(17) 6 mai 1737 : Clairaut (Torneå) écrit à Piron :
À Torneo, le 6 mai 1737.Il y a longtemps, Monsieur, que j'aurais eu l'honneur de vous écrire, si je n'avais pas cru qu'un géomètre, que vous devez déjà avoir trouvé ennuyeux, ne manquerait pas de vous le paraître encore beaucoup davantage, ayant été un an à la glace, au cercle polaire ; mais, puisque vous avez bien voulu tant faire, que de me marquer des marques de votre souvenir, je ne saurais me dispenser de vous en remercier, quelque mortification que puisse recevoir ma vanité, de voir ma froide lettre entre les mains de la vivacité même. Je prends mon parti là-dessus, et rejette tout sur la géométrie, et les glaçons du pays que j'habite. Qui plus est, si vous ne vous trouvez pas assez ennuyé de ma lettre, je vous dirai que j'espère bientôt vous ennuyer de ma personne, car toutes nos opérations sont faites, et nous n'attendons plus que le dégel, pour partir de Tornéo. On dit qu'il commence, et qu'il pourra s'effectuer dans un mois ou deux. Pour moi, il y a si longtemps que je n'ai plus vu d'eau que je ne crois plus au dégel ; et Paris me paraît un pays extraordinaire. S'il est vrai, comme on dit, qu'il n'y a point gelé cette année ; je ne sais si nous pourrons nous y réaccoutumer. D'ailleurs, de beaux esprits, des spectacles, des promenades ; qu'est-ce que tout cela, quand on a vu, comme nous des Lapons, et des Lapons à Pello, extrémité septentrionale de notre degré ? Là, nous avons vu le pays dans son beau. Nous avons vu les Lapons qui se tiennent toujours vers le fond du Nord, tant parce que les Suédois les ont chassé peu à peu, que parce que leurs rennes y vivent mieux. Ils viennent ici faire leur commerce pendant l'hiver. Ils étaient arrivés longtemps devant nous à l'auberge, encore qu'il y avait à craindre que ces gens là, qui ne font pas grande façon, n'eussent pris les bons logements, et quand il les auraient quittés par politesse, je ne sais ce que nous en aurions fait, parce que où a été un Lapon, on s'en aperçoit longtemps après, tant par l'odorat, que par de vilaines démangeaisons. Mais ces gens là ne savent ce que c'est que d'habiter des maisons. Ils se tiennent toujours en plein air ; une peau de Renne, étendue sur la neige, leur sert de lit. Lorsqu'ils ne sont pas en voyage, ou dans l'hiver, ils sont plus voluptueux : ils ont une espèce de tente, ronde en bas, et pointue en haut, d'une toise de rayon, tout au plus, faites de branches de sapin, entourées d'une méchante couverture de grosse laine, dans laquelle ils demeurent dix ou douze, sans s'incommoder. Leur habillement consiste en une pièce d'étoffe, de la même nature que leur tente : cela ne sort jamais de dessus leur peau. La fumée pour leurs tentes, et la sueur pour les vêtements, ont soin de rendre très proprement, ces étoffes là noires : ce qui n'étant pas relevé par la blancheur des personnes, fait des Lapons, un peuple aussi loin des ramoneurs, que ceux-ci le sont des petits maîtres. J'en pourrais bien plus dire, si je vous lais vous plus ennuyer. Leur musique, par exemple. Je fus éveillé une nuit par leurs chants, et fut obligé de sortir, pour pouvoir m'assurer par mes yeux que c'étaient des voix humaines. Mais je bavarde toujours malgré, etc.......... (Piron 76, vol. 7, pp. 510-512).
Clairaut répond à la lettre de Piron du [6 mars 1737].
Courcelle (Olivier), « (17) 6 mai 1737 : Clairaut (Torneå) écrit à Piron », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/npo17pf6mai1737.html [Notice publiée le 27 décembre 2008].