encore plus que vous en défiance contre moi-même. Vous observez, Monsieur, fort judicieusement, que les mathématiciens qui ont recherché cette cause de la pesanteur, n'ont prouvé par l'inutilité de leurs efforts que l'extrême difficultés de cette matière. C'est une pensée de M. de Fontenelle [Voyez l'Éloge de M. Varignon, imprimé parmi ceux des académiciens publiés par cet Auteur NDA], que je vous sais gré de m'avoir rappelée. Je conviens avec vous que cette recherche paraît aujourd'hui plus dangereuse qu'utile, puisqu'on est presque assuré de perdre son temps, qui est la perte la plus considérable que nous puissions faire. Je vous accorderai encore que la démonstration la plus rigoureuse devient une simple preuve, lorsqu'il s'agit d'une matière à laquelle l'élite des savants a renoncé. Et je vous avouerai aussi que 1'évidence même s'obscurcit à mes yeux, lorsque je retrace à ma mémoire les noms des Descartes, des Newton, des Huyghens, des Bernouilli, des Varìgnon, et de tant de grands hommes qui n'ont donné là-dessus que des systèmes ingénieux. Il semble après cela comme vous dites fort bien, que la cause de la pesanteur est une connaissance entièrement désespérée, si on pouvait désespérer de rien dans l'étude de la nature, où une simple observation produit quelquefois les découvertes les plus surprenantes. En effet, Monsieur, il est très ordinaire de voir, que la dernière chose à laquelle on pense pour expliquer un phénomène est précisément celle qui devait frapper d'abord. La grande simplicité d'un objet est même souvent un obstacle à sa connaissance. On croit devoir faire usage de son imagination, lorsqu'on ne devrait se servir que de son jugement ; je veux dire, s'assurer bien d'un fait, et en examiner sans contention toutes les circonstances. C'est cette précipitation si préjudiciable aux progrès des sciences, qui a nuit, ce me semble, aux travaux de ceux qui ont voulu tenter la cause de la pesanteur. On a cherché cette cause non dans le corps où elle doit être, mais dans les fluides qui l'environnent, où elle n'est pas. Les plus fameux systèmes qu'on a faits à, ce sujet, ceux de Descartes, de Newton, de Varignon, de Bulfinger, de Vìllemot, de Bernoulli, etc. ne sont fondés que sur l'inégalité des couches de l'atmosphère, ou de ses différentes précisions sur les corps. [maths] J'ai l'honneur d'être, etc. Savérien. À Paris, ce 10 décembre 1756. P. S. Je préviens une objection contre ma théorie de la pesanteur, c'est que si cette théorie est vraie, les corps ne s'attirent pas, et que deviendra alors le système de Newton ? Ce qu'il deviendra ? Il acquerra un degré de plus de certitude, et c'est ce que je m'engage de vous faire voir dans la suite (Savérien 57a ; Savérien 57b).
Savérien dévoilera ultérieurement le nom du destinataire de la lettre : Enfin le dernier écrit qui a paru sur ce sujet est intitulé : Lettre de M. Savérien à un de ses amis (M. Clairaut) sur la cause de la pesanteur (Savérien 75, p. 50).
Abréviation
NDA : Note de l'auteur.
Références
Savérien (Alexandre-Julien), « Lettre de M. Savérien, à un de ses amis, contenant des nouvelles vues sur la cause de la pesanteur des corps », Mercure de France, janvier 1757, pp. vol. 2, pp. 141-160 [Télécharger].
Savérien (Alexandre-Julien), Lettre de M. Savérien à un de ses amis. Extrait du Mercure de France, du mois de janvier 1757, second volume, slnd, [1757] [Télécharger].
Savérien (Alexandre-Julien), Histoire des progrès de l'esprit humain dans les sciences naturelles et dans les arts qui en dépendent, Paris, 1775 [Télécharger].
Courcelle (Olivier), « 10 décembre 1756 (1) : Savérien (Paris) écrit à [Clairaut] », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n10decembre1756po1pf.html [Notice publiée le 12 septembre 2011].
Enfin le dernier écrit qui a paru sur ce sujet est intitulé : Lettre de M. Savérien à un de ses amis (M. Clairaut) sur la cause de la pesanteur (Savérien 75, p. 50).